Toni Grilo, le dialogue et la matière

Toni Grilo, le dialogue et la matière

Cette dernière décennie, beaucoup de créateurs et entrepreneurs, notamment français, se tournent vers le Portugal. Cet engouement interroge… Qualité de vie, entreprises en plein croissance ? Le design portugais forge peu à peu son identité, et s’expose, comme on a encore pu le constater au dernier Maison & Objet.  Et c’est en partie à Toni Grilo que l’on doit cette visibilité. Designer et directeur artistique, il s’attèle, depuis 10 ans, à faire connaître les savoir-faire de ce pays.  Parcours d’un designer engagé.


Né à Nancy en France en 1979, diplômé de l’Ecole Boulle en 2001, Toni Grilo a choisi de retrouver ses racines en s’installant à Porto, grande ville dans la région du nord où sont localisées la plupart des industries de l’ameublement. D’autres amis et collaborateurs designers ont fait de même, Noé Duchaufour-Lawrance, Gabriel Tan, unis par le désir de valoriser l’artisanat local en ouvrant boutiques et galeries, tout en portant un autre regard. « Mais il faut travailler dur pour se faire accepter en tant que designer. Ce n’est pas encore une démarche intégrée dans la culture portugaise » explique-t-il. À ses débuts, il proposait ses dessins aux fabricants traditionnels, mais le courant ne passait pas. Avec le temps et de la persévérance, la connaissance pointue du terrain des techniques et des matériaux, il a initié des collaborations en tant que directeur artistique, avec des entreprises en demande d’ouverture afin de leur proposer une autre perspective économique, plus haut de gamme (Sofalca,Riluc).

Lampe de table Spin, design Toni Grilo pour Marm

Un attrait pour le liège

En 2014, il sollicite Sofalca, une manufacture familiale, comme souvent au Portugal, spécialisée dans la transformation du liège noir depuis 1966. À partir de ce matériau naturel un peu ancré dans les seventies, l’entreprise fabrique bouchons, parquet, chaussures, casques… De ce qu’il reste de l’arbre, les branches d’un côté, le bois de l’autre, est chauffé avec de l’eau à 400° puis injecté dans des moules. On obtient des blocs de liège expansé épais beaucoup plus légers devenus, par effet de la chaleur, plus foncés. À partir de cette nouvelle innovation en liège noir, 100 % recyclable à l’infini, s’en est suivi le lancement de BlackCork, une marque qui développe du mobilier design. « Toutes les formes sont arrondies à cause de la fragilité de la matière. Je refuse d’y ajouter de la colle ou de la résine. » L’autre marque promue par l’entreprise, Gencork, conçoit des panneaux acoustiques et isolants aux formes génératives et design futuriste, destinés aux architectes.

Chaise Cut, BlackCork

Construire un dialogue

Intermédiaire entre le dessin et le fabricant, Toni Grilo souligne que la gestion et la démarche, dans le processus de création et de fabrication, auprès des industriels portugais, sont très différentes de celles qu’il a vécues en France. « Il faut aller voir les gens, prendre le temps de déjeuner avec eux, les mettre en confiance, faire passer le côté convivial avant tout, » raconte-t-il. En cherchant à développer un design qui n’existait pas au Portugal, il reconnaît qu’il y a encore du chemin à faire. Il suit également de jeunes designers auprès desquels il prodigue conseils et recommandations. « Dès la conception, on doit maîtriser les techniques (machines, propriétés des matériaux), un peu comme un cuisinier qui doit connaître les aliments avant d’élaborer une recette. Je construis un dialogue afin de faire le projet en commun. En revanche, je ne suis pas un agent, mais designer et directeur artistique qui accompagne les marques et les créateurs dans leur démarche. »

Collection Dartagnan, design Toni Grilo pour Haymann

Transmettre l’identité portugaise

Son travail personnel puise ses inspirations dans les classiques du design et l’artisanat portugais. Il y revient aujourd’hui, en grand praticien des matériaux, depuis la création de la lampe Marie (2012), lancée avec David Hayman, une forme commune déclinée en marbre de Carrare, aluminium poli, liège, ou pour le même éditeur la collection Dartagnan en bois et cuir. Chez Riluc, le Many Wordls sofa est devenue une pièce sculpturale iconique produite en édition limitée comme le Bibendum lounge chair en 2019, tandis que le tout nouveau Elixir bar trolley, met en exergue la beauté de l’acier et du verre.

Chaise Bidendum, design Toni Grilo

Quant à la petite chaise Canoa tout en bois brut redessinée par Toni Grilo, elle est un modèle très courant au Portugal, emblématique du design populaire anonyme. « Ce qui m’intéresse c’est la relation humaine que je tisse avec les personnes que je rencontre; une fois que j’ai réalisé une pièce même complexe, je passe à autre chose et c’est oublié ». Porte-parole du design portugais avec une oœuvre prolifique, très aboutie dans la compréhension et l’appropriation des formes et des matériaux, Toni Grilo transmet avec générosité et simplicité son savoir-faire pour que perdure l’identité du design portugais.

Chaise Line
Chaise Many Worlds

Rédigé par 
Anne Swynghedauw

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24/10/2025
Scarabei, la nouvelle composition de Giopato & Coombes

La marque italienne Giopato & Coombes dévoile Scarabei, un luminaire en aluminium inspirée de la nature.

C’est une collection à regarder à la lumière de ces inspirations. Imaginée par Cristiana Giopato et Christopher Coombes, fondateurs du studio éponyme, Scarabei pourrait être désignée comme une collection biomimétique. Inspirés « par les processus de propagation visibles dans la nature », les designers ont cherché à traduire les notions « de rythme, de répétition et de variation ». C’est donc en considérant la lumière comme un organisme à part entière qu’ils se sont penchés sur la faune, et plus précisément sur le scarabée, un animal symbolisant souvent la métamorphose et la renaissance. Une inspiration à l’origine des petites cavités rappelant, à certains égards, des chrysalides d’où émergent ces insectes. En résulte une série de luminaires née « d'une étude de la modularité expansive » offrant des compositions en équilibre « entre géométrie et variation structurelle ».

Scarabei ©Giopato & Coombes

Les aspérités d’une technique artisanale

D’abord intéressés par l’idée de propagation, les designers ont commencé « par travailler en deux dimensions, sur papier, et par l'intermédiaire de matériaux physiques tels que les croquis au crayon et à l'encre ». Une phase qui a permis aux premières ébauches d’émerger. Ce n’est que dans un second temps que l’étude des formes a débuté, et ce, de manière empirique. « Nous avons d’abord créé des masses à l’aide de papier aluminium puis d’argile. Nous préférions travailler le matériau physiquement et ensuite passer à sa transformation numérique en le scannant en trois dimensions. » Une méthode de travail qui a poussé les deux designers vers le moulage au sable. Une technique artisanale, réalisée dans une fonderie italienne, permettant de combiner les détails des moules en terre réalisés à la main, et la matérialité brute et authentique de la fonte. Réalisé en aluminium, chaque module est ensuite retravaillé à la main et patiné dans l’un des cinq coloris disponibles (aluminium brut, aluminium poli, noirci, bronzé, blanc minéral). Dotés d’une source lumineuse, les dômes concaves sont ensuite refermés avec une lamelle de verre opalin, laissant passer une lumière homogène et permettant à chacun de révéler les aspérités de son voisin. Une cohabitation rappelant, à la lumière de Scarabei, la force de la composition.

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22/10/2025
EspritContract : au sein du groupe Mobliberica, on mise sur la diversité

Les marques Musola, Mobliberica et Dressy, spécialisées dans le mobilier outdoor pour la première et l’indoor pour les deux autres, comptent une expérience de plus de 45 ans. Trois marques réunies au sein d’un même groupe qui permet ainsi d’avoir une offre riche et diversifiée, pour s’adapter au mieux à tous les projets. Analyse auprès de José Martinez, export manager chez Mobliberica.

Pour sa troisième édition, EspritContract se tiendra du 15 au 18 novembre au Parc des Expositions de la Porte de Versailles. Plus d’informations sur : https://www.espritmeuble.com/le-salon/secteurs/secteur-contract.htm

Que représente le secteur contract au sein de votre groupe (produits/projets, ventes...) ?


Mobliberica, la première marque du groupe est née en 1979 et dès ses débuts, la qualité était partie prenante de notre ADN. Cela nous a permis, au cours de ces 46 dernières années, de développer des produits avec des caractéristiques techniques qui les rendent idéal aussi bien pour le canal résidentiel que pour le canal contract, et de nous étendre ensuite à nos autres marques qui sont Musola et Dressy. Le secteur contract a toujours été un domaine d'une grande importance dans l’histoire du groupe, et nous le développons tout particulièrement en ce moment. Cela passe par des collaborations avec designers ainsi qu'avec une équipe interne expérimentée. En résultent ainsi des produits avec un très haut niveau de qualité et de design, développés et fabriqués entièrement au sein de nos usines.

Vous avez également les marques Mobliberica et Dressy dans le groupe. Les projets contract sont-ils connectés entre elles ?


Mobliberica, Musola et Dressy sont trois marques appartenant à la même entreprise, ce qui permet à nos partenaires de mieux comprendre notre offre en différenciant clairement les pièces de mobilier indoor proposées par Mobliberica et Dressy avec l’outdoor à travers Musola. Le fait de proposer des produits pour les différentes zones d’un projet facilite considérablement le travail de nos clients en réduisant le nombre de fournisseurs nécessaires.

Quels changements/évolutions avez-vous observés ces dernières années ?


Les produits contract ne se distinguent plus de ceux produit destinés au résidentiel. C’est donc à nous d’harmoniser et humaniser au maximum les espaces, en les rendant plus confortables et accueillants pour que les produits s’adaptent au mieux aux usages.

Y a-t-il un projet important dont vous aimeriez parler ?


La diversité de notre offre nous permet de participer à des projets très variés, comme le rooftop d’un hôtel sur la Côte d’Azur, un restaurant dans une station de ski dans les Alpes, une bibliothèque à Berlin ou encore des chambres d’un coliving à Paris. Des projets très attractifs au sein desquels la priorité est donnée à la qualité et au design.

Des nouveautés à venir ?


Nous avons un puissant département de développement produit qui nous permet de lancer en permanence des nouveautés intéressantes, en offrant des solutions techniques, des matériaux et des designs pour proposer des solutions innovantes.

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24/10/2025
Jean-Philippe Nuel : de l’architecture au mobilier

L’architecte et designer Jean-Philippe Nuel a livré trois projets architecturaux au cours de l’été. L’occasion pour lui de développer deux nouvelles assises en collaboration avec Talenti et Duvivier Canapés.

Architecte multi-facettes, Jean-Philippe Nuel s’est une nouvelle fois illustré cet été avec la livraison de trois projets hôteliers. Témoignant de son attachement à une « approche contextuelle, fondée sur le sens, l’histoire et la captation d’éléments didactiques », l’architecte décorateur a signé trois cadres de vie aux identités radicalement différentes, mais unis par une même volonté : concevoir des espaces enracinés dans leur territoire et ouverts sur le monde. De la métamorphose du dernier étage du Negresco à Nice, hommage élégant et contemporain à Jeanne Augier, à la création de L’Isle de Leos Hotel & Spa en Provence, imaginé comme une maison d’hôtes intime et chaleureuse, en passant par le Talaia Hotel & Spa à Biarritz, écrin minéral et marin suspendu au-dessus de l’océan, Jean-Philippe Nuel conserve l’idée d’un dialogue entre le lieu, l’architecture et le mobilier. Une approche qui l’a conduit à collaborer avec Talenti et Duvivier Canapés pour développer deux nouvelles gammes, désormais pérennisées par les marques.

Le Talaia Hotel & Spa de Biarritz ©FrancisAmiand

L’espace à l’origine de l’objet

Chez Jean-Philippe Nuel, le mobilier naît rarement d’une idée abstraite, mais plutôt d’un « besoin généré par l’architecture », explique-t-il. « Quand on conçoit une chambre d’hôtel, on a souvent besoin d’un bridge. On ne veut pas d’une simple chaise, mais il faut que l’assise reste manœuvrable pour s’adapter à différents usages. En 2021-2022, j’ai donc dessiné cette pièce, car il en existait en réalité assez peu sur le marché. » Destinée à l’origine à un projet hôtelier avorté à New York, la pièce au design sobre et classique a malgré tout été réalisée par Duvivier Canapés sous le nom de colection Barbara. D’abord implantée dans un hôtel à Reims, elle a fini par trouver sa place au Negresco, dans le cadre de la rénovation estivale. « À l’image de cette pièce, mes objets naissent souvent d’un lieu, d’un besoin précis. Ce n’est que dans un second temps que se pose la question de leur adoption par une marque et de leur intégration dans une collection », précise le designer. C’est notamment le cas d’une autre collaboration, cette fois avec Talenti, imaginée dans le cadre du projet de L’Isle-sur-la-Sorgue. Nommée Riva, la collection s’inspire du nautisme et du quiet luxury. D’abord pensée pour le monde de l’hôtellerie, puis intégrée à des projets de yachting, l’assise, reconnaissable à son large piètement en bois sur l’avant, a été ajoutée au catalogue de la marque italienne. « Nous avons néanmoins dû redimensionner certaines pièces. Le piètement initial, assez épais, a été redessiné pour plus de légèreté et de durabilité. Mais la générosité de la chaise, son aspect presque surdimensionné, demeure. » Ce processus d’ajustement accompagne souvent la transition d’une pièce sur mesure vers l’édition. « C’est par exemple ce qui s’est produit au Negresco, pour un canapé en forme de banane de quatre mètres de long. On nous a dit qu’il était trop grand : il a fallu le repenser pour un cadre plus classique. »

La Suite Jeanne&Paul et les assises de la collection Barbara imaginées par Jean-Philippe Nuel ©Grégoire_Gardette

Une approche transversale et lisible

Architecte de formation, mais aujourd’hui davantage tournée vers l’aménagement intérieur, Jean-Philippe Nuel revendique une posture transversale. « Même si ma notion de création s’est un peu déplacée, j’aime garder un œil sur toutes les étapes d’un projet. C’est peut-être lié au marché anglo-saxon, où les architectes ne s’occupent pas des intérieurs ni de la décoration. En Europe, c’est différent, mais comme je travaille beaucoup à l’étranger, le curseur s’est un peu déplacé. » Connu pour la diversité de ses réalisations, le créateur défend avant tout une cohérence du lieu. « Je garde un style que je ne renie pas, sans fioritures, avec une lisibilité dans la mise en place des éléments. » De L’Isle-sur-la-Sorgue, où la présence d’antiquaires a inspiré un dialogue entre objets anciens et mobilier contemporain, à Biarritz, où les couleurs du Pays basque infusent le projet, son seul fil rouge reste l’identité du lieu. « Pour le mobilier, comme pour l’architecture, c’est toujours dans le cadre de ce que j’ai vu, ressenti ou analysé que la création s’inscrit », conclut-il.

Le hall de l'hôtel Isle de Leos et les assises de la collection Riva éditées par Talenti ©Francis Amiand
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24/10/2025
Icônes en résonance : Charlotte Perriand rééditée par Saint Laurent

À la Galerie Patrick Seguin et sous la curration d’Anthony Vaccarello, la maison Saint Laurent fait dialoguer l’héritage du design avec celui de la mode en présentant quatre pièces rares de mobilier de Charlotte Perriand.

Jusqu’au 22 novembre, la Galerie Patrick Seguin met en scène une exposition qui réunit deux icônes du XXᵉ siècle que sont Charlotte Perriand et Yves Saint Laurent. Sous la direction artistique d’Anthony Vaccarello, ce sont quatre pièces de la créatrice - dont certaines étaient jusqu'ici restées à l’état de prototypes - qui ont été rééditées en série limitée. Présentées de façon presque muséale, chaque meuble témoigne d’un dialogue subtil entre rigueur moderniste et sensualité des matériaux, qu’il s’agisse de la banquette de la résidence de l’ambassadeur du Japon à Paris, du fauteuil Visiteur Indochine ou bien de la bibliothèque Rio de Janeiro ou encore de la table Mille-Feuilles.

Bibliothèque Rio de Janeiro © Saint Laurent

Un dialogue entre héritages et regards contemporains

Plus qu’une simple exposition, cette collaboration rend hommage à la fascination réciproque entre la mode et le design. En effet, alors qu'Yves Saint Laurent  collectionnait les créations de Perriand, Anthony Vaccarello lui, les faire revivre avec modernité à travers un regard épuré, fidèle et respectueux du travail de la designeuse. En s’associant à la Galerie Patrick Seguin, Saint Laurent affirme son engagement pour le patrimoine créatif et la transmission des savoir-faire. Un exercice d’équilibre où l’héritage se transforme en manifeste contemporain, à découvrir sans attendre.

A gauche : Fauteuil visiteur Indochine / A droite : Table Mille-Feuilles © Saint Laurent

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