Mobilier

L’architecte d’intérieur et designer Charles Zana présente In Situ. Une collection aux proportions nouvelles, dévoilée dans un écrin haussmannien rue de Rivoli et visible jusqu’au 26 octobre.
C’est dans le cadre haussmannien de l’ancien Cercle suédois situé au 242 rue de Rivoli, que Charles Zana a souhaité présenter sa nouvelle collection : In Situ. Après l’Hôtel de Guise en 2021, où il avait présenté Ithaque, et l’Hôtel de la Marine, où il avait dévoilé Iter l’an dernier, c’est donc derrière les hautes fenêtres de cet écrin surplombant le jardin des Tuileries que l’architecte d’intérieur et designer s’est installé pour la semaine. Le temps pour lui de présenter « une collection plus personnelle et moins formelle que les deux précédentes », explique-t-il. Créateur touche-à-tout, Charles Zana propose cette fois-ci une vision maximaliste de son approche, se laissant aller aux formats XXL favorisant l’expressivité visuelle de ses créations. Imaginées pour la plupart dans le cadre de cette nouvelle collection, quelques pièces rééditées trouvent néanmoins leur place, parmi lesquelles le canapé Julie, qui, à la manière d’un confident courbé en satin et en étain, vient redessiner l’espace grâce à ses six mètres. Une création centrale dans le salon de cet appartement que le visiteur est invité à arpenter pour découvrir ou redécouvrir, au gré de six vastes pièces, une trentaine de créations. Parmi elles, des miroirs Carlo en bronze ou encore le petit fauteuil Big Franck, installés à l’ombre d’un discret boudoir vert bouteille. Deux créations en hommage au maître italien Carlo Scarpa, dont le travail a inspiré le designer, qui nourrit une profonde affinité avec les designers italiens modernistes, et Jean-Michel Franck, l’une des figures emblématiques de l’Art déco.
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Une vision artistique globale
Signature d’intérieurs remarquables aux quatre coins du monde, Charles Zana a imaginé cet ensemble sans fil rouge, simplement guidé par l’idée d’une « collection en mouvement ». Au-delà de l’aspect formel qui ne se confine pas à un style, l’architecte d’intérieur et designer se laisse guider « par des meubles qui architecturent l’espace ». Considérant qu’il n’y aurait pas « une seule façon bourgeoise de s’implanter dans l’espace », mais au contraire une réflexion « proche de celle des ensembliers », l’exposition met en avant la pluralité des formes et des matières. À celles traditionnelles comme le bronze, le marbre, le cuir ou encore l’acier inoxydable, Charles Zana intègre pour la première fois de nouveaux médiums comme la laque, l’étain ou la céramique, tous travaillés en France.
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Scénographiée avec une grande simplicité, privilégiant l’esprit d’un appartement habité à celui d’un showroom, la présentation s’accompagne d’une sélection d’œuvres issues de l’univers de Charles Zana. Parmi elles, des polaroïds de Carlo Mollino, des céramiques d’Ettore Sottsass et des antiquités de la Galerie Chenel. Amateur d’art pictural et collectionneur, le designer s’est également entouré du galeriste Paul Calligaro pour la curation dont résulte une sélection d'œuvres d’Eugène Carrière. Une mise en valeur du XIXe siècle dans laquelle architecture et peinture servent le design contemporain et permettent à l’événement de s’inscrire en tout point dans la dynamique d’Art Basel Paris.
L’exposition est à voir au 242 rue de Rivoli, de 11 h à 19 h jusqu'au dimanche 26 octobre.
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Fort du succès de sa première saison, Silvera revient avec la Saison 2 de 'ln Talks', sa mini-série originale consacrée à l'univers du design, vu de l'intérieur.
Cette nouvelle édition s'ouvre avec quatre figures majeures de la scène contemporaine : Erwan Bouroullec, Sabine Marcelis, Patrick Jouin et Odile Decq. Chacun y partage, avec sincérité et singularité, sa vision de l'idée - ce moment d'émergence où intuition, matière et sens ne forment qu'un.
Retrouvez l'intégralité de la saison 1 dans notre article dédié.
Episode 1 : Erwan Bouroullec
Installé entre Paris et la Bourgogne, Erwan Bouroullec propose un design inspiré d'une certaine simplicité, et empreint d'une forme de poésie humaine. Dans un discours sensible, il évoque la place discrète mais non moins essentielle du geste créatif, comme une solution aux problématiques du quotidien. « Pour moi, il n'y a pas d'idée géniale » affirme le créateur qui partage ici son approche délicate de l'objet.
Episode 2 : Sabine Marcelis
Motivée par le besoin de compréhension des éléments qui l'entourent, Sabine Marcelis, s'amuse à repousser les limites de l'existant. Inspirée en grande partie par la nature, « la plus grande des designers », dont elle fait le point de départ de ses réflexions, l'artiste et designer basée à Rotterdam revendique une approche instinctive. Un besoin qui répond à celui essentiel de préférer la persévérance de l'approche plutôt que le suivi des tendances.
Épisode 3 : Patrick Jouin
Designer par vocation, Patrick Jouin évoque la place de l'intuition dans la création. Affirmant que le design est une discipline pensée pour les autres, il place l'idée au cœur du processus. Convaincu que les "bonnes et grandes idées" sont rares et précieuses, souvent révélées par le regard d’autrui plus que par sa propre certitude, Patric Jouin accorde au hasard toute sa place. Une vision grâce à laquelle le designer appréhende l'inspiration comme une variable fluctuante.
Épisode 5 : Philippe Starck
Créateur-explorateur, connu et reconnu dans le monde entier, Philippe Starck confie être devenu designer par hasard. Libre, Précurseur, affranchi des modes et des codes, il revendique une vision de la création à la fois humaine, poétique et politique, invitant chacun interroger ses besoins et la véritable utilité des objets.

À l’occasion du centenaire des Arts décoratifs, les Manufactures nationales – Sèvres et Mobilier national, qui regroupent 53 ateliers, dédient l’exposition "le Salon des Nouveaux Ensembliers", à cette figure oubliée. Réunis autour de la thématique de l’Ambassade, dix studios ont imaginé, au sein du Mobilier national, dix espaces singuliers ayant pour point commun un art décoratif ambitieux mais conscient des enjeux de notre siècle.
C’est sur la place des Invalides que tout a commencé en 1925 et c’est quelques kilomètres plus loin que l’héritage de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes se poursuit cent ans plus tard. Ouverte ce mardi 14 octobre, l’exposition intitulée “Le Salon des Nouveaux Ensembliers” prend place au cœur du Mobilier national jusqu’au 2 novembre. Plus qu’une « exposition commémorant l’Art déco, c’est une réinterprétation faite dans un esprit de conquête, de rénovation et d’hybridations » qui a été imaginée, annonce Hervé Lemoine, directeur de l’institution. À cette occasion, le Mobilier national a invité dix studios de design à endosser le rôle d’ensemblier. Un terme quelque peu daté, mais hautement synonyme d’une époque portée par celles et ceux qui l’ont habillée. Plus qu’une profession, c’est aujourd’hui une philosophie dont les designers se sont fait les ambassadeurs. Une symbolique véritablement incarnée, car la thématique porte justement sur l’Ambassade. Une thématique évidente pour le Mobilier national qui, outre l’écho à sa fonction, réalise « un clin d’œil à 1925 puisque le Pavillon des Ambassades avait été le plus visité de toute l’exposition. » Mais il s’agit avant tout d’un lieu reconnu pour la perméabilité de l’art et de la politique. Car, si son rôle a largement évolué au cours des cent dernières années, la place des métiers d’art et des savoir-faire comme marqueur stylistique ou géographique, elle, demeure. L’occasion pour les créatrices et les créateurs sollicités de remettre en avant la place des arts décoratifs français en 2025.

Un hommage tourné vers l’avenir
Sélectionnés parmi une trentaine de candidats invités, les dix studios l’ont été à la lumière de trois critères, explique René-Jacques Mayer, commissaire de l’exposition. « Nous voulions que les espaces soient porteurs de sens et en adéquation avec un usage contemporain. Ils devaient également activer des savoir-faire français par le biais de collaborations avec des ateliers (on en compte désormais près de 150 établies grâce aux dix réalisations). Enfin, chaque projet devait être le plus écologique possible, que ce soit par l’origine des matériaux, mais également pensé de sorte à pouvoir être transporté, puisque l’exposition partira prochainement pour la Chine, l’Amérique du Sud et les pays du Golfe. » Un cahier des charges relativement libre, dont résulte « une diversité d’écriture » visible au travers du vestibule, de la cuisine, du bar, de la chambre présidentielle et enfin du bureau. Cinq pièces différentes aux besoins divers, où se retrouvent malgré tout la revalorisation et le détournement comme fil rouge. « Contrairement à 1925, il n’y a pas un style prédominant, mais l’on s’accorde sur des valeurs comme l’écologie. » Que ce soit au travers du travail d’Emilie Studio et la réinterprétation d’étais de chantier qui, une fois dorés à la feuille d’argent, deviennent les colonnes d’un décor dans lequel le marbre vert n’est autre que du bouleau peint, ou bien par la cuisine de Paul Bonlarron dans laquelle le déchet se fait meuble, de la pâte à pain devenue luminaire, aux pelures d’aubergines devenues vitrail. L’architecture, elle non plus, n’est pas en reste avec la création d’une cuisine extérieure temporaire et démontable signée Atelier Craft, ou un vestibule pensé par Dach&Zéphir invitant la flore à être décor.

L’ambassade des sens
Au-delà des enjeux environnementaux, cette exposition est avant tout, selon Hervé Lemoine, « une manière de montrer comment le mariage des métiers d’art et de la création peut offrir quelque chose d’innovant. » Et cette ambition se ressent dans chaque espace, du vestibule de Mathilde Bretillot, pensé comme un lieu coloré et empreint d’humanisme, à celui d’Estudio Rain (seul studio étranger, venu du Brésil), conçu comme une galerie contemplative dédiée aux savoir-faire, en passant par la salle à manger de Marion Mailaender, où les objets entrent en dialogue avec le convive. Autant de propositions qui donnent à l’ambassade d’aujourd’hui une véritable charge sensorielle et invitent à prendre le temps de regarder, de comprendre et d’interpréter les détails. Une posture davantage réflexive que démonstrative, en rupture avec l’esprit de 1925. Certaines installations rendent hommage à des figures longtemps reléguées dans l’ombre, à l’image du clin d’œil de Sophie Dries à Eileen Gray, évoquée par un bar sculptural et une suspension. D’autres, comme le projet du Studio Oud, puisent dans l’histoire lointaine — ici l’Égypte antique — pour raviver l’imaginaire des grands explorateurs. Une multitude d’approches rappelant, comme le montre la chambre théâtrale et colorée de Pierre Marie, que l’art décoratif n’appartient pas au passé. Il reste d’abord une manière de penser l’intérieur avec attention et émotion.
Ci-dessous à gauche, la chambre de Pierre Marie, et à droite le bar de Sophie Dries ©Mobilier national

Forte de son histoire, Ligne Roset se positionne aujourd’hui comme partenaire et fabricant spécialiste du sur-mesure.
Pour sa troisième édition, EspritContract se tiendra du 15 au 18 novembre au Parc des Expositions de la Porte de Versailles. Plus d’informations sur : https://www.espritmeuble.com/le-salon/secteurs/secteur-contract.htm
Le confinement de 2020 avait profité au marché de l’architecture intérieure. C’est désormais à celui de l'hôtellerie que souri 2025. Un segment en forte croissance, porté par « la multiplication des ouvertures d’établissements, soutenues notamment par de grands groupes comme Accor ou Hilton », comme le souligne Max Flageolet, directeur de la branche contract chez Ligne Roset. Une activité qui représente entre 10 et 15 % du chiffre d’affaires global de l’entreprise. Une progression soutenue par cette conjoncture, mais aussi par l’émergence de nouveaux marchés, comme l’hôtellerie de plein air, avec d’importants « projets de rénovation de bungalows, ou encore le secteur naval, qui représente désormais près de 20 % des projets contract ». Un univers développé depuis une dizaine d’années en partenariat avec les Chantiers de l’Atlantique ou la compagnie Ponant. Mais ce dynamisme repose aussi sur son organisation. Implantée dans l’Ain, l’entreprise dispose d’un site de production de 150 000 m², où une équipe contract d’une trentaine de personnes répond aux projets dont 90 % sont aujourd’hui réalisés sur mesure.

Un retour aux sources
Si le contract rime depuis quelques années avec une diversification des perspectives et du marché, c’est un petit peu différent chez Ligne Roset. « C’est par là que nous avons commencé, dès les années 30 », résume Max Flageolet. Après la Seconde Guerre mondiale, l’entreprise se spécialise dans le mobilier pour collectivités : résidences étudiantes, maisons de retraite, équipements publics. Une activité mise en pause dans les années 70, avant d’être relancée dans les années 90, à l’aube d’un tournant dans l’univers de l’hôtellerie. « Le contract est réapparu en même temps que le regain des hôtels pour le mobilier design. Ça a notamment donné naissance aux boutiques hôtels, à l’image de l’hôtel Morgans de New-York, dessiné par Andrée Putman. », raconte-t-il. Un renouveau qui répond alors à une demande de différenciation. Mais rapidement, il devient clair que le standard ne suffit plus. « Il a fallu repenser les assises pour les adapter aux normes incendies, à l’usure, et tout simplement à un usage plus intensif. » Ligne Roset prend alors un autre virage parallèle : celui du sur-mesure.

La collaboration comme ADN
Avec le lancement en début d’année de son podcast « Espèce d’Espace », Ligne Roset souhaitait réaffirmer sa posture de partenaire de projet, et non de simple fournisseur. Réputée pour ses collaborations grand public avec Lelièvre, Vitra ou encore Sebastian Herkner, la marque se place également comme un partenaire de dialogue lors des projets contract. « Ce sens de la collaboration est fondamental. Nous l’avons vécu récemment, lors de la rénovation du Mandarin Oriental de Zurich, avec Tristan Auer, en 2023. Au-delà de le fabrication du beau, notre rôle est aussi de penser la durabilité de l’objet, que ce soit en poussant vers des assises de nouveaux déhoussables, ou du mobilier sans colle. » Une démarche qui passe par la discussion, mais également une analyse de cycle de vie et une notation éco-impact intégrée dès la conception. « L’hôtellerie a énormément évolué. À une époque, je disais que le vrai luxe dans une chambre d’hôtel, c’était l’espace. Aujourd’hui, c’est presque l’inverse. C’est devenu très décoratif, avec une multitude d’éléments ajoutés. Nous devons nous adapter, bien sûr, mais aussi garder une place pour questionner, proposer, initier de nouvelles réflexions. »


Installée à Marseille où elle s’est prise de passion pour la canne de Provence, Juliette Rougier développe un univers intime, ancré dans le territoire local.
C’est un début prometteur qui en ferait rêver plus d’un. Diplômée des Beaux-Arts de Marseille l’été dernier, Juliette Rougier s’est vu récompenser du prix du public de la Villa Noailles trois semaines après pour sa collection Alto, son projet d’études. Une belle reconnaissance pour la designer née en 2000 en banlieue parisienne, et installée à Marseille depuis quatre ans après une licence en design global passée à l’École Bleue. C’est ici, sous le soleil et au milieu de la végétation méditerranéenne que tout a commencé. « C’est parti d’un workshop sur la flore régionale, explique la designer. Avec une enseignante, nous sommes allés visiter une manufacture qui travaille la canne de Provence pour en faire des anches. J’en ai ramassé quelques-unes à même le sol, et lorsque j’ai demandé si je pouvais repartir avec, on m’a expliqué que c’étaient des déchets et on m’a montré une fosse au bout d’un champ où il y en avait des milliers. Ça a été une révélation ! » Commence alors une collaboration entre l’entreprise Marca, fondée en 1957, et la créatrice.

La sensibilité en guise d’orientation
« Je n’ai pas tout de suite su comment travailler ce matériau, mais il y avait une sorte de frugalité qui me plaisait bien. Avec la paraffine naturelle, l’objet est déjà verni et l’entreprise l’a déjà taillé. Ma pratique consiste simplement à assembler, comme un puzzle. » Alors les morceaux fusionnent, se superposent, alternent, soit par couleur lorsque certains, plus rares, lui parviennent brunis par le temps, soit par taille selon les instruments auxquels ces anches étaient destinées. « Je travaille d’abord la surface en jouant sur les aspects et les finitions. C’est à partir de là que je décide ce que j’en fais. La notion de matière est très importante pour moi, c’est ce qui confère à l’objet sa dimension intime. » Une sensibilité essentielle aux yeux de Juliette Rougier, qui aborde son travail de manière instinctive. « Lorsque j’ai commencé, je ne connaissais rien à cette plante, et je crois que cette vision dépourvue de technique m’a permis d’être totalement libre dans mon approche pour réinventer quelque chose. Et comme mon cerveau adore les associations d’idées, mes créations naissent d'inspirations hétéroclites. » Une approche du design cultivée, entre autres choses, par son attrait pour le mobilier des années 1950 et les détails architecturaux de sa ville d’adoption. Mais pour celle qui aime se balader en levant le nez, son inspiration se résume surtout à « ce que les gens ne regardent pas ». En témoignent ses multiples collections d’« objets non utilitaires » comme les photographies d’angles et de plafonds ou encore des ensembles de galets et d’écrous. Un petit monde poétique et parallèle que cette « presque animiste » a hérité de ses grands-mères, l’une peintre, l’autre sculptrice. « Quand j’étais plus jeune, elles m’ont appris à observer les oiseaux et à chercher des trésors dans la laisse de mer, bref, à glaner. » Un acte auquel la designer a consacré son mémoire de fin d’études, et qui trouve dans sa pratique toute sa signification.

Une liberté de trait et d’évolution
Alors comme ses inspirations, comme ses trouvailles et à l’image de ses foisonnants carnets de croquis, Juliette Rougier explore avec, en toile de fond, la trame caractéristique de son médium. Animée par cette possibilité « de faire le maximum d’effets avec le moins de matériaux », elle multiplie les esquisses et décline les formes spontanément. « Mes meubles sont motivés par l’envie de susciter de la curiosité. » Un mince fil rouge reliant ses créations les unes aux autres, de la réinterprétation du désuet valet au cabinet haut perché, en passant par un ensemble de toiles abstraites. Car par-delà ses lignes architecturales involontairement évocatrices d’une culture méditerranéenne à la croisée de l’art africain et de la culture amérindienne, Juliette Rougier cultive également la passion du trait. Un double bagage qui lui avait permis d’obtenir un contrat avec Cinna en 2022 pour son tapis présenté trois ans plus tôt dans le cadre du concours organisé par la marque, qui avait pour thème « Faire du neuf avec du vieux ». Une proposition stylistique dans laquelle les contours mais aussi les notions initiales d’assemblage et de revalorisation marquaient les prémices de ce qui deviendra en 2024 le Cabinet, sa pièce emblématique présentée à la Villa Noailles. Un meuble qui sera exposé cet été à Arles à l’occasion des Rencontres photographiques. Une autre manière d’illustrer la transversalité des médiums qui nourrissent respectivement les inspirations de chacun.
Photo de miniature : Portrait de Juliette Rougier, par Caroline Feraud, pour Sessun Alma
Photos ci-dessous : Cabinet Alto, Juliette Rougier, Artisans : Pascal Souvet et Christophe Richard

La marque éponyme fondée par Christophe Delcourt fête ses 30 ans. L'occasion de revenir sur son évolution et son style.
Et avant le mobilier en bois, il y eut les planches. Aujourd'hui connu pour avoir créé sa marque éponyme, c'est dans l'univers du théâtre que Christophe Delcourt s'est d’abord familiarisé avec la création. Alternant entre comédien et décorateur scénographe pendant près de 10 ans, c'est en tant que spectateur que le déclic lui vient. « Je m'en souviens bien, c'était devant Le Récit de la servante Zerline, aux Bouffes-du-Nord, à Paris. Jeanne Moreau est arrivée sur scène, s'est assise à une table et a ouvert un torchon pour y éplucher une pomme durant une heure et demie. Ce jour-là, j'ai compris l'importance du mobilier et du lien entre les éléments. Il n'y avait pas seulement l'idée de décor, mais de véritablement apporter des choses à l'histoire. » À la suite de cette représentation, c'est un récit plus matérialiste que Christophe Delcourt décide d'écrire. Un nouvel horizon dans lequel il emporte avec lui l'art du storytelling et de la construction.

Des meubles réalisés à partir de rencontres
Sans expérience dans le monde du meuble, Christophe Delcourt présente ses premières créations en 1996 dans la section Talents à la carte du salon Maison&Objets. Le succès est au rendez-vous et il signe un accord pour 30 magasins Neiman Marcus - suivi d'un contrat avec la galerie internationale new-yorkaise Ralph Pucci sept ans après -. Un premier pas sur le marché outre-Atlantique dont il conserve l'importance du sur-mesure et de la diversification stylistique. Mais côté création, c'est l'association avec les frères suisses Waldisphul qui va véritablement lancer la phase de commercialisation en rentabilisant le processus de fabrication. « Jusqu'à cette rencontre, je faisais mes meubles seul. Je suis donc allé frapper à leur porte pour trouver le savoir-faire nécessaire. Eux étaient plutôt spécialisés dans la fabrication de portails en métal, mais comme moi, leur vision était technique, plus qu'esthétique. Nous nous sommes donc associés et ils m'ont beaucoup appris. » C'est dans cet atelier que le style de la maison s'affirme : « un univers sculptural avec une cohérence entre la matière et la forme. »

De la technique née la forme
Guidé par l'idée « de façonner les formes comme un plasticien », Christophe Delcourt collabore aujourd'hui avec une quarantaine d'ateliers spécialisés dans le verre, le bronze, le cuivre, la céramique, la lave ou encore le cuir. Des médiums régulièrement associés au bois, matériau au cœur de son travail de designer depuis trois décennies. « Il est à mes yeux le matériau premier. Il permet de construire des habitats et le mobilier utile pour vivre. On peut faire une table avec peu de moyens et c'est cette idée de faire beaucoup pour pas cher qui m'intéresse » explique Christophe Delcourt.
Inspiré en premier lieu par les contraintes de cette matière vivante, et dans un second temps par la combinaison des savoir-faire de ses collaborateurs, son processus est largement guidé par la technique. Intéressé par les modernistes Verner Panton ou Richard Serra, le designer s'amuse des courbes et des contre-courbes. « Une section de bois, la manière dont s'épousent les formes, l'équilibre du piétement, l'imbrication d'un dossier et d'une assise. Tout est matière et par là, tout est terreau d'expérimentation » résume-t-il.

La sobriété comme signature
Au-delà des matériaux, Delcourt se distingue aussi par sa sobriété. Si les formes ont évolué au fil des années passant du mono-matière droit, épuré et minimal de peur de sombrer dans le décoratif, à quelque chose de plus organique et libre, la marque restreint toujours la couleur dans ses collections. « Le bois est une matière qui touche à l'intemporel contrairement au synthétique. Le colorer c'est prendre le risque de le rattacher à une époque. Or, ma plus grosse angoisse c'est que l'on se lasse. Je préfère que la matière évolue avec le temps, à l'image des tables de Charlotte Perriand. »
Avec Time-Streched, la collection anniversaire, Christophe Delcourt confirme sa volonté d'un design construit sur le temps long et dépourvu d'effets de mode.


Le studio BrichetZiegler et Théorème Éditions se sont associés pour créer la Drift chair. Une chaise très graphique portée par des lignes fines au service de l'équilibre.
Comme pour chacune de leurs collaborations, David et Jérôme, les fondateurs de Théorème Éditions, dont la galerie eponyme est située sous les arcades du Palais Royal, se sont tournés vers un studio avec une demande : créer un objet sculptural, architectural et monolithique. Un triptyque dans l'air du temps que le studio BrichetZiegler, convié pour l'occasion, a naturellement retranscrit sur une chaise. Une pièce que le duo de créateurs affectionne particulièrement en raison de son échelle. « Une chaise est une surface parfaite car sa dimension permet de s’exprimer de façon sculpturale et plastique tout en abordant les aspects techniques d’un objet qui soutient le corps. » Un terrain de jeu idéal donc, autour duquel les designers ont imaginé une pièce « fonctionnelle et confortable pour dîner, portée par un dessin et une présence visuelle forte. »

Un jeu d'équilibre
Développée en à peine un an et demi avec le savoir-faire d'un menuisier installé à Pantin, la Drift chair – que nous pourrions interpréter par « chaise qui plane » - tire son nom de son assise en porte-à-faux. Supportée par deux planches latérales en guise de pieds, l'assise joue sur l'alternance des pleins et des vides pour offrir, de côté, tout le poids visuel de sa structure, et de face une certaine frugalité structurelle. Deux sensations renforcées par l'utilisation de courbes au niveau des zones de contact pour des questions de confort, mais aussi dans les angles. Une manière d'apporter de la fluidité à cet assemblage égayé par une galette aimantée en cuir lisse ou en tissu Kvadrat choisi par la galerie. En dessous, la surface à bois a été ajourée de manière à diminuer le poids de la chaise – déjà de 7,5kg – et solidifier la structure pour éviter qu'elle ne vrille.

Proposée en chêne et en noyer, la Drift chair est disponible dans une version cérusée où le veinage naturel du bois devient porteur d'un monochrome très graphique. Une alternative utilisée par Joseph Hoffmann dès les années 30 et désormais réinterprétée avec goût par le studio BrichetZiegler.


À l'occasion des 3daysofdesign à Copenhague, le duo belge Muller van Severen a présenté six nouvelles collections. Retour sur ces projets en résonance avec l'esthétique du studio.
Fondé au printemps 2011 par les Belges Fien Muller et Hannes van Severen, le studio éponyme était cette année présent dans la capitale danoise à l'occasion des 3daysofdesign. Fort de quatre collaborations avec les marques BD Barcelona, valerie_objects, Hay et Blēo, les deux créateurs ont dévoilé six collections. Un corpus de projets diversifiés destinés majoritairement à l'intérieur, mais unis par le goût du studio pour la couleur et la simplicité des lignes.
BD Barcelona x OFFICE KGDVS : une première collection en bois
Imaginée pour BD Barcelona et réalisée en collaboration avec OFFICE Kersten Geers David Van Severe, Rasters est une collection d'armoires et de paravents modulaires. Initialement imaginé en métal, sur une grille industrielle pouvant servir de base structurelle, le rangement a été décliné par le studio dans une version plus naturelle. Conservant la trame centrale dans l'esthétique du projet, les designers ont travaillé des panneaux de MDF plaqués en hêtre. Une première dans l'histoire du studio qui n'avait jusqu'alors jamais laissé l'aspect naturel du bois sur ses objets. Assortis de panneaux colorés en acier thermolaqué. Les meubles peuvent être assemblés entre eux grâce à la présence de connecteurs en polyamide noir moulés par injection. De quoi créer de vastes ensembles et exploiter la diversité chromatique des étagères et des portes.

HAY : une énième aventure
Avec déjà douze collaborations à leur actif, le studio belge et la marque danoise se réunissent une nouvelle fois et dévoilent The Perforated Cabinet. Jouant sur la linéarité des modules et la trame resserrée en acier thermolaquée perforé, cette collection joue sur la transparence du rangement. Également semie-transparente sur le dessus, chaque pièce évoque une boite secrète suscitant la curiosité. Disponible en version murale ou sur pied et en plusieurs tailles et coloris, le meuble convoque l'esprit industriel avec l'approche contemporaine et colorée de la marque.

valerie_objects : réinventer l'existant
C'est une sorte de retour aux sources que le duo de designers opère en collaborant avec valerie_objects. Alors que les designers belges ont été parmi les premiers à travailler avec la marque, les voici de retour pour le dixième anniversaire de celle-ci. L'occasion pour eux de rééditer et de réinventer quelques-unes de leurs créations les plus connues. Parmi elles, la réédition des Hanging lamp sorties il y a une quinzaine d'années, et l'arrivée de la Standing lamp marble, un nouveau modèle au design tout aussi filaire posé sur un socle en marbre. Côté assises, le studio réédite également deux modèles existants, Rocking chair et Solo seat, dans deux versions extérieures. Quant à la Alu chair sortie en 2015 pour le pavillon du Bahreïn d’Anne Holtrop à l’Expo mondiale de Milan, elle est cette fois-ci déclinée dans une version tabouret sous le nom d'Alu stool. Un nouveau modèle inscrit dans la lignée de sa grande sœur, et développé en collaboration avec le Bjarke Ingels Group (BIG) pour le lounge bar du siège du studio.

Blēo : une mosaïque de couleurs
Comme un petit pas de côté par rapport à l'univers du meuble, Fien Muller et Hannes Van Severen ont collaboré avec la marque Blēo, pour l'élaboration d'une gamme de carreaux. Une première approche de la céramique pour la marque habituellement spécialisée dans la peinture. Connus pour leur usage expressif de la couleur, les créateurs belges ont imaginé une palette de 12 couleurs. Réalisé à la main à Fès au Maroc, chaque élément est recouvert d’un émail brillant attirant le regard à l'image des pièces du studio constamment ponctué de couleurs.


Le studio de design Patrick Jouin iD présente TA.TAMU, une chaise pliable imprimée en un seul bloc. Un défi rendu possible grâce à la collaboration de Dassault Systèmes.
Monobloc et pliable. Radicalement opposées sur le plan structurel, ces deux notions ont pourtant été réunies par le Studio Patrick Jouin iD. Avec son allure squelettique inspirée du corps humain, et ses 3,9 kg, la chaise TA.TAMU a été développée conjointement avec les équipes design de Dassault Systèmes, dirigées par Anne Asensio. Fruit d'un dialogue prospectif entre la créativité humaine et la technologie, l'assise s'inscrit dans la lignée de la famille de meubles Solid, dévoilée en 2004. Une période au cours de laquelle le designer s'intéresse aux logiciels de CAO permettant de concevoir des pièces nouvelles, en rupture avec les techniques industrielles traditionnelles. Une aventure poursuivie en 2010 avec la création du banc Monolithique pour le Palais de Tokyo et imaginé avec le professeur Jacques Marescaux (spécialiste de la chirurgie mini-invasive). Cette période marque les premiers pas du designer dans l'univers du biomimétisme, rapidement assorti du mouvement avec la création de la lampe Bloom et du tabouret One Shot, deux nouveaux paradigmes marquant une nouvelle piste de réflexion pour le designer. Mais c'est véritablement en 2018 et avec l'aide d'Anne Asensio rencontrée au début des années 2000, que le projet se concrétise. Réunis par la passion commune du design et la quête d'optimisation, les deux concepteurs exposent TAMU - qui signifie pliage en japonais - en 2019 à l'occasion du salon de Milan. Une réalisation alors davantage manifeste que réellement fonctionnelle en raison d'un maillage imprimé trop fin et de fait trop fragile. C'est donc après six nouvelles années d'exploration menées sans trahir l'idée de départ, que la version TA.TAMU, comprenez l'art du pliage, a vu le jour.

Une impression laser au cœur de l'énigme
Forte de sa genèse, TA.TAMU demeure avant tout un meuble guidé par deux grands enjeux. D'une part, le besoin d'une assise légère et mobile mais fonctionnelle et d'autre part, le défi d'une pièce imprimable en une fois, sans assemblage. Pour ce faire, le studio a réalisé la chaise en polyamide selon un procédé de frittage de poudre. Une technologie qui consiste à solidifier uniquement certaines parties d'un bloc de poudre grâce à des lasers, permettant l'assemblage d'articulations en une seule pièce. Un choix qui a imposé au studio la réalisation de nombreux prototypes afin de concevoir 33 articulations à la fois facilement pliables mais également résistantes sous le poids d'un corps.

C'est donc en 2020 que l'aspect définitif de l'armature monobloc composée de 23 pièces a été définie, permettant aux ingénieurs et aux designers de réaliser les surfaces de contact. D'abord imaginée en tension grâce à des câbles, puis en textile technique, l'assise se rapproche finalement de l’armature biomimétique du banc Monolithique développé une quinzaine d'années auparavant. Un positionnement qui donne naissance à une première chaise en mars 2025. Toujours trop fragile, elle est de nouveau analysée par de nombreux logiciels qui repèrent les manques du module et donnent naissance à une seconde version trois semaines plus tard. Le squelette est alors épaissi et certains segments sont ajoutés offrant une version optimisée (photos ci-dessous) et aujourd’hui disponible, comme un clin d'œil ultra-contemporain aux pliages japonais si connus. Si le modèle n'existe qu'en blanc, le studio explore désormais la piste d'une version entièrement réalisée en métal.

Le designer français Emmanuel Gallina signe la première collection de la jeune marque de mobilier en fibre de carbone, Belull.
C'est une aventure qui débute la tête dans les nuages. « Tout a commencé lors d'un vol Bordeaux-Milan, où j'ai rencontré par hasard Stéphane Lull, le PDG d'Epsilon composite, une entreprise du Médoc spécialisée dans les tubes en fibre de carbone. » Une conversation, un échange de contact et bien des années plus tard, une proposition. « Bénédicte Lull m'a recontacté avec le projet de créer une marque de mobilier à partir de tubes en carbone ne répondant pas aux critères requis par l'industrie. Cette idée de concevoir du mobilier en s'appuyant sur le savoir-faire de l'entreprise et en valorisant des morceaux inutilisés m'a plu et j'ai dit oui ! » Entamée en 2021, cette collaboration est à l’origine de 27 pièces diversifiées, de l’étagère au miroir en passant par le banc. Un corpus à l’apparence « technique mais néanmoins chaleureux ».

Une initiation
Véritable découverte pour le designer, le matériau est rapidement soumis à toutes sortes d'expérimentations. « Contrairement au tube en aluminium ou en acier auxquels elle peut s'apparenter, la fibre de carbone, à la fois légère et très résistante, est beaucoup moins rigide que le métal. Il a donc fallu bien maîtriser l’élasticité des tubes et des plats, puis chercher comment rigidifier les structures, avant de continuer. » Une étape de développement étalée sur plusieurs mois en amont desquels plusieurs typologies d'objets avaient été identifiées. « À ce moment-là, nous avions aussi la contrainte de réaliser des choses simples, car Bellul n'avait pas encore d'espaces de fabrication. Il a donc fallu s'organiser avec des ateliers extérieurs » raconte Emmanuel Gallina.

La fibre de carbone, mais pas seulement
« L'une des particularités du tube de carbone, c'est le tressage de la fibre, assez lisible en surface. » Un rendu « froid et technique » que le designer a associé à d'autres matériaux nobles comme le bois (chêne naturel et noyer) ou le marbre de Carrare. « Nous aurions pu le laisser brut, mais j'ai souhaité éviter l'approche monomatière car cela ne correspondait pas au marché de l'habitat. Il fallait donc amener de la chaleur avec un contraste qui ne soit ni froid ni agressif, mais qui puisse s'intégrer naturellement et de manière fluide avec le carbone. » Une manière de créer par ailleurs une dualité entre la zone structurelle, c'est-à-dire le piètement, et la partie décorative qu'est le plateau. Une jolie collaboration qui rime avec valorisation.


L’architecte Jean Nouvel s'est associé à la marque de mobilier de bureau Steelcase pour proposer une petite collection de trois pièces toute en rondeur, réunies autour d'un confident.
« Pour moi, le mobilier est toujours conçu dans le contexte d’un espace architectural. Je réfléchis aux rapports à la géométrie, à l'abstraction et à la lumière quand je conçois mes bâtiments et le mobilier qui les occupe » explique Jean Nouvel. Première collaboration entre l'architecte et la société de mobilier de bureau et son studio de design Coalesse, la Jean Nouvel Seating Collection poursuit un virage amorcé depuis plusieurs années par l'entreprise : le mobilier informel. Composée d'un sofa, d'un fauteuil et d'un ottoman, la collection, toute en courbes, prend corps autour d'un large confident. Une pièce maîtresse inédite chez Steelcase et interprétée pour s'inscrire dans de vastes espaces de travail ou des pièces plus lounge, ont désormais toute leur place.

Des courbes naturelles, mais techniquement complexes
Afin d'offrir une certaine proximité aux utilisateurs et un sentiment d'enveloppement, les créateurs se sont inspirés de la nature et de ses volumes majoritairement organiques. « Je me suis particulièrement attaché à créer de la fluidité dans une forme et à évoquer une relation poétique à l'eau. Cet ensemble d'objets nondirectionnels et non linéaires réinterprète la nature du siège, favorise la création de votre propre façon de vous asseoir », confie Jean Nouvel. Un défi qui, outre la posturologie permettant de faire de l'assise un lieu de travail et un lieu de détente, a également nécessité un savoir-faire technique. Due à la structure en courbes de la pièce, la fabrication du confident a imposé le savoir-faire d'artisans tapissiers présents dans l'usine française de la marque à Sarrebourg. Un mélange de procédés industriels et artisanaux grâce auquel près de 200 références de tissus de chez Kvadrat, Gabriel ou encore Camira, peuvent être appliqués. Une collaboration à double niveau permettant d'offrir un ensemble informel, technique et sobre en adéquation avec la vision de l'architecte : « Plus un objet est simple, évident ou familier, plus il est difficile à fabriquer, plus il suscite de l’émotion et plus il résiste à l’épreuve du temps. »


La galerie kreo accueille jusqu'au 5 avril la collection Jello du designer italien Marco Campardo. Un ensemble d'une dizaine de pièces caractérisées par leur procédé de fabrication dévié d'un moulage en carton.
C'est une petite collection d'aspect très ludique, mais qui a été imaginée avec le plus grand sérieux. Nommé Jello, cet ensemble géométrique en fibre de verre et résine évoque en premier lieu les pièces d'un jeu de construction. Une impression renforcée par l'épaisseur des volumes et le travail de la couleur dont l'esthétique en apparence assez naïve, dissimule une démarche expérimentale focalisée sur la méthode et l'exploration des matériaux. Un axe que l'on retrouvait déjà dans les précédents travaux de cet ancien graphiste, la collection Sugar Shapes réalisée en sucre, George en feuilles de bois compactées, ou encore la chaise Elle en équerres métalliques.

Une démarche prospective
« Selon moi, un objet ne naît pas d'un dessin. C'est le processus qui dirige mon travail et le résultat » résume le designer. Invité à réfléchir à la conception rudimentaire et économique d'une cinquantaine de tabourets pour le MACRO, le musée d'art contemporain de Rome, Marco Campardo a imaginé un processus permettant de créer des objets en série tout en conservant leur unicité. Un paradoxe mit à exécution grâce à l'utilisation de moules en carton. Un matériau préalablement plié puis légèrement déformé par la résine polyester qui y a été versée, induisant quelques imperfections. Supposé être l'instrument de la rigueur formelle, le moule est ainsi mis au centre d'un questionnement sur la variation et les aléas dus au médium. Une démarche éminemment prospective et artisanale, sans doute influencée par la profession de son père, menuisier.

Un renouveau initié par la galerie kreo
Dévoilée en 2022, la collection Jello est alors techniquement limitée à de petites pièces de moins d'un mètre. C'est un an plus tard, suite à la rencontre entre Marco Campardo et la galerie parisienne qui souhaite élargir le champ créatif, qu'une nouvelle approche se met en place. Mis en relation avec une entreprise française spécialisée dans le rotomoulage (procédé de fabrication par rotation du moule), Marco Campardo est encouragé à créer des pièces plus imposantes. Naissent de nouvelles typologies parmi lesquelles un bureau, un banc ou encore une console. Poussé à renouer avec le principe de série qui l'avait amené à son questionnement, le designer conçoit chaque pièce en 8 exemplaires dans autant de coloris, tous teintés dans la masse. Une approche répétitive qui a nécessité de revenir à un mode de fabrication plus conventionnel avec des moules classiques, néanmoins texturés, et un assemblage puis un vernissage post-fabrication. Une manière de donner à ce manifeste créatif aux lignes radicales, la forme d'une véritable collection visible à la galerie kreo.


Connue pour ses chaises en rotin, la Maison L. Drucker l'est aussi pour ses collaborations avec divers designers. Parmi eux, le studio BrichetZiegler qui vient de signer la chaise colorée Valmy.
C'est une collaboration née « au culot » résume Caroline Ziegler du studio BrichetZiegler. « Avec Pierre Brichet, mon associé, nous aimons et collectionnons les chaises, comme beaucoup de designers. Alors nous en dessinons, tous azimuts, et puis on affine. Il y a un moment où les planètes s'alignent avec cette méthode. » Tout est parti d'un croquis fait à l'atelier, et puis un autre et encore un autre, tous basés sur l'image d'une chaise de bistrot. D'abord imaginée en métal, le matériau le plus utilisé par le studio, l'assise a rapidement évoluée vers le rotin « pour plus de simplicité » explique la créatrice, convaincue que « la forme est toujours associée à un matériau qui permet de la réaliser. Jamais l'inverse. » Une réflexion qui amène le duo à proposer leurs esquisses à la Maison L. Drucker, spécialiste du mobilier en rotin, il y a un an. « Nous n'avions aucun lien avec eux à ce moment-là, mais ils se sont montrés à l'écoute et très intéressés par notre modèle qui sortait de leurs codes habituels. C'est ainsi qu'a débuté notre travail commun. »

Une rencontre entre le design contemporain et l'artisanat patrimonial
« Ce qui est intéressant dans ce projet, c'est ce pas de côté par rapport à la chaise de bistrot classique. On a gardé tous les codes qui lui donnent son identité, tout en l'amenant vers quelque chose d'autre. Si demain on la montre à un brésilien, il se dira certainement que c'est à Paris. Il y a quelque chose de la filiation. » Jusqu'alors inutilisé par les designers – hormis un balai présenté à la Biennale Émergences de 2020 -, le rotin s'est avéré être une source d'opportunité autant que de complexité pour le duo dont le croquis initial a vite dû évoluer, sur le plan structurel d'abord, mais également esthétique. « Nous avons été obligés de rajouter plusieurs renforts sur les intersections ce qui nous a amenés à repenser légèrement l'apparence. D'une certaine manière, ce décalage entre notre vision et celle de l'entreprise raconte cette discrétion structurelle propre aux chaises en rotin, et à côté de laquelle nous étions passés. C'est très intéressant ! » Par ailleurs, c'est aussi visuellement que l'idée initiale s'est enrichie. « Dans notre premier dessin, il y avait moins de textile car nous ne pensions pas qu'il était possible de tisser autour de l'armature. Nous avons été encouragés à le faire et c'est ainsi qu'est né ce dossier si prégnant. » Une pièce à l'allure bien particulière qui a donné lieu à de nombreux prototypes pour trouver le confort optimal, et à de nombreux essais colorimétriques.

Tresser la couleur
Rouge, verte, jaune ou bleue, la Valmy tire son identité graphique de sa couleur plus que de sa structure qu'elle « vient habiller ». Pourtant, ce « véritable parti-pris » n'a fait son apparition que dans un second temps, « lorsque Monsieur Dubois, le directeur de la Maison L. Drucker nous a annoncé l'ensemble des possibilités de mise en œuvre du tissage. C'est lui qui nous a recommandé d'y aller franchement sur le design. Assez logiquement, nous nous sommes pris au jeu et nous avons décidé d'accompagner le dessin par la couleur. » Les trois arceaux se sont alors épaissis pour accueillir chacun une nuance différente de façon à créer un dégradé. Trois teintes que l'on retrouve également dans le tressage ajouré de l'assise en plus d'une couleur complémentaire, visible au niveau des jonctions du dossier, et de deux fils, noir et blanc. « La couleur est un exercice que nous aimons travailler, mais qui demeure occasionnel. Elle n'a d'intérêt que si elle amène quelque chose en plus, en venant renforcer un élément graphique par exemple. C'est le cas pour Valmy. » Heureux de cette collection, le studio « amateur d'une certaine abondance formelle et d'une richesse visuelle », se pose d'ores et déjà la question de poursuivre les explorations créatives de ce matériau, source de projets en tous sens.

La marque allemande Thonet dévoile la chaise S 243 dessinée par le designer Franck Rettenbacher.
Universellement connue depuis l'invention de la chaise n°14 et son ingénieux système d'expédition, la marque allemande Thonet se réinvente depuis plus de deux siècles. Fidèle à un certain esprit du sens pratique, la marque à collaboré avec des grands noms du design parmi lesquels Mart Stam, Marcel Breuer ou encore Mies van des Rohe. Un héritage dans lequel s'inscrit aujourd'hui le designer autrichien Franck Rettenbacher, installé à Amsterdam, et sa chaise S 243. Présentée lors du salon Orgatec 2024, cette création aux lignes simples et relativement minimalistes reprend les codes historiques de la marque.« Le but était de développer un produit d’une pureté et d’une sobriété qui s’inscrivent dans l’intemporalité incarnée parla marque Thonet », explique le designer.

Un modèle discret et empilable
« Depuis tout petit, chez mes parents,j’étais assis à table sur des chaises Thonet, sans en avoir conscience. Ces chaises s’imposent avec une sorte d’évidence et s’intègrent comme d’elles-mêmes dans tous les espaces de vie »,souligne Frank Rettenbacher. Un sentiment qu'il a souhaité retranscrire dans les lignes de S 243, avec cependant une difficulté supplémentaire : concevoir une collection empilable. Appuyé sur l'acier tubulaire, matériau de prédilection des éditions contemporaines de Thonet, le designer à imaginé une pièce légère à l’œil grâce à l'utilisation de sections différentes. Les deux pieds à l'avant de l'assise ont ainsi une section de 18 mm contrairement à ceux situés à l'arrière mesurant 25 mm de diamètre. Deux sections plus larges et de fait plus solides sur lesquelles le dossier est riveté. Un assemblage simple et discret à l'image du modèle, permettant de rendre « toutes les composantes du modèle S 243 faciles à remplacer ou à échanger ». Coté couleur, à noter que le modèle est disponible dans huit coloris d'assise (possiblement capitonnée) et cinq styles de piétement. Un modèle simple, accessible et pratique. Dans l'air du temps.


La galerie Philippe Valentin consacre jusqu'au 22 février une exposition sur les travaux des designers Patrick de Glo de Besses et Jean-Baptiste Durand. Un savant mélange d'univers que tout oppose, et pourtant habilement réunis sous les regards bienveillants des silhouettes de la peintre Camille Cottier.
Il fallait un brin de folie et surtout une vision affûtée pour oser présenter ce trio de créateurs. Un défi autant qu'une prise de position affichée dès le nom de l'exposition : « Et pourquoi pas... ». Loin de chercher à mettre en avant « un corpus d’œuvres autour d'un thème ou d'un propos spécifique », Philippe Valentin, a souhaité confronter deux designers, Jean-Baptiste Durand et Patrick de Glo de Besses, exposé à l'Intramuros Galerie lors de la PDW en septembre 2024.
Deux artistes dont les travaux jusqu'alors distincts, sont pour la première fois réunis. Une idée « à première vue presque absurde, tant elle est binaire, qui me permet néanmoins d’affirmer ma vision de l’art : un art qui prend en compte la diversité des pratiques et ne s’enferme pas dans un dogmatisme, au service d’un non-goût ou d’une étroitesse d’esprit » explique le galeriste.

Contraster pour mieux exister
Rarement une exposition de design contemporain n'avait eu pour parti-pris de réunir deux univers si éloignés. Ultra-techno, le monde de Jean-Baptiste Durand s'affiche de manière très prégnante dans la galerie en un ensemble de câbles, de vérins et matières polymères aux assemblages industriels. Un design particulièrement novateur et unique face auquel Patrick de Glo de Besses répond par une sélection de 19 chaises aux allures artisanales mais non moins contemporaines et techniques. Une confrontation dans laquelle les compositions aux matériaux industriels évoquent un univers organique, presque vivant, alors même que les assises en bois semblent figées avec grande précision par la rigidité des coupes sculpturales. Un paradoxe mis en exergue par la proximité entre les pièces. « Lorsque j'ai découvert le travail de Patrick sur Instagram il y a deux ans, j’avais en tête de lui proposer un projet, mais je ne trouvais pas la bonne idée. C'est en voyant celui de Jean-Baptiste que j'ai eu l'idée d'une confrontation » observe Philippe Valentin. Saisi d'un côté par « l'idée tenace et radicale de la déclinaison », et de l'autre par « l'exubérance et la liberté formelle », il voit dans cette rencontre une possible diversité de réponses aux besoins du monde dans lequel nous évoluons.

Des chaises en bois en passant par le lustre et le lampadaire en doudoune fabriquées par Jean-Baptiste Durand et son équipe peu de temps avant l'ouverture de l'exposition, chaque création a ici sa place. Complétée par un ensemble d’œuvres picturales plus sensibles et aux figures humaines signées Camille Cottier, la sélection de mobilier trouve aussi un écho chromatique sur les pièces murales. Une résonance discrète, mais grâce à laquelle le triptyque trouve indiscutablement son équilibre.
L'exposition est visible jusqu'au 22 février à la Galerie Philippe Valentin, 9 rue Saint Gilles, 75 003 Paris. Retrouvez également les portraits de Jean-Baptiste Durand et Patrick de Glo de Besses et dans les numéros 221 et 222 d'Intramuros !


La maison danoise Fritz Hansen élargit sa gamme de produits Poul Kjærholm en éditant désormais le PK23, l'une des premières créations du designer.
Connu pour ses assises et reconnu pour leurs piètements en acier devenu au fil du temps l'une de ses signatures, Poul Kjærholm est aujourd'hui mis à l'honneur pour une autre de ses créations : le fauteuil PK23. Imaginé en 1954 par le designer tout juste diplômé de l’École des arts et métiers de Copenhague et alors âgé de seulement 25 ans, cette assise méconnue renaît sous ses traits originaux. Édité par la maison Fritz Hansen, ce modèle est une nouvelle approche, du travail de son créateur. Un objet empreint de l'esprit scandinave, mais également ancré dans les époques ; celle moderne de sa création, et celle contemporaine de sa distribution.

Une naissance précoce et une reconnaissance tardive
Regarder l'étendue des produits de Poul Kjærholm édités par Fritz Hansen et y transposer le PK23, c'est, au-delà d'ouvrir un nouveau spectre design, admettre une brèche dans l'unité stylistique de l'artiste. Remplacer les sections rectangulaires des pieds par des cylindres et déconstruire l’orthogonalité des assises, au profit des courbes. Bref, se réinventer. Pourtant, il ne s'agit pas d'un revirement esthétique, mais plutôt d'une préface au succès du créateur. Et de fait, malgré une publication du PK23 - avec trois autres projets – dans la célèbre revue danoise Mobilia en 1955, son fauteuil ne rencontre pas le succès espéré. Une période difficile pour Poul Kjærholm dont très peu de projets sont alors réalisés. Ce n'est que dans la seconde moitié des années 50 et suite à sa collaboration avec le marchand de meubles Ejvind Kold Christensen, que le designer s'intéresse au mobilier fabriqué à partir d'acier calibré. Un nouveau départ grâce auquel il rencontre son public. Il faut alors attendre 2006 et la grande rétrospective dédiée au designer au Louisiana Museum of Modern Art au Danemark, pour voir réapparaître le PK23, entre temps oublié.

Un modèle de style et d'innovation
C'est une assise difficile à qualifier de simple tant sur le plan esthétique, que technique. Selon Christian Andresen directeur du design chez Fritz Hansen, « il s’agit d’un beau fauteuil lounge, élancé et contemporain, très en phase avec notre époque ». Difficile donc, de dater cet ovni scandinave aux courbes actuelles. Pourtant, cette souplesse visuelle tient de l'une des grandes révolutions design de l’époque moderne : la bois courbé. Un procédé nouveau à l'époque, qui inspira à n’en pas douter le créateur, jusqu’à devenir le principal parti-pris de son assise. En découle une pièce très sculpturale et légère dont l'impression renforcée par la finesse des pieds offre une structure presque flottante. « Une conception radicale, explique le fils de designer, Thomas Kjærholm, fait d'une coque coupée en deux puis courbée. Il s’agit également de tout montrer, de ne pas cacher la structure derrière un rembourrage, de faire voir la manière dont la coque est maintenue par le support métallique. »

Un produit qui ouvre le spectre créatif de Fritz Hansen
« Chez Fritz Hansen, nous avons été très protecteurs de l’héritage de Kjærholm, avec le désir de maintenir une certaine limite autour de la collection. Aujourd’hui, nous avons commencé à l’élargir et à mettre en lumière le fait qu’il était un designer aux multiples facettes » déclare Christian Andresen, dont la marque gère l'héritage du designer depuis 1982. « Poul Kjærholm a longtemps été reconnu pour ses meubles en acier immaculé, un ensemble d’œuvres qui étaient exclusives et presque raréfiées. Aujourd’hui, avec ses enfants, Thomas et Krestine, nous réalisons qu’il existe une partie de l’histoire de Kjærholm faite de produits plus faciles, qui auraient pu être tout aussi durables s’ils n’étaient pas tombés dans l’oubli. » Une époque sur le point de connaître elle aussi son heure de gloire grâce au PK23.
