Charlotte Juillard, la liberté créative comme directive
© Luce Roux

Charlotte Juillard, la liberté créative comme directive

Une rentrée sous le signe des premières : Charlotte Juillard a fait partie des quatre designers sélectionnés pour « Talents So French », nouveau stand spécifiquement dédié aux designers et à l’autoédition à Maison & Objet en septembre 2022. Un coup de projecteur bienvenu, car cette boulimique de travail multiplie les projets avec les éditeurs tout en jonglant entre son studio et l’aventure d’Hava, maison qu’elle a cofondée. Carnet et stylo toujours à portée de main, elle dessine sans répit toutes les idées qui surgissent. Un rapport singulier au trait, qu’elle juge essentiel à sa création.


C’est à Gassin dans le Var que Charlotte Juillard a grandi. Élevée dans une famille de médecins, elle développe très vite un attrait pour l’esthétique. « Depuis toute petite, j’ai cette sensibilité au beau et l’art m’a toujours attirée. En plus, j’ai eu la chance de beaucoup voyager plus jeune,  je pense que ça a forgé ma personnalité car aujourd’hui j’ai toujours la bougeotte. » À 18 ans, son bac S en poche, elle quitte son Sud natal pour la capitale qui l’avait « toujours fait fantasmer.» Elle suit une prépa en Arts Appliqués avant d’intégrer l’école Camondo, en parcours architecture d’intérieur/design. « J’ai intégré cette école sans savoir où ça allait me mener. Moi qui étais assez scolaire et qui n’aimais pas trop sortir des sentiers battus, c’était un saut dans le vide pour moi.»

Du trait à l’objet

En réfléchissant à son parcours, elle se rend compte de l’importance du trait. « À l’école, mes copies devaient toujours être parfaites, avec chaque titre bien souligné. J’ai toujours eu ce rapport très fort à l’esthétique, qui se ressent encore aujourd’hui. » Tous ses projets commencent par un dessin, sans exception. Elle a même développé la manie d’avoir toujours le même stylo, avec une mine de 0,38mm, qui l’accompagne partout. Sans lui, elle en est persuadée, le rendu ne sera pas bon.

Malgré un parcours axé vers l’architecture d’intérieur, son attrait pour le design se distingue rapidement. À tel point qu’elle choisit cette spécialité pour son sujet libre des épreuves de diplôme. Commence alors son aventure avec la Manufacture de Sèvres, avec laquelle elle édite la série Morphose, qui reste une expérience marquante de sa carrière. « Ça a été ma première émotion de design. C’était la première fois que les dessins de mon carnet ont pris vie. »

Collection Morphose, projet de fin d'études réalisé en partenariat avec la Manufacture de Sèvres, 2011

Un passage à la Fabrica et aux Ateliers de Paris

Un an après son diplôme, elle est sélectionnée pour une résidence à la Fabrica, centre de recherche et de communication du groupe Benetton, situé à Trévise en Italie et fondé par Oliviero Toscani et Luciano Benetton. Elle y mène des expérimentations durant un an et demi, sous la direction de Sam Baron avec qui elle entretient toujours de très bonnes relations. « C’est une personnalité très généreuse à qui je dois beaucoup. Je pense qu’une carrière est faite avec beaucoup de choses. Un peu de talent certes, mais surtout grâce à nos rencontres » confie-t-elle à son sujet. Elle cite également parmi ses rencontres marquantes de l’époque David Raffoul, du studio libanais David & Nicolas, ou encore la designeuse Giorgia Zanellato qui possède le studio Zanellato/Bortotto en Italie, devenue plus tard témoin à son mariage.

À son retour à Paris, cet « esprit de colonie » envolé, elle ressent le besoin de continuer à évoluer dans un espace partagé. « Après cette expérience et la liberté créative que j’avais pu acquérir, il était impossible pour moi de m’imaginer travailler en agence.» Elle intègre l’incubateur des Ateliers de Paris pour deux ans l’année suivante. Les collaborations avec les maisons d’édition démarrent dans la foulée.

Daybed, collection Lavastone, désignée par Charlotte Juillard et édité par l'entreprise italienne Ranieri. Pièce présentée lors de Maison & Objet en 2016 © Morgane Le Gal

Création de son studio

Diplômée à 23 ans, elle acceptera quelques missions d’architecture d’intérieur. « À cette époque, j’avais beaucoup de doutes. Je sentais que mon style et ma personnalité n’étaient pas encore affirmés. Je me suis lancée dans ces projets, mais j’ai très vite été confrontée à la réalité de ce métier qui ne me correspondait finalement pas tant que ça. » Après cette expérience qui l’a “essorée”, elle décide de se recentrer sur le design et fonde son studio en 2014, avec l’envie d’auto-éditer ses pièces. « L’auto-édition permet d’avoir une liberté absolue dans mon travail. » En 2016, elle participe au salon Maison & Objet en tant que Rising Talents. Elle y présentera la collection en pierre de lave Lavastone, qui dévoilera son fameux daybed, une pièce importante pour elle qui lui permettra de gagner en notoriété. « Avec ce projet, j’avais réussi à produire quelque chose de sobre qui faisait sens avec mes dessins et ma personnalité. C’est une pièce que j’ai su défendre et avec laquelle j’ai tout de suite été à l’aise. »

Des collaborations diversifiées

Aussi loin qu’elle se rappelle, le point de départ de ses collaborations avec les maisons d’édition sera l’envoi d’un de ses dessins à Michel Roset (Ligne Roset) le bureau Brina, qui sera édité par la suite. Charlotte Juillard est également sollicitée par Duvivier Canapés, pour valoriser ses savoir-faire traditionnels avec des collections à l’esprit contemporain : le canapé Jules comme la table basse Adèle verront le jour. En 2021, elle s’associe à Parsua et crée le tapis Sirocca à l’occasion des 20 ans de la Galerie Chevalier. Avec Made.com, elle aspire à proposer un design « ouvert à tous » et imagine les collections Kasiani, Anakie et Toriko.

Méridienne de la collection Jules pour Duvivier Canapés © Didier Delmas

Cette liberté d’action à 360° est aujourd’hui devenue omniprésente. « Tout ce que je fais, c’est avec envie. Je suis toujours enthousiaste, une vraie pile électrique ! Je suis incapable de dédier une journée à une seule tâche. Mais c’est ma façon de fonctionner et je ne pense pas réussir à faire autrement. » Et si cette liberté l’anime, elle n’empêche pas une réelle exigence de sa part. « Je suis très perfectionniste. Quand je ne suis pas satisfaite d’un dessin ou d’une pièce, ça se ressent tout de suite. » Ses créations, elle les imagine et les esquisse dans des carnets, toujours les mêmes, aux pages écrues, avec une pochette en cuir noir ou bleu.

Tapis Sirocco, imaginé à l'occasion des 20 ans de la Galerie Chevalier-Parsua, 2021
Miroir Inti, édité par Hava avec Thomas Castella (artisan), 2019
Canapé Kasiani pour Made.com

L’ expérience de l’édition… de A à Z

C’est dans le cadre d’une interview en 2014, qu’elle fait la rencontre de la journaliste Marie Farman. Très vite, elles se lient d’amitié et décident de monter une maison d’édition, Hava (« vent » en hindi), qui voit le jour en 2019. Une nouvelle façon pour la designeuse d’être au cœur de la création. « Je pense qu’Hava est la bouffée d’air de Charlotte, une sorte d’échappée parmi tous ses projets. C’est une vraie créative, qui aime dessiner et créer en permanence. Comme nous ne nous donnons pas de contraintes, ça lui permet d’exprimer son potentiel à fond. » explique Marie Farman. Ensemble, elles présentent des pièces comme l’applique ISO en métal plié et le tabouret Hestia fait en bois brûlé, présentés lors de son passage à M&O en septembre.

Tabouret Hestia, en bois brûlé, pour Hava © Leonardo Denizo
Miscea, plat réalisé par la céramiste Pascale Mestre dans le Luberon © Hava Paris

Donner sens aux projets

Consciente des questions liées à la surconsommation, Charlotte Juillard questionne de plus en plus le sens d’une production. « On ne peut plus consommer comme on le fait aujourd’hui. Être à l’initiative de la création me permet de réfléchir à des alternatives. » C’est notamment ce qu’elle fait avec Noma, maison d’édition de mobilier haut de gamme qui met l’écoconception au cœur de son positionnement, et avec qui elle a collaboré sur les collections Laime, Art et Ghan . « Dès notre première rencontre, Charlotte a été partante pour le projet. On se lançait à peine, mais elle nous a fait confiance. C’est quelqu’un de très solaire qui sait être à l’écoute et dans l’échange sur son travail. Au départ, elle devait nous dessiner un fauteuil mais nous en a finalement proposé deux, que l’on a gardés et même décidé d’éditer. » confie Bruce Ribay, cofondateur de Noma.

Fauteuil de la collection ART © Noma Editions
Fauteuil de la collection LAIME © Noma Editions

Ce caractère spontané et créatif que Charlotte Juillard traduit à travers ses dessins, est le fondement principal de sa réflexion. « Mes dessins sont assez instinctifs, mais ils ont toujours le même trait. » Une cohérence de son univers créatif retrouvé notamment dans sa scénographie à Maison & Objet en septembre 2022, sur le stand « Talents So French », auquel elle a participé, aux côtés de Pierre Gonalons, Bina Baitel et Samuel Accoceberry. Pour cette participation, Charlotte Juillard présentait la collection Hestia en bois brûlé, l’applique en métal plié Iso et la table Opus en pierre de lave.

Applique Iso
Espace dédié à Charlotte Juillard sur le stand "Talents So French" lors de Maison & Objet en septembre 2022 © Nathanyel Bensemhoune

Une expérience dont elle est fière, malgré des délais de préparations très serrés et l’apprentissage d’un exercice d’auto-promotion délicat pour elle : « Je ne suis pas très familière avec le fait de me vendre, mais j’ai pris cela comme l’occasion d’avoir de la visibilité et de rencontrer un public avec lequel je n’ai pas l’habitude d’échanger. J’ai eu des discussions très intéressantes sur l’artisanat français, l’auto-édition et le travail de designer aujourd’hui.  Le public était assez varié, de qualité, et les retours sont très positifs. »

Rédigé par 
Maïa Pois

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18/7/2025
Concours Technogym x Intramuros : les Candidatures sont ouvertes !

En partenariat avec Intramuros, Technogym lance un concours pour imaginer l’avenir du fitness à domicile. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 29 août.

Sous le titre évocateur « La Home Gym du Futur », Technogym — marque reconnue pour ses équipements de fitness haut de gamme - lance un concours inédit. Cette initiative vise à mettre en valeur les talents émergents tout en encourageant des idées novatrices, durables et inclusives. En s’appuyant sur les besoins actuels en matière de pratique sportive et en anticipant les évolutions à venir, les participants sont invités à imaginer leur vision de l’entraînement à domicile de demain.

Un jury XXL pour cette première édition

Pour juger les différentes propositions des candidats au concours, les équipes d’Intramuros et de Technogym pourront compter sur l’expertise de 4 professionnels du secteur :

  • Le designer Patrick Jouin (studio Patrick Jouin iD)
  • Natacha Froger (agence atome associés)
  • L’architecte d’intérieur Ana Moussinet (Ana Moussinet Interiors)
  • L’architecte et designer Jean-Philippe Nuel (studio Jean-Philippe Nuel)

Après une délibération des membres du jury le 2 septembre prochain pour sélectionner les finalistes, les projets retenus seront mis en avant sur les réseaux sociaux et présentés au sein de la boutique Technogym pendant  Paris Design Week du 4 au 13 septembre.


Ce concours est l’opportunité pour les jeunes créateurs de faire valoir leur créativité et de gagner en visibilité. En effet, en plus de voir leur projet exposer pendant Paris Design Week, les finalistes pourront profiter de la communication via les canaux de Technogym, Intramuros, NDA et BED et pourront enrichir leur réseau lors de la remise des prix qui aura lieu le 17 septembre prochain. Le lauréat remportera 4 500 € de produits Technogym et vivra une expérience exclusive au Technogym Village à Cesena, en Émilie-Romagne (Italie), aux côtés du jury.

Une démarche d’inscription simple

Pour participer, les candidats devront proposer un brief complet avec un concept design, des planches graphiques et une note descriptive détaillée. Les dossiers devront être envoyés par email à l’adresse suivante : concourstechnogym@intramuros.fr

Tous les documents essentiels relatifs au concours sont disponible vie CE LIEN.

En cas de besoin et demandes spécifique, les candidats peuvent contacter le Technogym Interior Design Service, via Daniela D’Errico à l’adresse : dderrico@technogym.com ainsi que Yanis Aimetti, yaimetti@technogym.com pour le Technogym Marketing support & infos produit.

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9/7/2025
Spinning Around, la collection en mouvement de Sophia Taillet

Présentée en exclusivité dans la nouvelle boutique du Grand Palais, la collection Spinning Around de Sophia Taillet allie une approche artistique à un savoir-faire industriel méconnu : la technique du repoussage. Une série colorée et dynamique, à l’image de la designer qui aime mêler les disciplines.

À l’occasion de la réouverture du Grand Palais et de l’inauguration de sa boutique, Sophia Taillet a imaginé une collection exclusive, intitulée Spinning Around. Un projet qui s’inscrit dans la continuité de son travail amorcé avec le Spinning Mirror présenté lors de la Paris Design Week en 2024 et le travail de recherche Time Erosion, mené suite à l’obtention de la bourse « Monde Nouveau » en 2023. Un projet pour lequel elle a exploré duré un an les liens entre design et danse, en collaboration avec des artisans, un danseur et un ingénieur du son. « J’ai voulu interroger le rapport au corps à travers la manipulation d’objets encore en phase de réflexion. Une fois façonnés par l’artisan, ces objets passaient entre les mains du danseur, qui leur donnait une fonction. Je trouvais intéressant d’intégrer d’autres regards que celui du designer dans le processus et de les présenter par le biais d’une performance. » Une représentation s’était tenue à la Fondation Pernod Ricard, où danse et objets cohabitaient en parfaite synergie.

Collection Spinning Around

Associer matière et mouvement dans l’espace

Partie de ce projet symbolique et du Spining Mirror — remarqué lors de la Paris Design Week 2024 et de la Collective Fair de Bruxelles —, cette collection offre différentes déclinaisons qui mêlent à la fois la matière et mouvement. Les pièces sont faites en verre et en métal, les deux matériaux de prédilection de la créatrice, et réalisés à la commande, dans une dizaine de d’exemplaires pour le moment. Entre jeux de matière, de lumière et de formes évolutives en fonction de la disposition et l’espace dans lequel se trouve l’objet, Spinning Around est une collection qui n’est finalement jamais figée. « J’ai voulu créer une sorte de liberté visuelle au sein de laquelle le mouvement donne vie à l’objet. Le fait que les objets bougent permet de créer des effets visuels qu’on n’aurait pas s'ils étaient immobiles » Et pour cette collection, Sophia Taillet a choisit de se pencher sur la technique du repoussage, un savoir faire dont on parle peu mais qui n’en est pas moins intéressante à explorer. « C’est une technique qui n’est pas forcement médiatisée et je trouvais intéressant de la travailler, d’autant qu’avec mon expérience du verre, je ressens un devoir de transmission des savoir et des techniques. »

Collection Spinning Around

Un rendez-vous donné à la rentrée

En septembre, à l’occasion de la Paris Design Week du 4 au 13 septembre et des Journées du Patrimoine les 20 et 21 septembre, Sophia Taillet investira la cour du musée de la Chasse avec une installation cinétique en plein air, pensée comme une « danse silencieuse ». Neuf pièces de Spinning Mirror seront présentées en dialogue avec l’architecture du lieu. Une performance dansée viendra également accompagner l’installation.

Spinning Mirror
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10/7/2025
Drift chair ou la justesse des lignes

Le studio BrichetZiegler et Théorème Éditions se sont associés pour créer la Drift chair. Une chaise très graphique portée par des lignes fines au service de l'équilibre.

Comme pour chacune de leurs collaborations, David et Jérôme, les fondateurs de Théorème Éditions, dont la galerie eponyme est située sous les arcades du Palais Royal, se sont tournés vers un studio avec une demande : créer un objet sculptural, architectural et monolithique. Un triptyque dans l'air du temps que le studio BrichetZiegler, convié pour l'occasion, a naturellement retranscrit sur une chaise. Une pièce que le duo de créateurs affectionne particulièrement en raison de son échelle. « Une chaise est une surface parfaite car sa dimension permet de s’exprimer de façon sculpturale et plastique tout en abordant les aspects techniques d’un objet qui soutient le corps. » Un terrain de jeu idéal donc, autour duquel les designers ont imaginé une pièce « fonctionnelle et confortable pour dîner, portée par un dessin et une présence visuelle forte. »

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud

Un jeu d'équilibre

Développée en à peine un an et demi avec le savoir-faire d'un menuisier installé à Pantin, la Drift chair – que nous pourrions interpréter par « chaise qui plane » - tire son nom de son assise en porte-à-faux. Supportée par deux planches latérales en guise de pieds, l'assise joue sur l'alternance des pleins et des vides pour offrir, de côté, tout le poids visuel de sa structure, et de face une certaine frugalité structurelle. Deux sensations renforcées par l'utilisation de courbes au niveau des zones de contact pour des questions de confort, mais aussi dans les angles. Une manière d'apporter de la fluidité à cet assemblage égayé par une galette aimantée en cuir lisse ou en tissu Kvadrat choisi par la galerie. En dessous, la surface à bois a été ajourée de manière à diminuer le poids de la chaise – déjà de 7,5kg – et solidifier la structure pour éviter qu'elle ne vrille.

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud

Proposée en chêne et en noyer, la Drift chair est disponible dans une version cérusée où le veinage naturel du bois devient porteur d'un monochrome très graphique. Une alternative utilisée par Joseph Hoffmann dès les années 30 et désormais réinterprétée avec goût par le studio BrichetZiegler.

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud
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9/7/2025
À la CFOC, six décennies d'exploration

Créée par François Dautresme en 1965, la Compagnie Française de l'Orient et de la Chine (CFOC) fête ses 60 ans. À cette occasion, Valérie Mayéko Le Héno, architecte DPLG et directrice artistique depuis 2016, évoque les évolutions de cette société indissociable des savoir-faire asiatiques.

Voyageur passionné et aventurier en quête de nouveautés, François Dautresme a fondé la CFOC en 1965. Quelle place occupe aujourd'hui son héritage dans l'identité de la marque ?

En tant que directrice artistique de la marque depuis 2016, je crois pouvoir dire que la manière dont nous travaillons est assez proche du concept de départ puisque nous continuons de voyager beaucoup à travers l'Asie. C'est important de garder un pied dans cette zone, où se trouve une douzaine de pays avec lesquels nous collaborons, mais aussi au-delà – en Italie pour l'édition textile, au Maroc pour les éponges et la broderie, au Portugal pour le travail de l'acier et des couverts, et au Mexique pour la fibre de palme -, car ce que nous cherchons, c'est avant tout un savoir-faire particulier ou de nouvelles techniques. Nous partageons de fait la passion de l'artisanat, mais aussi le plaisir de trouver des ateliers familiaux, des petites structures. Cette notion est très importante pour nous, car depuis 1965, l'idée est de valoriser des produits manufacturés. À travers ça, l'héritage principal est sans doute celui d'être du contact.

Tapis Ombrelle Sépia ©CFOC

La place du geste est donc véritablement importante au sein de la CFOC, mais comment concilier les savoir-faire anciens et asiatiques avec les besoins des consommateurs européens ?

Il y a longtemps eu un gap entre nos deux régions. Il y a encore une quinzaine d'années, les arts de la table en Chine se limitaient majoritairement à des bols et à des baguettes tandis qu'il était coutume de s'asseoir proche du sol en Asie alors nous avions tendance à nous asseoir de plus en plus haut en Europe. Il a donc fallu adapter tout cela à nos usages. Dès les années 90, à l'époque où la CFOC proposait principalement du mobilier chiné, souvent aux Puces de Pékin, François Dautresme a commencé à dessiner des éléments destinés au marché français. Un premier pas que nous avons complètement généralisé en 2011-2012, en insufflant à la compagnie alors en perte de vitesse, une nouvelle vision davantage adaptée à nos modes de vie, aux usages.

Collection Lotus ©CFOC

Et comment cela se traduit-il en termes de création ?

Nous avons voulu faciliter l'échange de regard entre l'Europe et l'Asie. Un bureau de style est ainsi né à Paris. Nous y travaillons à deux pour ce qui est de la conception design, plus une troisième personne chargée de la production. Celle-ci est principalement basée en Asie, car nous n'avons pas d'intermédiaire, et c'est elle qui nous permet de développer des produits sur le long terme – généralement entre 4 et 10 mois – et d'entretenir des relations pérennes avec les ateliers pour ne pas être sur du one-shot. Pour la majorité d'entre eux, notre collaboration oscille entre 8 et 10 ans, et c'est ce qui nous permet de pousser les savoir-faire et développer de nouveaux produits.

Table basse ultra noir en chêne teinté ©CFOC

L'une des richesses de la CFOC, c'est également l'étendue des matériaux travaillés. Comment les réinvente-t-on pour ne pas tourner en rond au bout de 60 ans ?

En fait, la question est surtout technique. Ce sont généralement des déclinaisons. Par exemple pour la laque, dans les années 50 à 70, on ne trouvait que des couleurs naturelles. Progressivement, on a évolué vers des colorants alimentaires pour diversifier les teintes, sans pour autant perdre le savoir-faire ancestral à base de sève de laquier. Cette année, nous proposons par exemple deux nouvelles couleurs, le bleu jun et l'ambre jun que nous avons travaillé avec notre coloriste basé dans un village près de Hanoï, au Vietnam. Pour ce qui est du tissu, la CFOC évolue notamment en passant de fibres naturelles à des fibres textiles pour répondre à des besoins spécifiques. C'est le cas de notre tapis tressé Kilim (une technique indienne) où le jute est remplacé par de la laine.

Lampe de chevet Naméko en porcelaine et laiton et courtepointe Samarcande en velours de soie et lin ©CFOC

De manière plus précise, comment avez-vous pensé la collection anniversaire ?

Elle a été guidée par une démarche en quelque sorte historique. J'ai réuni les origines de la CFOC en me replongeant dans de vieux articles de presse, des archives photographiques des anciennes boutiques et leurs vitrines aux scénographies imaginées par François Dautresme, mais aussi des produits dans les catalogues de vente. Bref, je me suis immergé dans la riche histoire de la société et j'ai confronté le passé et le présent. C'est ça qui m'a amené à développer la forme des ombrelles pour nos tapis, le concept de naturalité, le travail du pojagi – une méthode de couture que l'on peut rapprocher du patchwork -, le velours de soie que l'on retrouve sur les contrepointes Samarcande travaillées avec du lin par des artisanes brodeuses, sans oublier la réédition d'objets dans le rouge CFOC. Tous ces axes nous ont permis de créer des pièces en série limitées ou numérotées.

Tabourets signature en coloris bleu jun, verveine et blanc ©CFOC

Sur le plan commercial, la CFOC s'est progressivement ouverte au B2B. Qu'est-ce que cela a changé dans votre approche et quels sont les prochains défis à venir ?

Effectivement ! Depuis plusieurs années, nous développons le B2B pour proposer nos services des chefs ou des établissements hôteliers. C'est une autre manière de voir les choses. L'un de nos projets significatif est certainement la réalisation de pièces sur mesure pour l'hôtel SO/ Paris réalisé par le cabinet RDAI et livré en 2022. Parallèlement à ces nouveaux marchés, nous souhaitons également développer notre notoriété et étendre notre réseau aujourd’hui composé de trois boutiques sur Paris et de revendeurs en région. Nous réfléchissons donc à ouvrir un nouveau showroom ou des pop-ups store dans des zones balnéaires.

Plateau haut Étamine ©CFOC
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