Adrien Messié, l’équation entre design et artisanat d’art
© Emmanuel Durand

Adrien Messié, l’équation entre design et artisanat d’art

Faire simple, il n’y a pas plus compliqué. Adrien Messié en sait quelque chose. Toute sa carrière de designer, depuis la direction des licences et des partenariats au Studio Andrée Putman à la création de mobilier, en passant par la DA de Le Gramme, qu’il a cofondé, sans oublier les événements qu’il éditorialise via l’agence H A ï K U, a été jusqu’ici vouée à la recherche de cette nue perfection.


L’univers d’Adrien Messié peut tour à tour être délicat et sensible, rigoureux et précis ou alors très électrisant. Dans un dédale de courbes, de lignes, de séquences, de fractales et de tangentes qu’il manie à l’échelle nano, pour ses bijoux masculins ou en format XXL, pour son projet Villers (une table de plusieurs centaines de kilos en pierre de lave et terre cuite imprimée en 3D destinée à accueillir jusqu’à 14 convives), son monde intérieur recèle plein de surprises. On ne le voit pas forcément, mais ce que l’on devine à travers le fruit de ses recherches, c’est qu’Adrien Messié est très sensible à la magie des chiffres. Qu’il vibre face aux forces de la nature qui dans un parfait ordre cosmique donnent un sens au beau, une cohérence. « Une évidence » préfère-t-il dire.

Table sur mesure Villers, designée par Adrien Messié et réalisée en collaboration avec l'artiste céramiste Maxence de Bagneux © Emmanuel Durand

Proximité créative

Formé aux industries créatives et à l’univers du luxe, Adrien Messié commence son parcours créatif auprès d’un très grand nom du design, Andrée Putman. Il intègre son agence en 2004. Il aime à dire qu’il y a « infusé »… autant qu’il s’y est enrichi en bénéficiant de la proximité de (futurs) créatifs de renom « tant l’agence était un véritable incubateur » tient-il à souligner. Élise Fouin, Rodolphe Parente, Antoine Simonin, Bertrand Thibouville Nicolas Dorval Bory ou encore Maximilien Jencquel ont été ses collègues. De stagiaire, il termine directeur des Éditions et Licences. Il y développe des collaborations avec les plus grandes marques et éditeurs internationaux avec en autres des collections avec Christofle, Emeco, Nespresso, La Forge de Laguiole ou encore Fermob.

Émotion

Son tropisme naturel vers les mathématiques n’est pas encore révélé quand il imagine le concept Le Gramme en 2012. Et pourtant. Ce projet, dont la raison est la création d’objets portés ou fonctionnels déclinés des formes élémentaires en métaux précieux – or 750 ou argent 925 – et nommés par leur poids en grammes, semble sortir d’un cerveau de scientifique.

Bracelets rubans lisses 7g - 15g - 21g - 33g et 41g en Argent 925 - Argent Noir 925 et Or jaune 750 sur présentoirs Le Gramme inspirés des ``éclatés de la Beauchêne``, en Corian Blanc et marbre noir Marquina © Victoire Le Tarnec

Quand il raconte sa genèse, on entre dans le registre de l’émotion. « Ma sœur m’avait ramené de voyage un petit ruban en argent ultra simple, pur et sans fioritures. Je lui ai cherché en vain des « frères » afin de le porter « en fratrie » à mon poignet, comme une sorte de monade. Je me suis résolu à le faire faire en France chez un petit artisan dont le discours s’apparentait à celui d’un alchimiste… Au moment de payer les trois prototypes, le faiseur m’explique qu’il y a deux coûts à additionner : le temps de façon d’un côté et de l’autre le poids de la matière “utile” pour la confection de chaque pièce » se souvient-il. Pour plus de facilité, chaque prototype est nommé en fonction de son poids en gramme. 7, 15 et 21, puis 33 et 41 sont les petits noms des 5 premiers bijoux et Grammes leur nom de famille. Bientôt ce sera Le Gramme.

Fermoir du bracelet Câble crée en 2018, façonné intégralement du même matériau (Or jaune 750), jusqu'à la vis de montage (en étoile) à l'intérieur © Le Gramme

Fondamentaux utiles

Les prototypes au poignet, le nom en tête, Adrien Messié est rejoint par Erwan Le Louër. Celui qui avait créé la marque de joaillerie éthique Jem (et est devenu le directeur artistique de Le Gramme depuis le retrait des opérations d’Adrien Messié en 2019), lui permet de « synthétiser les fondamentaux utiles » et « cofonder une marque aboutie en 4 mois ». Pendant 7 ans, Adrien Messié dirige l’ensemble de la création, du produit jusqu’à l’univers de présentation. De Dover Street Market à Londres à Colette, le temple de la fashion hype à Paris jusqu’à sa fermeture en 2017, tous les points de vente les plus prestigieux, en mal de marques de bijoux modernes, contemporains et design référencent les collections Le Gramme.

Accumulation de bracelets Le Gramme - rubans lisses 7g - 15g - 21g et 33g en Argent 925 © Benoit Linéro
Exposition Le Gramme "Dans la glace", 2018 - Accumulation de bracelets 33g perforé - 41g lisse brossé - bracelet Câble 9g et ruban 21g lisse poli en Argent 925 © Victoire Le Tarnec

Événementiel

Parallèlement, il cofonde en 2013 avec son ami et associé Nadir Sayah, l’agence H A ï K U. Elle intervient en Direction Artistique globale pour des clubs. Comme toujours avec Adrien Messié, même quand il s’agit de moments et d’endroits pour lâcher prise, tout est carré, rigoureux… mathématique. Inauguré en septembre dernier, leur dernier gros chantier en date concerne le club techno underground Carbone.

Club Carbone © H A ï K U
Club Carbone © H A ï K U

L’agence produit mensuellement des soirées éponymes de musique électronique H A ï K U, en invitant des artistes et DJ, au rayonnement international tels que Dixon, Jennifer Cardini, Bedouin, Âme, Adriatique, &Me, Adam Port, Rampa… « Nous collaborons régulièrement avec les labels référents du secteur musical comme Keinmusik en produisant leurs propres évènements. Le dernier en date, « Lost In A Moment » (concept du label allemand Innervisions) a eu lieu le 10 juillet dernier, en journée, sur le Domaine national de Saint-Germain-en-Laye avec 4000 personnes et vue sur tout Paris ».

Nombre d’or

Enfin, dans sa dernière création pour Théorème Editions, depuis mars 2022, la poésie mathématique d’Adrien Messié saute aux yeux. Pour cette maison d’édition française créée par David Giroire et Jérôme Bazzocchi, il utilise la céramique émaillée craquelée et le bois laqué, et s’inspire de la courbe de Fibonacci, cette séquence de chiffres liée au nombre d’or, qu’il décline en deux premières fonctions : une table à manger sur 3 pieds ainsi qu’un petit meuble versatile ; un tabouret / petit bout de canapé. De nouvelles couleurs et finitions sortent régulièrement, d’autres déclinaisons sont prévues pour 2023 et le prix, inférieur à 800 euros, rend accessible une table en céramique made in France.

Tabourets Fibonacci, inspirés de la courbe de Fibonacci, céramique émaillée craquelée et bois laqué, Théorème Editions, 2022 © Valentino Barbieri
Table Fibonacci, inspirée de la courbe de Fibonacci, céramique émaillée craquelé et bois laqué, Théorème Editions, 2022 © Valentino Barbieri

Cette gamme Fibonacci est une dérivée du projet Villers. Réalisée en commande spéciale et sur mesure pour un couple de particuliers en Normandie en 2021, la table conviviale (260 x 160 cm) devait avoir une forme qui permette d’accueillir de grandes tablées « mais aussi des tête-à-tête sans être éloignés ». En forme de médiator pour les profanes mais selon la courbe de Fibonacci pour les esthètes, le plateau est en pierre de lave de Volvic (caractérisée par ses pores très serrés). Les ondes visibles en surface montre le « temps » qu’il a fallu à la nature pour créer cette matière agréable au toucher. Maxence De Bagneux, artiste pluridisciplinaire et artisan céramiste, a réalisé le piètement. Ces 2 pieds XXL en grès rouge chamotté (qui font écho à la structure en brique rouge de la maison – ancien lavoir) imprimé en 3D, reprennent cette même courbe mais « extrudée », divisés puis éloignés pour obtenir la stabilité nécessaire. L’ensemble a été imprimé et cuit au Pôle Céramique Normandie. « Ce fut une vraie aventure au regard du temps de séchage des pièces avant cuisson, de la nécessité de trouver un four d’une grande capacité, et des nombreuses manipulations », indique Adrien Messié, pas peu fier d’avoir participer à une grande première.

La suite de Fibonacci ? Des marques de bijoux pourraient-elles réveiller l’envie d’Adrien de se plonger dans la création d’objets à porter tout contre soi ? Des marques de mobilier auraient-elles besoin d’un œil neuf et mathématique pour repenser le confort moderne ? En tout cas, une maison d’édition portugaise est sur le point de se lancer, début 2023, avec un objet art déco désigné par Adrien Messié.


Rédigé par 
Isabelle Manzoni

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18/7/2025
Concours Technogym x Intramuros : les Candidatures sont ouvertes !

En partenariat avec Intramuros, Technogym lance un concours pour imaginer l’avenir du fitness à domicile. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 29 août.

Sous le titre évocateur « La Home Gym du Futur », Technogym — marque reconnue pour ses équipements de fitness haut de gamme - lance un concours inédit. Cette initiative vise à mettre en valeur les talents émergents tout en encourageant des idées novatrices, durables et inclusives. En s’appuyant sur les besoins actuels en matière de pratique sportive et en anticipant les évolutions à venir, les participants sont invités à imaginer leur vision de l’entraînement à domicile de demain.

Un jury XXL pour cette première édition

Pour juger les différentes propositions des candidats au concours, les équipes d’Intramuros et de Technogym pourront compter sur l’expertise de 4 professionnels du secteur :

  • Le designer Patrick Jouin (studio Patrick Jouin iD)
  • Natacha Froger (agence atome associés)
  • L’architecte d’intérieur Ana Moussinet (Ana Moussinet Interiors)
  • L’architecte et designer Jean-Philippe Nuel (studio Jean-Philippe Nuel)

Après une délibération des membres du jury le 2 septembre prochain pour sélectionner les finalistes, les projets retenus seront mis en avant sur les réseaux sociaux et présentés au sein de la boutique Technogym pendant  Paris Design Week du 4 au 13 septembre.


Ce concours est l’opportunité pour les jeunes créateurs de faire valoir leur créativité et de gagner en visibilité. En effet, en plus de voir leur projet exposer pendant Paris Design Week, les finalistes pourront profiter de la communication via les canaux de Technogym, Intramuros, NDA et BED et pourront enrichir leur réseau lors de la remise des prix qui aura lieu le 17 septembre prochain. Le lauréat remportera 4 500 € de produits Technogym et vivra une expérience exclusive au Technogym Village à Cesena, en Émilie-Romagne (Italie), aux côtés du jury.

Une démarche d’inscription simple

Pour participer, les candidats devront proposer un brief complet avec un concept design, des planches graphiques et une note descriptive détaillée. Les dossiers devront être envoyés par email à l’adresse suivante : concourstechnogym@intramuros.fr

Tous les documents essentiels relatifs au concours sont disponible vie CE LIEN.

En cas de besoin et demandes spécifique, les candidats peuvent contacter le Technogym Interior Design Service, via Daniela D’Errico à l’adresse : dderrico@technogym.com ainsi que Yanis Aimetti, yaimetti@technogym.com pour le Technogym Marketing support & infos produit.

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9/7/2025
Spinning Around, la collection en mouvement de Sophia Taillet

Présentée en exclusivité dans la nouvelle boutique du Grand Palais, la collection Spinning Around de Sophia Taillet allie une approche artistique à un savoir-faire industriel méconnu : la technique du repoussage. Une série colorée et dynamique, à l’image de la designer qui aime mêler les disciplines.

À l’occasion de la réouverture du Grand Palais et de l’inauguration de sa boutique, Sophia Taillet a imaginé une collection exclusive, intitulée Spinning Around. Un projet qui s’inscrit dans la continuité de son travail amorcé avec le Spinning Mirror présenté lors de la Paris Design Week en 2024 et le travail de recherche Time Erosion, mené suite à l’obtention de la bourse « Monde Nouveau » en 2023. Un projet pour lequel elle a exploré duré un an les liens entre design et danse, en collaboration avec des artisans, un danseur et un ingénieur du son. « J’ai voulu interroger le rapport au corps à travers la manipulation d’objets encore en phase de réflexion. Une fois façonnés par l’artisan, ces objets passaient entre les mains du danseur, qui leur donnait une fonction. Je trouvais intéressant d’intégrer d’autres regards que celui du designer dans le processus et de les présenter par le biais d’une performance. » Une représentation s’était tenue à la Fondation Pernod Ricard, où danse et objets cohabitaient en parfaite synergie.

Collection Spinning Around

Associer matière et mouvement dans l’espace

Partie de ce projet symbolique et du Spining Mirror — remarqué lors de la Paris Design Week 2024 et de la Collective Fair de Bruxelles —, cette collection offre différentes déclinaisons qui mêlent à la fois la matière et mouvement. Les pièces sont faites en verre et en métal, les deux matériaux de prédilection de la créatrice, et réalisés à la commande, dans une dizaine de d’exemplaires pour le moment. Entre jeux de matière, de lumière et de formes évolutives en fonction de la disposition et l’espace dans lequel se trouve l’objet, Spinning Around est une collection qui n’est finalement jamais figée. « J’ai voulu créer une sorte de liberté visuelle au sein de laquelle le mouvement donne vie à l’objet. Le fait que les objets bougent permet de créer des effets visuels qu’on n’aurait pas s'ils étaient immobiles » Et pour cette collection, Sophia Taillet a choisit de se pencher sur la technique du repoussage, un savoir faire dont on parle peu mais qui n’en est pas moins intéressante à explorer. « C’est une technique qui n’est pas forcement médiatisée et je trouvais intéressant de la travailler, d’autant qu’avec mon expérience du verre, je ressens un devoir de transmission des savoir et des techniques. »

Collection Spinning Around

Un rendez-vous donné à la rentrée

En septembre, à l’occasion de la Paris Design Week du 4 au 13 septembre et des Journées du Patrimoine les 20 et 21 septembre, Sophia Taillet investira la cour du musée de la Chasse avec une installation cinétique en plein air, pensée comme une « danse silencieuse ». Neuf pièces de Spinning Mirror seront présentées en dialogue avec l’architecture du lieu. Une performance dansée viendra également accompagner l’installation.

Spinning Mirror
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10/7/2025
Drift chair ou la justesse des lignes

Le studio BrichetZiegler et Théorème Éditions se sont associés pour créer la Drift chair. Une chaise très graphique portée par des lignes fines au service de l'équilibre.

Comme pour chacune de leurs collaborations, David et Jérôme, les fondateurs de Théorème Éditions, dont la galerie eponyme est située sous les arcades du Palais Royal, se sont tournés vers un studio avec une demande : créer un objet sculptural, architectural et monolithique. Un triptyque dans l'air du temps que le studio BrichetZiegler, convié pour l'occasion, a naturellement retranscrit sur une chaise. Une pièce que le duo de créateurs affectionne particulièrement en raison de son échelle. « Une chaise est une surface parfaite car sa dimension permet de s’exprimer de façon sculpturale et plastique tout en abordant les aspects techniques d’un objet qui soutient le corps. » Un terrain de jeu idéal donc, autour duquel les designers ont imaginé une pièce « fonctionnelle et confortable pour dîner, portée par un dessin et une présence visuelle forte. »

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud

Un jeu d'équilibre

Développée en à peine un an et demi avec le savoir-faire d'un menuisier installé à Pantin, la Drift chair – que nous pourrions interpréter par « chaise qui plane » - tire son nom de son assise en porte-à-faux. Supportée par deux planches latérales en guise de pieds, l'assise joue sur l'alternance des pleins et des vides pour offrir, de côté, tout le poids visuel de sa structure, et de face une certaine frugalité structurelle. Deux sensations renforcées par l'utilisation de courbes au niveau des zones de contact pour des questions de confort, mais aussi dans les angles. Une manière d'apporter de la fluidité à cet assemblage égayé par une galette aimantée en cuir lisse ou en tissu Kvadrat choisi par la galerie. En dessous, la surface à bois a été ajourée de manière à diminuer le poids de la chaise – déjà de 7,5kg – et solidifier la structure pour éviter qu'elle ne vrille.

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud

Proposée en chêne et en noyer, la Drift chair est disponible dans une version cérusée où le veinage naturel du bois devient porteur d'un monochrome très graphique. Une alternative utilisée par Joseph Hoffmann dès les années 30 et désormais réinterprétée avec goût par le studio BrichetZiegler.

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud
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9/7/2025
À la CFOC, six décennies d'exploration

Créée par François Dautresme en 1965, la Compagnie Française de l'Orient et de la Chine (CFOC) fête ses 60 ans. À cette occasion, Valérie Mayéko Le Héno, architecte DPLG et directrice artistique depuis 2016, évoque les évolutions de cette société indissociable des savoir-faire asiatiques.

Voyageur passionné et aventurier en quête de nouveautés, François Dautresme a fondé la CFOC en 1965. Quelle place occupe aujourd'hui son héritage dans l'identité de la marque ?

En tant que directrice artistique de la marque depuis 2016, je crois pouvoir dire que la manière dont nous travaillons est assez proche du concept de départ puisque nous continuons de voyager beaucoup à travers l'Asie. C'est important de garder un pied dans cette zone, où se trouve une douzaine de pays avec lesquels nous collaborons, mais aussi au-delà – en Italie pour l'édition textile, au Maroc pour les éponges et la broderie, au Portugal pour le travail de l'acier et des couverts, et au Mexique pour la fibre de palme -, car ce que nous cherchons, c'est avant tout un savoir-faire particulier ou de nouvelles techniques. Nous partageons de fait la passion de l'artisanat, mais aussi le plaisir de trouver des ateliers familiaux, des petites structures. Cette notion est très importante pour nous, car depuis 1965, l'idée est de valoriser des produits manufacturés. À travers ça, l'héritage principal est sans doute celui d'être du contact.

Tapis Ombrelle Sépia ©CFOC

La place du geste est donc véritablement importante au sein de la CFOC, mais comment concilier les savoir-faire anciens et asiatiques avec les besoins des consommateurs européens ?

Il y a longtemps eu un gap entre nos deux régions. Il y a encore une quinzaine d'années, les arts de la table en Chine se limitaient majoritairement à des bols et à des baguettes tandis qu'il était coutume de s'asseoir proche du sol en Asie alors nous avions tendance à nous asseoir de plus en plus haut en Europe. Il a donc fallu adapter tout cela à nos usages. Dès les années 90, à l'époque où la CFOC proposait principalement du mobilier chiné, souvent aux Puces de Pékin, François Dautresme a commencé à dessiner des éléments destinés au marché français. Un premier pas que nous avons complètement généralisé en 2011-2012, en insufflant à la compagnie alors en perte de vitesse, une nouvelle vision davantage adaptée à nos modes de vie, aux usages.

Collection Lotus ©CFOC

Et comment cela se traduit-il en termes de création ?

Nous avons voulu faciliter l'échange de regard entre l'Europe et l'Asie. Un bureau de style est ainsi né à Paris. Nous y travaillons à deux pour ce qui est de la conception design, plus une troisième personne chargée de la production. Celle-ci est principalement basée en Asie, car nous n'avons pas d'intermédiaire, et c'est elle qui nous permet de développer des produits sur le long terme – généralement entre 4 et 10 mois – et d'entretenir des relations pérennes avec les ateliers pour ne pas être sur du one-shot. Pour la majorité d'entre eux, notre collaboration oscille entre 8 et 10 ans, et c'est ce qui nous permet de pousser les savoir-faire et développer de nouveaux produits.

Table basse ultra noir en chêne teinté ©CFOC

L'une des richesses de la CFOC, c'est également l'étendue des matériaux travaillés. Comment les réinvente-t-on pour ne pas tourner en rond au bout de 60 ans ?

En fait, la question est surtout technique. Ce sont généralement des déclinaisons. Par exemple pour la laque, dans les années 50 à 70, on ne trouvait que des couleurs naturelles. Progressivement, on a évolué vers des colorants alimentaires pour diversifier les teintes, sans pour autant perdre le savoir-faire ancestral à base de sève de laquier. Cette année, nous proposons par exemple deux nouvelles couleurs, le bleu jun et l'ambre jun que nous avons travaillé avec notre coloriste basé dans un village près de Hanoï, au Vietnam. Pour ce qui est du tissu, la CFOC évolue notamment en passant de fibres naturelles à des fibres textiles pour répondre à des besoins spécifiques. C'est le cas de notre tapis tressé Kilim (une technique indienne) où le jute est remplacé par de la laine.

Lampe de chevet Naméko en porcelaine et laiton et courtepointe Samarcande en velours de soie et lin ©CFOC

De manière plus précise, comment avez-vous pensé la collection anniversaire ?

Elle a été guidée par une démarche en quelque sorte historique. J'ai réuni les origines de la CFOC en me replongeant dans de vieux articles de presse, des archives photographiques des anciennes boutiques et leurs vitrines aux scénographies imaginées par François Dautresme, mais aussi des produits dans les catalogues de vente. Bref, je me suis immergé dans la riche histoire de la société et j'ai confronté le passé et le présent. C'est ça qui m'a amené à développer la forme des ombrelles pour nos tapis, le concept de naturalité, le travail du pojagi – une méthode de couture que l'on peut rapprocher du patchwork -, le velours de soie que l'on retrouve sur les contrepointes Samarcande travaillées avec du lin par des artisanes brodeuses, sans oublier la réédition d'objets dans le rouge CFOC. Tous ces axes nous ont permis de créer des pièces en série limitées ou numérotées.

Tabourets signature en coloris bleu jun, verveine et blanc ©CFOC

Sur le plan commercial, la CFOC s'est progressivement ouverte au B2B. Qu'est-ce que cela a changé dans votre approche et quels sont les prochains défis à venir ?

Effectivement ! Depuis plusieurs années, nous développons le B2B pour proposer nos services des chefs ou des établissements hôteliers. C'est une autre manière de voir les choses. L'un de nos projets significatif est certainement la réalisation de pièces sur mesure pour l'hôtel SO/ Paris réalisé par le cabinet RDAI et livré en 2022. Parallèlement à ces nouveaux marchés, nous souhaitons également développer notre notoriété et étendre notre réseau aujourd’hui composé de trois boutiques sur Paris et de revendeurs en région. Nous réfléchissons donc à ouvrir un nouveau showroom ou des pop-ups store dans des zones balnéaires.

Plateau haut Étamine ©CFOC
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