Adrien Messié, l’équation entre design et artisanat d’art
© Emmanuel Durand

Adrien Messié, l’équation entre design et artisanat d’art

Faire simple, il n’y a pas plus compliqué. Adrien Messié en sait quelque chose. Toute sa carrière de designer, depuis la direction des licences et des partenariats au Studio Andrée Putman à la création de mobilier, en passant par la DA de Le Gramme, qu’il a cofondé, sans oublier les événements qu’il éditorialise via l’agence H A ï K U, a été jusqu’ici vouée à la recherche de cette nue perfection.


L’univers d’Adrien Messié peut tour à tour être délicat et sensible, rigoureux et précis ou alors très électrisant. Dans un dédale de courbes, de lignes, de séquences, de fractales et de tangentes qu’il manie à l’échelle nano, pour ses bijoux masculins ou en format XXL, pour son projet Villers (une table de plusieurs centaines de kilos en pierre de lave et terre cuite imprimée en 3D destinée à accueillir jusqu’à 14 convives), son monde intérieur recèle plein de surprises. On ne le voit pas forcément, mais ce que l’on devine à travers le fruit de ses recherches, c’est qu’Adrien Messié est très sensible à la magie des chiffres. Qu’il vibre face aux forces de la nature qui dans un parfait ordre cosmique donnent un sens au beau, une cohérence. « Une évidence » préfère-t-il dire.

Table sur mesure Villers, designée par Adrien Messié et réalisée en collaboration avec l'artiste céramiste Maxence de Bagneux © Emmanuel Durand

Proximité créative

Formé aux industries créatives et à l’univers du luxe, Adrien Messié commence son parcours créatif auprès d’un très grand nom du design, Andrée Putman. Il intègre son agence en 2004. Il aime à dire qu’il y a « infusé »… autant qu’il s’y est enrichi en bénéficiant de la proximité de (futurs) créatifs de renom « tant l’agence était un véritable incubateur » tient-il à souligner. Élise Fouin, Rodolphe Parente, Antoine Simonin, Bertrand Thibouville Nicolas Dorval Bory ou encore Maximilien Jencquel ont été ses collègues. De stagiaire, il termine directeur des Éditions et Licences. Il y développe des collaborations avec les plus grandes marques et éditeurs internationaux avec en autres des collections avec Christofle, Emeco, Nespresso, La Forge de Laguiole ou encore Fermob.

Émotion

Son tropisme naturel vers les mathématiques n’est pas encore révélé quand il imagine le concept Le Gramme en 2012. Et pourtant. Ce projet, dont la raison est la création d’objets portés ou fonctionnels déclinés des formes élémentaires en métaux précieux – or 750 ou argent 925 – et nommés par leur poids en grammes, semble sortir d’un cerveau de scientifique.

Bracelets rubans lisses 7g - 15g - 21g - 33g et 41g en Argent 925 - Argent Noir 925 et Or jaune 750 sur présentoirs Le Gramme inspirés des ``éclatés de la Beauchêne``, en Corian Blanc et marbre noir Marquina © Victoire Le Tarnec

Quand il raconte sa genèse, on entre dans le registre de l’émotion. « Ma sœur m’avait ramené de voyage un petit ruban en argent ultra simple, pur et sans fioritures. Je lui ai cherché en vain des « frères » afin de le porter « en fratrie » à mon poignet, comme une sorte de monade. Je me suis résolu à le faire faire en France chez un petit artisan dont le discours s’apparentait à celui d’un alchimiste… Au moment de payer les trois prototypes, le faiseur m’explique qu’il y a deux coûts à additionner : le temps de façon d’un côté et de l’autre le poids de la matière “utile” pour la confection de chaque pièce » se souvient-il. Pour plus de facilité, chaque prototype est nommé en fonction de son poids en gramme. 7, 15 et 21, puis 33 et 41 sont les petits noms des 5 premiers bijoux et Grammes leur nom de famille. Bientôt ce sera Le Gramme.

Fermoir du bracelet Câble crée en 2018, façonné intégralement du même matériau (Or jaune 750), jusqu'à la vis de montage (en étoile) à l'intérieur © Le Gramme

Fondamentaux utiles

Les prototypes au poignet, le nom en tête, Adrien Messié est rejoint par Erwan Le Louër. Celui qui avait créé la marque de joaillerie éthique Jem (et est devenu le directeur artistique de Le Gramme depuis le retrait des opérations d’Adrien Messié en 2019), lui permet de « synthétiser les fondamentaux utiles » et « cofonder une marque aboutie en 4 mois ». Pendant 7 ans, Adrien Messié dirige l’ensemble de la création, du produit jusqu’à l’univers de présentation. De Dover Street Market à Londres à Colette, le temple de la fashion hype à Paris jusqu’à sa fermeture en 2017, tous les points de vente les plus prestigieux, en mal de marques de bijoux modernes, contemporains et design référencent les collections Le Gramme.

Accumulation de bracelets Le Gramme - rubans lisses 7g - 15g - 21g et 33g en Argent 925 © Benoit Linéro
Exposition Le Gramme "Dans la glace", 2018 - Accumulation de bracelets 33g perforé - 41g lisse brossé - bracelet Câble 9g et ruban 21g lisse poli en Argent 925 © Victoire Le Tarnec

Événementiel

Parallèlement, il cofonde en 2013 avec son ami et associé Nadir Sayah, l’agence H A ï K U. Elle intervient en Direction Artistique globale pour des clubs. Comme toujours avec Adrien Messié, même quand il s’agit de moments et d’endroits pour lâcher prise, tout est carré, rigoureux… mathématique. Inauguré en septembre dernier, leur dernier gros chantier en date concerne le club techno underground Carbone.

Club Carbone © H A ï K U
Club Carbone © H A ï K U

L’agence produit mensuellement des soirées éponymes de musique électronique H A ï K U, en invitant des artistes et DJ, au rayonnement international tels que Dixon, Jennifer Cardini, Bedouin, Âme, Adriatique, &Me, Adam Port, Rampa… « Nous collaborons régulièrement avec les labels référents du secteur musical comme Keinmusik en produisant leurs propres évènements. Le dernier en date, « Lost In A Moment » (concept du label allemand Innervisions) a eu lieu le 10 juillet dernier, en journée, sur le Domaine national de Saint-Germain-en-Laye avec 4000 personnes et vue sur tout Paris ».

Nombre d’or

Enfin, dans sa dernière création pour Théorème Editions, depuis mars 2022, la poésie mathématique d’Adrien Messié saute aux yeux. Pour cette maison d’édition française créée par David Giroire et Jérôme Bazzocchi, il utilise la céramique émaillée craquelée et le bois laqué, et s’inspire de la courbe de Fibonacci, cette séquence de chiffres liée au nombre d’or, qu’il décline en deux premières fonctions : une table à manger sur 3 pieds ainsi qu’un petit meuble versatile ; un tabouret / petit bout de canapé. De nouvelles couleurs et finitions sortent régulièrement, d’autres déclinaisons sont prévues pour 2023 et le prix, inférieur à 800 euros, rend accessible une table en céramique made in France.

Tabourets Fibonacci, inspirés de la courbe de Fibonacci, céramique émaillée craquelée et bois laqué, Théorème Editions, 2022 © Valentino Barbieri
Table Fibonacci, inspirée de la courbe de Fibonacci, céramique émaillée craquelé et bois laqué, Théorème Editions, 2022 © Valentino Barbieri

Cette gamme Fibonacci est une dérivée du projet Villers. Réalisée en commande spéciale et sur mesure pour un couple de particuliers en Normandie en 2021, la table conviviale (260 x 160 cm) devait avoir une forme qui permette d’accueillir de grandes tablées « mais aussi des tête-à-tête sans être éloignés ». En forme de médiator pour les profanes mais selon la courbe de Fibonacci pour les esthètes, le plateau est en pierre de lave de Volvic (caractérisée par ses pores très serrés). Les ondes visibles en surface montre le « temps » qu’il a fallu à la nature pour créer cette matière agréable au toucher. Maxence De Bagneux, artiste pluridisciplinaire et artisan céramiste, a réalisé le piètement. Ces 2 pieds XXL en grès rouge chamotté (qui font écho à la structure en brique rouge de la maison – ancien lavoir) imprimé en 3D, reprennent cette même courbe mais « extrudée », divisés puis éloignés pour obtenir la stabilité nécessaire. L’ensemble a été imprimé et cuit au Pôle Céramique Normandie. « Ce fut une vraie aventure au regard du temps de séchage des pièces avant cuisson, de la nécessité de trouver un four d’une grande capacité, et des nombreuses manipulations », indique Adrien Messié, pas peu fier d’avoir participer à une grande première.

La suite de Fibonacci ? Des marques de bijoux pourraient-elles réveiller l’envie d’Adrien de se plonger dans la création d’objets à porter tout contre soi ? Des marques de mobilier auraient-elles besoin d’un œil neuf et mathématique pour repenser le confort moderne ? En tout cas, une maison d’édition portugaise est sur le point de se lancer, début 2023, avec un objet art déco désigné par Adrien Messié.


Rédigé par 
Isabelle Manzoni

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17/12/2025
MAISON PERRIER® Art Prize lance sa première édition

Avec le MAISON PERRIER® Art Prize, Perrier crée un concours international pour soutenir et accompagner les artistes émergents en arts visuels.

C’est un nom que l’on associe davantage à la finesse des bulles qu’au monde de l’art. Et pourtant, Perrier n’a cessé de collaborer avec de grandes figures artistiques. De l’Américain touche-à-tout Andy Warhol au publicitaire français Raymond Savignac, jusqu’à Philippe Starck qui célébrait en 2023 les 160 ans de la petite bouteille verte. Une relation durable que la marque honore aujourd’hui sous un nouveau jour ; celui de la création contemporaine. C’est en effet dans cette continuité que Perrier annonce la première édition du MAISON PERRIER® Art Prize, un concours imaginé pour soutenir la nouvelle scène dans le domaine des arts visuels, et plus particulièrement la peinture et le dessin. L’occasion pour la marque de soutenir des artistes émergents en leur offrant un accompagnement financier et une reconnaissance internationale. Pour cette première édition, l’entreprise s’est entourée d’un jury aux profils diversifiés :

  • Laurent Le Bon, président du Centre Pompidou à Paris
  • Fabrice Bousteau, critique d’art, journaliste, conservateur et rédacteur en chef de Beaux Arts Magazine et du Quotidien de l’Art
  • Jimena Blázquez Abascal, directrice du Centro Andaluz de Arte Contemporáneo (CAAC) à Séville
  • Cathia Lawson-Hall, cofondatrice du Comité d’acquisition Afrique du Centre Pompidou
  • Thomas E. Moore III, directeur exécutif de l’American Friends of the Louvre

Un corpus présidé par l’artiste ghanéen Amoako Boafo, figure majeure de l’art contemporain et reconnu pour ses portraits monochromes réalisés au doigt. Un travail pictural qui a valu, à cet ancien étudiant de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, le prix Walter Koschatzky Art Prize.

Un prix destiné aux artistes

Ouvertes jusqu’au 31 mars à minuit, les candidatures sont destinées aux artistes âgés d’au moins 25 ans et titulaires d’un diplôme en école d’art ou d’un établissement d’enseignement supérieur en arts plastiques, arts appliqués ou design graphique. La sélection s’appuiera sur un portfolio d’œuvres originales réalisées au cours des cinq dernières années, accompagné d’un court texte présentant la pratique, les influences et les ambitions des candidats. Le lauréat de cette première édition sera désigné courant mai par Amoako Boafo. Il bénéficiera d’une résidence artistique et d’un programme de mentorat de six semaines à Accra, au Ghana, au sein de la résidence dot.ateliers fondée par l’artiste. Ce premier temps d’accompagnement se poursuivra en 2027 avec la création d’une édition limitée MAISON PERRIER®, destinée à révéler la vision du lauréat au public international. Une perspective réjouissante, qui mériterait sans aucun doute un petit verre de bulles.

L'artiste Amoako Boafo ©MAISON PERRIER® Art Prize
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9/12/2025
Le Tabouret de Jean Prouvé réinventé pour La Source Garouste

Pour sa 28e édition, La Source Garouste s'est emparée du Tabouret de Jean Prouvé. Un classique de l’architecte et designer, repensé en 55 versions alternatives prochainement proposées aux enchères.

C’est un exercice auquel certains designers, créateurs de mode ou architectes sont désormais fidèles. Pour cette 28e édition, l’association La Source Garouste s’est entourée de 55 créateurs pour réinventer, tant fonctionnellement qu’esthétiquement, le Tabouret de Jean Prouvé. Icône du design offerte par la maison d’édition Vitra, la pièce devient pour l’occasion un véritable support d’expression artistique et caritatif. Une complémentarité engagée dès 1991 par le couple d’artistes Elizabeth et Gérard Garouste, afin de soutenir des actions contre l’exclusion sociale. Visibles durant trois jours, du samedi 13 au lundi 15 décembre dans l'Hôtel de l’Industrie, place Saint-Germain-des-Prés à Paris, les pièces seront vendues aux enchères à partir de 500 euros. La vente, qui se déroulera le lundi à 20 heures, sera accessible sur place et via Piasa Live et Drouot.com. En guise d’avant-goût, la rédaction d’Intramuros a sélectionné cinq pièces coup de cœur.

Pierre Bonnefille

« J’ai choisi de travailler sur deux pièces en partie et contrepartie. Lorsqu’on les regarde, ce sont deux tabourets qui retranscrivent une part de mon univers, à la fois temporel et matiériste. On peut d’ailleurs voir un lien entre ma proposition et la philosophie de Jean Prouvé par la symbolique du temps, la pérennité. En effet, j’ai imaginé une relation temporelle en laissant la partie laquée originale opposée à une intervention très visuelle réalisée à base de carbone et d’oxyde de fer. Malgré ce contraste, le design final de ma création est une recherche d'équilibre, une conversation avec le temps… »

« Résonances », Pierre Bonnefille ©Hugo Miserey

Alice Gavalet

« Pour ma galerie à New York, j’ai fabriqué des guéridons qui comportent un piètement à base carrée avec un plateau rond, comme une pièce d’échec. C’était donc une évidence pour moi de réaliser un guéridon à partir du tabouret Prouvé. Pour qu'il fasse entièrement partie de mon univers, tous les éléments ajoutés sont en céramique et ont été fabriqués dans mon atelier, à Nogent-sur-Marne. Le plateau et les boules sont des éléments que j’ai repris de mes créations passées, et le tout est recouvert de motifs de couleurs vives travaillées comme une peinture. Outre le fait que ce guéridon devienne une pièce de mobilier unique et vivante, j’aime la notion de contraste qui s’en dégage, entre le froid, la sagesse de la pièce initiale, et la chaleur, la vivacité des couleurs de mes ajouts. Si Jean Prouvé a su mêler l’artisanat et l’industrie pour adapter son travail fonctionnellement et ergonomiquement, je suis loin de toutes ces préoccupations. Je pense les objets comme des pièces uniques, à la limite de l’utilitaire. Ma réinterprétation habille le tabouret sans l’abîmer. Les deux éléments que sont le plateau et la lampe sont liées, alors que l’œuvre de Jean Prouvé reste totalement indépendante. J'ai appelé ma création "Cartes sur table", comme un livre d’Agatha Christie car ce guéridon pourrait faire partie d'un décor intrigant, ponctué d'objets de différentes origines. »

« Cartes sur table », Alice Gavalet ©Hugo Miserey

Julien Gorrias - Carbone14.studio

« Jean Prouvé est au cœur de mon travail. Sa philosophie m’a inspirée dès mes études à l’ENSCI–Les Ateliers où la cour de l’école porte d'ailleurs son nom. Au premier abord, j’étais donc très impressionné par cette pièce très iconique, mais je ne voulais pas trop me limiter. En l’examinant de plus près et en la démontant, j’ai compris très clairement sa structure. Ma démarche a été de la détourner tout en respectant son essence et son intégrité. Pour cela, j'ai voulu évoquer les années 60 et l'imaginaire américain, c'est-à-dire les structures métalliques au bord des routes et ce moulin en métal des westerns. Ces éléments font écho à Prouvé et à l’esprit de cette époque. Je me suis d'ailleurs inspiré d’une chanson de Michel Legrand écrite en 1968, date connue pour son changement de cycle de la société, qui ouvre le film "L’Affaire Thomas Crown". Même si le design n’est pas initialement pensé pour des pièces uniques, cette œuvre rappelle l’importance de la poésie et le pont avec les objets du quotidien. Je crois que c’est avant tout une sensibilité que j’ai voulu partager. Et pour cela, quoi de mieux que de rajouter des ailes pour que l'objet s’envole et une lampe pour qu’il éclaire ? Je me suis fait aider d’Estampille 52 pour le bois, de Maud Ruby pour les plumes. Le reste, c'est du remploi que j’ai trouvé dans mon atelier. En voyant la création finale, certaines personnes évoquent Jean Tinguely. Je suis passionné par ces pièces cinétiques, qui nous invitent à regarder et qui nous permettent de rêver. Les moulins sont des objets fascinants dont les mouvements induits par le vent restent toujours hypnotisants. Cette création est avant tout une pièce de fascination. »

« The Windmills of Your Mind » (les moulins de mon cœur), Carbone 14 Studio ©Hugo Miserey

Baptiste Donne - NOCOD studio

« Notre proposition est un clin d’œil facétieux à l’héritage de Jean Prouvé. Nous aimons détourner les codes et raconter des histoires avec chacun de nos projets. Et pour celui-ci, le propos étant de créer une pièce unique, nous voulions que les codes industriels de Prouvé rencontrent un savoir-faire artisanal d’exception. Cette pièce ayant suscité notre curiosité, l’assemblage du piètement s’est très vite imposé à nos yeux comme un indice, une invitation à ouvrir l’objet en deux. En le déployant selon son axe, le tabouret s’est offert tel un éventail métallique, révélant en son cœur une tôle polie miroir à l'aspect sensible. Cette approche était une manière de révéler un champ des possibles vraiment intrigant, mais c’était aussi un clin d’œil à la tôle pliée, si chère au designer, qui ici semble consubstantielle à l'objet. »

« À ouvrir avec soin », NOCOD studio ©Hugo Miserey

Chady Najem

« Avec "Main de fer, gant de velours", réalisé avec VLD Paris, L’Atelier des Étoffes et Dedar, nous avons voulu confronter la rigueur du Tabouret original de Jean Prouvé à un geste plus instinctif. L’objet originel, pensé avec une logique quasi industrielle, est fonctionnel, précis, mais aussi froid et rigide. Nous avons choisi d’y introduire une faille. Les incisions du métal ne sont pas de simples blessures, ce sont des gestes assumés, proches des entailles de Lucio Fontana, qui ouvrent un espace, une dimension plus expressive. En décapant la laque d’usine, nous avons révélé le métal nu, brut, avec ses variations et ses imperfections. Cependant, l’assise en velours de mohair offre un contrepoint calme, une douceur assumée. La pièce naît de cette tension. Elle reflète notre manière de conjuguer rationalité et émotion, en conservant la précision du plan initial de Jean Prouvé, et en apportant une poésie liée aux matières. C’est une question d’équilibre, de justesse. En mettant à nu le métal, il y avait également une forme de sincérité de la matière, une solidité évidente caractéristique. Détériorer la matière était une forme d’hommage passant par la confrontation. Ayant grandi au Liban, au milieu d’immeubles éventrés par la guerre, j’ai appris très tôt à reconnaître la beauté dans la blessure, dans ce qui reste debout malgré tout. "Main de fer, gant de velours" en garde l'empreinte. C'est une structure éprouvée, mais jamais effondrée. Le velours n’efface pas ces traces, il apporte une respiration, une douceur. »

« Main de fer, gant de velours », Chady Najem ©Chady Najem
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5/12/2025
Le nouvel hommage coloré de Monoprix aux années 70

Pour son troisième acte dédié au patrimoine de l’enseigne Prisunic, Monoprix signe un ensemble de rééditions emblématiques des grands noms du design des années 70. L’occasion pour la marque de réaffirmer son lien avec le design et son rôle de passeur entre patrimoine et création contemporaine, sur fond de création accessible à tous.

Pour la troisième fois, Monoprix célèbre le design des années 70 avec une nouvelle collection capsule. Majoritairement issues des catalogues Prisunic, les assises en tubulaire, les tables laquées et les luminaires aux courbes généreuses composent cette édition fidèle et contemporaine, teintée de couleurs pop. L’occasion pour Odil Mir, Jean-Pierre et Maryvonne Garrault ou Henri Delord de signer quelques variations de leurs créations, faisant dialoguer héritage et modernité. En charge de cet événement, Cécile Coquelet, directrice de la création chez Monoprix et responsable du bureau de style, de l’image, du merchandising et des collaborations, a répondu à cinq questions pour mieux cerner les enjeux de cette joyeuse collection, visible jusqu’au dimanche 7 décembre au 5 rue Saint-Merri, dans le 4ᵉ arrondissement de Paris.

©Monoprix


Cette présentation était le troisième acte des rééditions Prisunic. Pourquoi avoir voulu de nouveau faire la part belle aux années 70 ?

Effectivement, nous avions déjà consacré la première édition à cette décennie en 2021, parallèlement à une grande exposition qui avait eu lieu au Musée des Arts Décoratifs de Paris pour les 90 ans de Monoprix, puis en 2023 pour la seconde édition. À chaque fois, nous nous sommes intéressés aux années 70 car elles résonnent beaucoup avec les tendances actuelles. C’est une période où le design était très gai, que ce soit par les tubulaires en acier ou les couleurs pop. C’est ce que nous recherchons dans nos rééditions. Les pièces seventies n'ont pas pris une ride. A l’époque elles étaient modernes et design, aujourd'hui elles sont rétro et design, et c'est ce qui plaît !


Pour cette nouvelle édition, vous avez choisi de mettre à l’honneur les créations d’Odil Mir, de Jean-Pierre et Maryvonne Garrault, d’Henri Delord, ainsi que celles du studio Prisunic. Pourquoi cette sélection d’artistes ?

Odil Mir était à l’époque l’une des rares femmes designers présentes dans le catalogue Prisunic. Mais c’est aussi sa vision qui nous a intéressés, puisqu’elle est sculpteuse de formation, et cela se retrouve beaucoup dans ses objets. Ils sont à la fois sculpturaux et organiques, ce qui apporte une vraie légèreté. Ce mélange en a fait une figure importante des années 70.
Concernant Jean-Pierre Garrault, c’est un créateur qui était d’abord peintre, mais qui a vraiment touché à tout. Avec sa femme, Maryvonne, ils ont été designers textile et ont assuré, entre autres, la direction artistique de Formica. Et puis, au-delà du fait que nous rééditions ses pièces pour la troisième fois, il a aussi mené des collaborations très intéressantes avec Henri Delord, que nous souhaitions également remettre à l’honneur.


Dans quelle mesure avez-vous retravaillé les pièces avec les designers ?

Il y a toujours un travail de recherche que nous menons en interne. Cela passe par les catalogues que nous rachetons ou par des propositions issues des archives personnelles des designers. Il faut comprendre que certaines pièces n’ont jamais été éditées, ou alors en très peu d’exemplaires. C’est le cas des pièces d’Odil Mir. Quoi qu’il en soit, cela nous oblige généralement à refaire les fiches techniques. C'est un travail assez laborieux, mais qui nous permet aussi de rencontrer les designers, mais aussi de collaborer avec Yves Cambier, Francis Bruguière et Michel Cultru, les fondateurs de Prisunic. Ce sont souvent de longs échanges pour déterminer les bonnes couleurs, proches des originales, et comprendre comment l'objet était réalisé à l’’époque. Mais il arrive que nous soyons amenés à modifier des pièces qui se sont arrêtées au stade de prototypes. Je pense notamment à la lampe Lune de Jean-Pierre Garrault, qui était à l'origine en plastique. Outre le fait que ce soit très polluant, le plastique est inenvisageable pour de petites séries de 50 à 400 pièces puisque concevoir un moule pour si peu ne serait pas rentable. Nous avons donc opté pour de l'opaline. Finalement, on réfléchit beaucoup, avec la volonté d’être toujours au plus proche du dessin des années 70.

©Monoprix


Dans l’exposition visible jusqu’à dimanche, on retrouve d’autres typologies d’objets. Pourquoi avoir cette diversité ?

Pour la simple raison que Prisunic proposait un éventail d’objets très varié. Par exemple, au milieu des années 50, Andrée Putman avait réalisé des lithographies d’œuvres d’art en séries très limitées et vendues à 100 francs l’unité. En 2025, nous avons réédité des affiches dessinées par Friedemann Hauss en 1969. À l’époque, on retrouvait des motifs Prisunic sur toute une série de petits objets, notamment de la papeterie. C’est ce que nous avons refait pour ce troisième acte, avec des typologies allant du tablier au sac cabas, en passant par la vaisselle.
D’ailleurs, lorsque l’on parle d’archives, c’est vraiment cela. Le motif que l’on retrouve par exemple sur les assiettes provient d’un motif que notre graphiste Lucie Lepretre a retrouvé au cours d’une brocante sur de vieux objets Monoprix, et qu’elle a redessiné.


On parle de Prisunic et de rééditions, mais Monoprix c’est également des collaborations avec des designers contemporains. Comment cela s’articule ?

Pour bien comprendre, il faut remonter un peu en arrière. Monoprix a été créé en 1931 par les Galeries Lafayette et Prisunic en 1932 par le Printemps. Longtemps, il y a eu une course à l’inventivité, mais Prisunic s’est rapidement distingué avec une première collaboration avec Terence Conran en 1969. Ce fut le début de 18 éditions de catalogues où se sont succédé les designers. Le grand tournant a lieu en 1997 lorsque les deux marques fusionnent. Prisunic garde son bureau de style et Monoprix sa centrale d’achat. De cette fusion naît une première collaboration en 2000, en faisant de nouveau appel à Terence Conran. Puis il y a eu un vide pendant plusieurs années, avant que nous ne décidions de relancer ces collaborations avec India Mahdavi, Axel Chay et Jean-Baptiste Fastrez, mais aussi un partenariat avec l’École Camondo, le magazine Milk ou encore la chanteuse Jain.
L’idée, c’est d’étonner les clients avec de nouvelles choses. Nous sommes très libres, mais avec une stratégie commune : rendre le beau accessible à tous. Et c’est ce que nous avons souhaité avec la collection visible jusqu’à dimanche, rue Saint-Merri à Paris.

©Monoprix
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4/12/2025
Au mobilier national, l’Inde et la France au fil des échanges

Le Mobilier national présente « Ce qui se trame. Histoires tissées entre l’Inde et la France » jusqu’au 4 janvier 2026. Une exposition retraçant les liens entre l’Inde et la France par le prisme du textile. Une épopée historique et culturelle mais avant tout stylistique.

Entremêlé d’influences, le dialogue entre l’Inde et la France s’écrit depuis des siècles dans les fibres mêmes du textile. L’exposition « Ce qui se trame. Histoires tissées entre l’Inde et la France », visible au Mobilier national du 4 décembre au 4 janvier 2026, en révèle toute la richesse. Des ateliers des palais indiens du XVIIᵉ siècle aux maisons de couture contemporaines, le parcours évoque la manière dont les relations entre les deux pays ont façonné les esthétiques. Une mise en avant, fruit d’un engagement formulé par Emmanuel Macron lors de son voyage en Inde en 2024, souhaitant une manifestation majeure consacrée aux métiers d’art entre les deux pays. Soutenu par l’Institut français, qui organise un festival en quatre jours, l’événement parisien accueillera deux journées professionnelles les 4 et 5 décembre, puis deux journées ouvertes au public les 6 et 7 décembre, ponctuées d’ateliers, de conférences et de performances. L’occasion de découvrir sous un angle différent les pièces européennes, souvent repensées pour l’occasion, et les œuvres réalisées auprès d’institutions indiennes, dont la Villa Swagatam. Pour mettre à l’honneur cette rencontre culturelle, l’exposition a été imaginée par deux grands amoureux de l’Inde. Ainsi, le commissariat est assuré par Mayank Mansingh Kaul, chercheur et conservateur de New Delhi, figure majeure de l’étude des textiles indiens postcoloniaux. Auteur de nombreuses publications, il construit ici un récit largement culturel, mis en lumière par Christian Louboutin, scénographe de l’exposition.

Exposition "Ce qui se trame. Histoires tissées entre l'Inde et la France", Mobilier national. © Sophia Taillet

Un héritage tissé au fil des siècles

Depuis l’Antichambre, première pièce de l’exposition, dans laquelle un imprimé indien habille l’entièreté d’un salon français du XVIIᵉ siècle, le visiteur est invité à pénétrer un univers où s’entremêlent les cultures, et par-delà, les savoir-faire. Car, outre les techniques traditionnelles comme le bloc xylographique et la teinture naturelle réalisés par les artisans de House of Kandandu, c’est sur un monde caractérisé par la précision des gestes et la pluralité des motifs que l’exposition s’ouvre. Conçue comme un fil à tirer, l’exposition met à l’honneur les créations finales, mais également les fibres dont elles sont issues. Des liens qui, sous les mains des artisanes de l’époque, ont façonné la mode, honorant tantôt les mousselines, tantôt les broderies. Des techniques devenues au fil des siècles un héritage immémorial, habillant encore notre monde contemporain. Car, outre l’histoire des étoffes et les techniques d’un autre temps ayant perduré jusqu’à nous, c’est également un regard teinté d’art que l’exposition met en avant. Si l’on parle de tissu, la mode s’offre au visiteur comme une évidence. Mais, au-delà de cette section, c’est également un ensemble de médiums comme la porcelaine, la photographie ou l’art pictural qui sont mis à l’honneur. Une diversité, fruit d’une inspiration mutuelle entre deux civilisations guidées par le goût des innovations et des styles, du motif floral aux brocarts colorés. Une rencontre entre des influences désormais mondialisées, mais avant tout un langage sensible partagé par les artisans d’hier et les artistes d’aujourd’hui. Une manière de montrer qu’un lien durable demeure dans cet artisanat séculaire.

Légende : Exposition "Ce qui se trame. Histoires tissées entre l'Inde et la France", Mobilier national. © Sophia Taillet

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