Café-Débat EquipHotel : adopter une démarche RSE
© EquipHotel

Café-Débat EquipHotel : adopter une démarche RSE

Du 6 au 9 novembre, durant EquipHotel, Intramuros a coanimé des cafés-débats avec l’Ameublement français, sur leur stand baptisé Interior Design Center. Ont été abordés des sujets liés à la conception d’espaces CHR, la mutation et le développement du marché. Retrouvez le résumé des échanges du 8 novembre portant sur la responsabilité RSE dans un projet CHR.


Sept professionnels ont accepté de débattre :

  • Marie Carcassonne, gérante et fondatrice de la société Dyn-amo
  • Thomas Delagarde, architecte d’intérieur et designer, Thomas Delagarde studio
  • Thomas Garmier, CEO, the Great Hospitality
  • Maxime Legendre, directeur marketing & commercial, Evertree
  • Solenne Ojea-Devys, directrice générale, Okko Hôtels
  • Bérangère Tabutin, architecte d’intérieur CFAI, studio BBonus
  • Léa Querrien, cheffe de projet, Valdelia

La RSE dans le milieu de l’hospitality : quels constats ?

Une enquête préalable à EquipHotel indique que 94 % des personnes interrogées sont sensibles au positionnement RSE d’un hôtelier, et parmi les 18-25 ans, un sur deux affirme que cela impact leur choix de réservation. Des chiffres parlants qui montrent l’intérêt croissant, voire l’engagement de la clientèle. Mais qu’en est-il aujourd’hui pour les porteurs de projets ?

Si la loi AGEC (loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire) encadre les chantiers publics, Solenne Ojea-Devys, directrice générale du groupe Okko Hotels, explique qu’il n’existe pas d’équivalent pour les chantiers privés. Dès lors, dans les projets hôteliers, le suivi d’une démarche RSE résulte davantage d’une volonté du donneur d’ordre : « D’une part, on a envie d’afficher une bonne volonté au niveau de la RSE. D’autre part, nos investisseurs cherchent à investir dans des bâtiments plus verts. Et l’objectif final des deux côtés est de réussir à baisser le coût de la facture. » Pour autant, sur la question du mobilier, elle constate que c’est encore un « no-man’s land » qui n’est pas du tout encadré et que les décisions sont ainsi faites au bon vouloir du décisionnaire final, à savoir celui qui paye à la fin.

Un constat : des mentalités qui évoluent

S’inscrire dans une démarche RSE dans une réponse à un appel d’offres est important, car les donneurs d’ordre y sont de plus en plus attentifs. Pour autant, ce n’est pas encore déterminant pour le remporter. En revanche les mentalités évoluent indéniablement, et outre l’explication d’une démarche, il existe aussi de plus en plus de structures et de réseaux sur lesquels s’appuyer pour s’inscrire dans une dynamique RSE. Marie Carcassonne témoigne ainsi de la mission de la société Dyn-amo, au service des propriétaires, des opérateurs et des designers pour acheter dans les meilleures conditions possibles le mobilier prescrit par les décorateurs : « Notre rôle est un peu particulier car nous agissons en tant que tiers. Ce n’est pas nous qui achetons, qui prescrivons ou qui fabriquons, nous agissons dans la chaîne en tant que tiers-conseil. » La société accompagne et propose des actions plus responsables aux différents acteurs intervenants dans un projet CHR.

© Dyn-amo
© Dyn-amo

Par ailleurs, si certains clients  sont encore très réticents au changement, d’autres au contraire sont très volontaires et porteurs d’idées. Un constat que Thomas Garmier, CEO de The Great Hospitality rejoint en tant que porteur de projets : « La RSE est devenue un enjeu global et ceux qui ne l’ont pas compris ne vivent pas dans le même monde que nous. Nous avons tous une responsabilité et celle-ci passe par tous les acteurs d’un projet. » De plus en plus d’éco-organismes existent aujourd’hui et favorisent une meilleure gestion des déchets, du mobilier de seconde main, l’appel à des entreprises spécialisées dans le recyclage de matériaux… Des innovations qui se traduisent dans le travail concret du KoMuT, de la société Krill Design ou de l’Atelier Déambulons selon Thomas Garmier. Ces initiatives peuvent être mises en avant grâce aux différents canaux de communication qui sont multiples aujourd’hui, et plus particulièrement sur les réseaux sociaux.

Comment convaincre le client d’adopter une démarche RSE ?

Il est nécessaire d’expliquer, d’informer, pour que le client se sente impliqué. Pour Bérangère Tabutin, architecte d’intérieur, membre du CFAI, qui a géré divers projets inscrits dans une démarche RSE, l’idée est d’aller le plus loin possible, et de ne pas s’arrêter au greenwashing : « Le promoteur a besoin de pouvoir communiquer sur les produits et de savoir de quoi on parle. Sur l’un de mes derniers chantiers, on a fait un reporting photo de l’avancée du chantier, en allant faire des visites d’usines pour montrer concrètement au client les actions. Cela nous a permis d’aller au-delà des 20 % de mobilier recyclé. » Pour sensibiliser les acteurs, l’éco-organisme Valdélia agit également en accompagnant toutes les parties prenantes d’un projet d’aménagement. Un suivi qui doit se faire le plus tôt possible selon Léa Querrien, cheffe de projet innovations chez Valdélia : « On ne peut pas consommer et aménager un espace en économie circulaire ou tout simplement responsable en s’y prenant du jour au lendemain, il faut y réfléchir en amont. »

Résidence étudiante Ecla, Noisy-le-Grand, réalisation Agence B Bonus © BB Bonus

Marie Carcassonne et l’équipe de Dyn-Amo ont adressé un questionnaire à tous leurs fournisseurs dans le but de connaître leurs démarches mises en place. « Je pense qu’il y a un vrai marché à prendre, rien qu’en regardant le résultat du questionnaire : seulement 10 % des fournisseurs que nous avons contactés ont apporté une réponse, pas toujours exploitable. » Comment Dyn-Amo procède à son sourcing ? « On tâtonne beaucoup le terrain. Nous faisons de la recherche active en participant à des salons, en nous abonnant à des newsletters pour connaître les nouveaux fournisseurs… » explique Marie Carcassonne. Dans le milieu professionnel, le réseau est essentiel. Le Pôle Action, association issue du Conseil français d’architecture d’intérieur (CFAI) , dont Bérangère Tabutin est membre, permet d’échanger des informations sur des pratiques, des expérimentations, des tests de matériaux.

Le rôle du designer dans la démarche RSE

Thomas Delagarde, architecte d’intérieur et designer, fondateur de son studio en 2019, est en adéquation avec cette idée de travailler les projets en amont. Dans le cadre d’un récent projet avec Adagio, ce n’est pas sur les ressources de matériaux qu’il a appuyé sa réflexion, mais plutôt sur l’aménagement d’espace : « Nous avons réfléchi à la manière dont on habite l’espace, dont on consomme le mobilier. Le projet est né d’un constat : dans un appartement de 4 personnes, seulement 2,4 y sont réellement. On a donc une partie du mobilier qui est en trop. Avec Adagio, j’ai donc imaginé du mobilier modulable multi-usage, disponible pour les espaces chambres, mais également pour les parties communes. »

Projet de mobilier modulable, Thomas Delagarde avec Adagio © Adagio
Projet de mobilier modulable, Thomas Delagarde avec Adagio © Adagio

Un manque d’outils et de méthodologies

Manque de data sur les résultats des actions, manque d’outils d’analyses, de formations, démultiplication des labels…  Solenne Ojea-Devys déplore une vision nébuleuse d’informations, et une difficulté à quantifier et mesurer les effets : « Nous n’avons pas encore tous les outils et toutes les réponses, donc il faut souvent faire des choix. Plus il y aura des choses concrètes à mesurer, et également faciles à communiquer à son client final, et plus on pourra avancer. » Au vu du manque d’informations  ou de la réticence de certains tiers, il faut donc se fixer des objectifs concrets : « Il faut mettre l’accent sur quelques actions précises afin que le fabricant ou le client puisse s’y retrouver » explique notamment Marie Carcassonne. Une idée que rejoint Thomas Garmier, qui évoque l’importance de développer une relation de confiance entre tous les acteurs pour mener à bien un projet. Et c’est en ayant cette relation qu’un écosystème va se créer. Maxime Legendre expose notamment que chez Evertree, leur qualité de précurseur a permis de leur créer un statut de référent qui rassure. Il conclut son propos : « C’est en étant force de proposition qu’on arrive à créer un mouvement et une dynamique. On ne veut généralement pas être le premier à se lancer, mais on ne veut pas être le dernier non plus. »

© Okko Hotels

Rendre visible l’invisible

Au-delà du fait de mener des actions, les rendre perceptibles au plus grand nombre est un travail à faire sur une plus grande échelle. Chez Evertree notamment, Maxime Legendre explique qu’en tant que fabricant de résine, matériau « invisible » à l’œil nu, la nécessité de sensibiliser sur les résultats visuels pour la santé et la qualité de l’air a été un point important à prendre en compte pour justifier leur démarche.

© Evertree

Autre moyen de rendre visible : l’étiquetage environnemental. Sur ce point, Marie Carcassonne a suivi une formation avec le FCBA afin de l’adapter ensuite à son mobilier et de communiquer sur ce point avec le fabricant après. Pour autant, cette initiative n’est pas sans difficulté, puisque pour du mobilier catalogue, c’est réalisable mais pour du mobilier sur mesure de petites séries, le fabricant aura moins d’intérêts à suivre ces démarches. Une autre solution intéressante : encourager les petites entreprises à s’engager, comme l’explique Bérangère Tabutin : « Après avoir convaincu le client, il faut réussir à expliquer ce que l’on a trouvé, ce qu’il y a d’intéressant dans ce produit sur le long terme. »

Un virage à ne pas manquer

S’il n’y a pas de cadre fort législatif, de réseaux d’informations bien explicites, qu’il faut convaincre, tous les participants insistent sur le fait que les mentalités changent. Il faut continuer à être proactifs dans ce domaine, à toutes les échelles, du bâti à l’aménagement, du matériau au réemploi… Et trouver les équations budgétaires, quitte à repenser la notion même d’investissement dans une projection plus large.

Le mot de la fin reviendra à Bérangère Tabutin dont le dernier projet de campus d’étudiants (Résidence Ecla à Noisy-le-Grand), obtenu lors du premier confinement, résume bien la tendance à prendre : « J’ai répondu à cet appel d’offres en décidant d’y mettre tout ce dont j’avais envie : développement durable, intelligence collective… Et c’est ça qui me l’a fait remporter. Depuis deux ans, j’ai appris énormément de choses, j’ai rencontré beaucoup de monde. C’est un sujet sur lequel on devient rapidement un moteur. Donc il faut se lancer, c’est le moment ! »

Rédigé par 
Maïa Pois

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21/11/2025
Retour sur les talks et les tables rondes Intramuros au salon EspritContract

Pour sa troisième édition, EspritContract organisé en parallèle d’EspriMeuble, était de retour à la Porte de Versailles du 15 au 18 novembre. Un moment de rencontres et d’échanges entre les marques et les professionnels mais également l’occasion pour Intramuros de prendre part à la médiation de plusieurs conférences thématiques.

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17/11/2025
EspritContract : le contract nautique, une part majoritaire chez CELIO

Depuis plus de dix ans, le secteur nautique structure l’activité de l’entreprise CELIO. Un domaine à part, dans lequel l’innovation du bureau d’étude joue un rôle primordial. Rencontre avec Thomas Liault, responsable de la branche contract de la marque.

Pour sa troisième édition, EspritContract se tiendra du 15 au 18 novembre au Parc des Expositions de la Porte de Versailles.Plus d’informations sur : https://www.espritmeuble.com/le-salon/secteurs/secteur-contract.htm

Comment le contract structure votre activité ?

Aujourd’hui, le contract est un secteur important dans notre entreprise puisqu’il représente entre 15 et 20 % de notre activité totale, avec une croissance constante sur les quatre dernières années. C’est aussi une branche plurielle, qui se divise en quatre segments : le nautisme, par lequel nous avons commencé il y a dix ans et qui représente toujours plus de 80 % de notre activité ; les établissements de santé, comme les cliniques et les EHPAD ; l’hôtellerie, principalement l’aménagement de chambres dans des structures quatre étoiles ; et enfin un segment plus divers, comme le projet d’une école de gendarmerie sur lequel nous travaillons actuellement.

Vous parlez du domaine nautique, comment êtes-vous entré dans ce secteur ?

C’est par là que nous avons commencé le contract. Une entreprise travaillant avec Les Chantiers de l’Atlantique a été liquidée il y a une dizaine d’années, et comme il s’agissait d’amis, mon père, Alain Liault, aujourd’hui directeur de CELIO, a proposé de continuer leur activité au sein de notre société. Nous avons donc recruté la personne à la tête de leur bureau d’étude, le chargé d’affaires et le dirigeant de l’entreprise. C’est ainsi que nous avons mis le pied à l’étrier en 2014. Ce secteur reste extrêmement porteur pour nous : nous venons de signer un accord pour la réalisation de six navires de 2 000 chambres chacun, qui devraient être livrés au cours des trois prochaines années.

Quelles sont les différences entre ce domaine et l’hôtellerie classique ?

Pour les navires, nous travaillons uniquement sur les chambres de l’équipage et des passagers, tandis que dans l’hôtellerie, nous pouvons intervenir sur l’ensemble des espaces. La principale différence entre les chambres pour navires et celles pour hôtels réside dans le gain de place et la fonctionnalité : les modules doivent être légers. La culture du poids est particulièrement importante aux Chantiers de l’Atlantique, car elle implique moins de consommation d’énergie. Par ailleurs, la volonté de diversifier les intervenants et les entreprises sur des projets d’une telle envergure reste forte : il n’est pas possible de tout réaliser seul.

CDA Celebrity-edge ©CELIO

Comment votre bureau d’étude accompagne-t-il cette activité ?

Notre bureau d’étude compte six personnes sur les 180 présentes sur le site de La Chapelle Saint-Laurent. Nous avons choisi de ne pas le spécialiser afin de conserver une diversité d’approches. C’est souvent cette vision élargie et l’expérience acquise sur différents projets qui nous permet de trouver des solutions à des problèmes complexes. Notre bureau d’étude joue également un rôle important en termes de créativité, en étant force de proposition vis-à-vis des architectes avec lesquels nous travaillons.

Finalement, comment l’entreprise a-t-elle évolué depuis sa création ?

Quand mon grand-père a créé la société, elle fabriquait des lits de coin, des cercueils et de nombreux autres objets. Progressivement, elle s’est transformée et industrialisée. Lorsque mon père est arrivé, nous nous sommes spécialisés dans les armoires et les dressings, puis dans l’univers de la chambre. Nous sommes restés dans ce domaine jusqu’au milieu des années 2000, lorsque l’univers du salon a fait son apparition, suivi du contract une dizaine d’années plus tard. Cela nous a permis de nous diversifier.

Par opportunité, nous avions déjà réalisé ponctuellement des établissements de santé, mais nous avons décidé de miser sérieusement sur ce segment, à la fois en interne et en participant à des salons comme EspritContract. Il y a quatre ans, nous avons lancé un important projet d’investissement de dix millions d’euros : nous avons agrandi l’usine de 3 000 mètres carrés supplémentaires et mis en place un équipement industriel automatisé. Ce renouveau nous a permis d’entrer sur un nouveau type de marché, avec une capacité de production de petites séries rentables à partir de 15 ou 20 modules. Un nouveau champ des possibles s’est ainsi ouvert à nous !

Okko hôtel ©CELIO
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13/11/2025
Studio 5.5 : Designer à dessein

Designer à desseinCo-fondateurs emblématiques « et de plus en plus radicaux » du Studio 5.5, Jean-Sébastien Blanc et Claire Renard évoquent les enjeux qui émaillent le monde du design et les contradictions qui y sont liées.

« Quand j'étais étudiant, j'avais toujours une forme de déception à toujours créer sans jamais réparer les objets. La forme était généralement davantage valorisée que le concept. Je crois qu'avec les 5.5, on avait besoin de prendre le contre-pied » analyse Jean-Sébastien Blanc, co-fondateur du studio. Alors l'aventure a commencé. Avec « La médecine des objets » d'abord, un projet manifeste et inattendu au début des années 2000, suivi de « Réanim », sa version sérielle à l'origine d'un ouvrage intitulé « Sauver les meubles ». « On a été les premiers à concevoir le design sur la base de l'upcycling, et à l'époque nous avons été très médiatisés pour cette approche. »  

Mais le véritable projet « structurant » du studio, a été la revente de vaisselles en plastique faite par Arc. « La marque est venue vers nous pour faire une collection 100 % plastique. À cette époque, nous avions dit oui, mais en proposant une alternative qui réinventait les invendus de la marque. Ils ont réalisé la première collection avant de nous annoncer sa destruction pour des raisons de réorganisation de la société. On a donc décidé de récupérer les 42 000 pièces et elles ont été vendues en seulement quatre ventes en France et en Italie » explique Claire Renard. Une prise de position qui a permis au groupement de designers de se faire connaître au-delà de la sphère design.

Une chaise réparée grâce au projet Réanim ©5.5

Interroger la contradiction

« Charlotte Perriand disait que le design doit servir l'humain. Or, l'humain a déjà tout ce qui lui faut et il n'y a, de fait, plus de nécessité de créer. On doit vraiment se questionner sur notre rôle » avoue Jean-Sébastien Blanc, selon qui les 5.5 sont les premiers designers de la décroissance. « Aujourd'hui, un bon designer fait décroître la consommation. Ça paraît contradictoire, mais c'est notre vision. Notre place en tant que créateur ne doit plus être de proposer de nouveaux objets, mais de questionner notre rapport à eux. Et c'est ce qui nous a fait connaître quand on a commencé à réparer des objets du quotidien en 2002. » Un paradigme en place depuis longtemps, à associer avec la question du design démocratique. « Notre démarche a toujours été de faire du design pour tous. Le problème, c'est qu'aujourd'hui cette notion est souvent associée à celle du consumérisme. Pour nous, l'enjeu ne concerne pas tant les utilisateurs que les créateurs. C'est l’idée que nous avions en travaillant avec les artisans de chez Bernardaud pour la série 1 000 tasses. L'enjeu était de redonner du pouvoir et de la liberté de création aux ouvriers. En fait, la démocratie dans le design, c’est surtout s'interroger sur la manière de valoriser toutes les classes sociales » explique Claire Renard.

Le projet Bernardaud ©5.5

Mais outre l'humain se pose aussi la question environnementale éminemment centrale dans l'histoire du studio. « Aujourd'hui, nous ne voulons plus être au service de, mais exprimer notre opinion. Le design doit être politique avant d'être esthétique. » C'est sur le fond de cette perception que le studio a présenté à l’exposition universelle d’Osaka son projet Muji-Muji, une matérialisation de notre vision, à l'échelle de la micro-architecture. Initiée pour repenser l'image de Muji, cette construction est un véritable lieu de vie basé sur les objets de la marque japonaise. « On s'est dit que pour incarner la marque, il fallait la vivre et c'est pour ça qu’on a créé un meuble à habiter qui répond à des fonctions simples comme se nourrir, se laver ou dormir. » Un bâtiment imaginé en six modules comme six tranches de vie, conçu dans la lignée d'autres constructions réalisées il y a quelques années par Jasper Morrison, Konstantin Grcic et Naoto Fukasawa. Un projet « au design universel » qui propose une relecture de l'habitat en phase avec les exigences de notre époque et la volonté du studio de ne plus créer de nouveaux objets mais d’inviter à décroitre en repensant les acquis. Un changement de paradigme, où l’objet cède progressivement du terrain à la parole, de nouveau illustré lors de la Paris Design Week 2025, ou « 577 chaises : l’hémicycle citoyen », a été présenté dans la cour d’honneur du musée des Archives nationales pour dénoncer « la mise en danger de la démocratie ».

La Manifesto House réalisé avec Muji ©5.5

Un retour personnel au design manifeste

En parallèle de son activité au sein du studio, Jean-Sébastien Blanc développe son propre univers, en rupture totale avec les conventions. Du diffuseur AIRWICK à la lampe iJobs en passant par l’haltère Red bull, les formes « se rapprochent du design froid et aseptisé des premières créations du studio. » Plus personnel et dans une certaine mesure poétique, chaque objet trouve un écho dans l'approche globale des 5.5 : sobre et upcyclé, radicale et engagée. Réalisée comme des pièces uniques, ces créations invitent l'utilisateur – ou le spectateur – à questionner son rapport à l'objet, à sa propre consommation. « L'idée n'est pas de créer pour créer, mais d'initier des changements » affirme le designer. Bien loin des créations à succès des 5.5 comme la clé USB en forme de clé, écoulée à cinq millions d'exemplaires, et du design sériel auquel il a été formé, Jean-Sébastien Blanc propose une approche alternative, où le sens remplace le besoin, et la réflexion, l'acte d'achat.

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13/11/2025
L'Orient Express de Maxime d'Angeac, un voyage dans l'Art déco

Pour célébrer les cent ans de l’Art déco, le Musée des Arts Décoratifs de Paris rend hommage à ce style majeur. Au cœur du parcours, les wagons signés Maxime d’Angeac offrent une relecture contemporaine du luxe et du voyage selon l’esprit Art déco.

Dans le cadre de l’exposition « 1925-2025. Cent ans d’Art déco » visible au Musée des Arts Décoratifs de Paris jusqu’au 26 avril 2026, l’architecte et designer Maxime d’Angeac dévoile le futur Orient-Express. Un véritable hommage à ce train mythique, mais également aux savoir-faire d’excellence et au raffinement stylistique de ce mouvement. À cette occasion, nous lui avons posé cinq questions sur sa démarche, ses inspirations à l’origine de ce projet hors du commun alliant au patrimoine, la création contemporaine.

Depuis quand travaillez-vous sur ce projet et combien d’ateliers ou d’artisans vous accompagnent ?

Je travaille depuis janvier 2022 sur ce projet. Ce qui est exposé au Musée des Arts Décoratifs représente près de 180 000 heures de conception. Nous avons travaillé avec de nombreux savoir-faire qui ont nécessité une trentaine de maîtres d’art et d’artisans de haute facture.

© Alixe Ley

En quoi l’imaginaire autour de ce train mythique vous a-t-il inspiré ?

La marque Orient-Express est source de curiosité, de développement, de richesses… Elle est en réalité plus riche d’imaginaire que de matérialité. Elle est porteuse de légendes et convoque la géographie, l’histoire, la littérature et le cinéma. C’est une marque culturelle qui a marqué son temps par la vision du voyage au début du XXᵉ siècle, et dont je me suis inspiré.

© Alixe Ley

Justement, comment avez-vous travaillé les ambiances pour que l’intérieur soit à la fois un hommage à l’Art déco et un décor contemporain ?

Je me suis inspiré du vocabulaire et de la grammaire de l’Art déco, puis j’ai réappliqué les mêmes principes à la conception d’un train. Je me suis aussi appuyé sur les archives de l’Orient-Express, auxquelles j’ai fait des références subtiles et des clins d’œil, sans pour autant copier ou reprendre avec exactitude et nostalgie. Il a également fallu intégrer des technologies inexistantes à l’époque. J’ai donc surtout fait un travail d’ensemblier contemporain, en me nourrissant des savoir-faire de mes interlocuteurs, tous ancrés dans le XXIᵉ siècle et les préoccupations actuelles. Nous avons par exemple sourcé des bois, limité l’utilisation des cuirs, évité le gâchis, réduit les transports inutiles, fabriqué en France, contrôlé l’isolation des volumes pour éviter les déperditions…

© Alixe Ley

Dans l’exposition, on voit de nombreux croquis et vous abordez la question du Modulor développée par Le Corbusier. Votre approche est-elle proche de celle que l’on pouvait rencontrer il y a un siècle ?

Dans mon studio, nous travaillons beaucoup à la main. Chacun a un crayon et du papier à côté de son ordinateur, et je tiens à ce que les idées soient d’abord exprimées ainsi. Cela ne donne pas forcément de beaux croquis, mais permet une expression directe des intentions : les épaisseurs, les jonctions, les finitions, les proportions. L’ordinateur est évidemment indispensable, mais il ne suffit pas à lui seul. Quant au Modulor, j’ai toujours accordé une grande importance aux proportions, à la recherche du bon rythme, du bon plan, des bonnes lignes. Mes études m’ont conduit à explorer Pythagore, le nombre d’or, puis leurs prolongements, dont le Modulor de Le Corbusier, un système intéressant. Le fond du sujet reste pour moi la place de l’homme dans l’espace, qu’il soit assis, debout, couché.

© Alixe Ley

Les pièces utilisées dans ce projet ont-elles été créées pour l’occasion ou proviennent-elles de mobilier déjà édité ?

Tout a été dessiné sur mesure, puis créé par mon studio. J’ai la chance d’avoir autour de moi des personnes talentueuses et curieuses, qui me permettent d’assurer une production importante afin de répondre aux attentes de la marque, que ce soit sur rail ou sur mer. Par exemple, le fauteuil du train est dissymétrique, car il est toujours placé contre un mur. Il doit pouvoir pivoter, passer ses accoudoirs sous la table lorsqu’elle est levée, rester stable grâce à une base plutôt que des pieds afin de préserver les orteils, et être suffisamment large pour éviter tout basculement. Certains meubles, lampes ou tapis du train ou du navire sont entièrement dédiés à la marque et ne seront pas commercialisés. Les autres, nombreux, seront édités par différentes Maisons qui nous font déjà envie.

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