Le Portugal, terre fertile du design
Collection Freya © Nosse Ceramics / Collection Reform © Wewood / Collection Fiore © Zagas

Le Portugal, terre fertile du design

Depuis quelques années, le design portugais a le vent en poupe. Avec un chiffre d’affaires à l’export avoisinant les 4 milliards d’euros en 2021 (source : aicep Portugal Global), les entreprises portugaises dans le secteur du design et de la création sont de plus en plus nombreuses à s’implanter sur le marché européen et international. Un succès probablement dû à leur savoir-faire en matière de matériaux et à un attrait pour l’artisanat qui leur est propre. Quelles sont les sociétés fleurissantes du secteur, leurs enjeux, leurs spécificités ? Tour d’horizon de cette industrie portugaise à suivre de près. 

Collectif GirGir : célébrer la beauté des déchets

« Nous pensons que chaque matériau a une histoire à raconter et nous nous efforçons de préserver ce caractère unique dans nos pièces. » Voici le mantra du collectif GirGir, fondé par les designers Ana Rita Pires, André Teoman et Filipe Meira. Toutes les pièces sont conçues à partir de matériaux en fin de vie, initialement destinés à devenir des déchets oubliés. Ces créations sont une célébration à la beauté de la réutilisation, en alliant l’esthétique à la fonction, en promouvant par la même occasion la culture de la durabilité des matériaux. Leur première collection, Honey, est réalisée en partenariat avec une usine dans le nord du Portugal qui produit des dalles de marbre en nid d’abeilles pour des projets de luxe. Une collection singulière, offrant un contraste entre l’aspect luxueux du marbre et le côté industriel du métal texturé. Chaque pièce dépendant des restes disponibles, celles-ci sont ainsi toutes uniques.

Table basse Travertino © Collectif GirGir

Laskasas, l’art du fait-main personnalisable 

Fondée en 2004 à Porto, Laskasas est une marque spécialisée dans la création artisanale de mobilier, de tissus d’ameublement et de pièces métalliques, pour des projets résidentiels et commerciaux. Depuis près de vingt ans, l’entreprise a mis la personnalisation au cœur de ses ambitions. Fabriqués à la main par une équipe d’artisans dans leur usine du nord du Portugal, les modèles proposés sont tous disponibles dans des matériaux, finitions et tailles personnalisables. Une configuration rendue possible grâce à une équipe spécialisée qui accompagne les clients tout au long du processus de personnalisation. Parmi ses pièces iconiques, on peut citer le fauteuil Ambrose, la table Kelly, la chaise Dale, le canapé Fletcher, le lit Brooke ou encore la lampe Jones. En 2023, la marque était présente à Maison&Objet, à la London Design Week, au Salone del Mobile, à l’ICFF et à Decorex, confirmant son positionnement sur la scène design internationale.

© Laskasas

Wewood, bois et tradition 

L’histoire de Wewood est d’abord celle de deux frères menuisiers qui fondent, en 1964, la société Móveis Carlos Alfredo, spécialisée dans la fabrication et l’exportation de meubles en bois massif. À partir de 2012, l’entreprise est rebaptisée Wewood-Portuguese Joinery, en prenant compte de son héritage et en proposant des produits dont la création est axée sur la qualité des matériaux, la construction durable et le design intemporel. Toutes les pièces sont fabriquées en petites séries afin de maintenir un savoir-faire traditionnel de haute qualité et dont l’esthétique reflète la culture et le design portugais. En septembre dernier, Wewood dévoilait deux nouveautés : la collection de tables basses et d’appoint Re-form, imaginée par Alain Gilles, ainsi que le buffet Brutalist, disponible en deux dimensions, conçu par Erno Dierckx. 

Buffet Brutalist © Wewood


Nosse Ceramics, art de la table durable 

Membre du groupe Matceramica, leader dans le secteur de la céramique au Portugal, Nosse a été fondée en 2020. Engagée dans le développement durable, l’entreprise utilise le plus de matériaux recyclés possible et vise à terme le zéro déchet. En effet, les pièces sont fabriquées à partir d’un mélange d’argile recyclée et d’argile locale. Bien que certains déchets soient inévitables, ces derniers sont collectés, traités et transformés pour permettre la création de Stone, un émail unique et écologique, fait à partir de déchets 100 % recyclés. La collection Ubuntu a par ailleurs été primée à deux reprises d’un German Design Award dans la catégorie Excellent Product Design, en 2022, ainsi que d’un Good Design Award, en juin 2023. 

Collection Freya © Nosse Ceramics

Fenabel, des assises royales

Fenabel, créée en 1992, propose des chaises sur mesure destinées aux jardins d’enfants comme aux domaines de l’hôtellerie ou de la gériatrie. La marque propose plusieurs collections réalisées en collaboration avec des designers telles que Coffee de Gian Luca Tonelli & Davide Carlesi, Liv de Muka Lab ou Suzanne. Désirant s’inscrire dans le marché européen puis mondial, l’entreprise investit dans des équipements de pointe lui permettant désormais de produire 650 chaises par jour. Qu’elle s’adresse à des particuliers ou au secteur privé, la marque met un point d’honneur à s’adapter aux projets de ses clients, qu’il s’agisse des couleurs ou des tissus. Reconnue pour ses finitions et son élégance, elle a récemment conçu des sièges pour le Vatican et la présidence portugaise.

Chaise Coffee, design : Gian Luca Tonelli & Davide Carlesi © Fenabel

Et le son devient palpable avec Claraval

Claraval conjugue design, artisanat et musicalité. Par le biais d’un processus révolutionnaire, allant de l’impression 3D au coulage en barbotine en passant par l’émaillage, la marque traduit les fréquences sonores en formes. Une manière d’immortaliser la musique en œuvres voluptueuses. Uniques et expressives, ces créations allient art et technologies pour un résultat contemporain. Symbole de ce mélange des genres, la marque, enracinée dans la ville historique d’Alcobaça, s’est immiscée dans le monastère de la ville avec la chanteuse lyrique Sónia Tavares. De cette collaboration est née la collection Monastère, qui rend palpable l’acoustique si particulière du lieu dans des vases sculpturaux et complexes. 

Collection Monastère, vase Sonia © Claraval


Le changement d’état au cœur de l’objet avec Made in Situ

Le projet Bronze & Beeswax du studio Made in Situ est né d’un moment hors du temps. En 2019, le designer Noé Duchaufour-Lawrance, en quête d’inspiration au Portugal, assiste à une fonte de bronze ancestrale dans un petit village proche de Porto. Alors désireux de créer un objet dont le design évoque le changement d’état, il s’intéresse à la cire d’abeille produite dans le pays qui devient rapidement l’élément complémentaire par excellence. De cette association découle un ensemble de quinze bougeoirs. Divisés en deux familles, Lux et Flux, ils rendent respectivement hommage à la lumière et à la cire d’abeille. Conçus avec une légère inclinaison, les bougeoirs permettent à la cire de s’écouler lentement jusqu’à se solidifier pour faire bloc avec le métal. Une façon d’allier deux matières réunies dans un objet simple et complexe, sombre et lumineux. 

Bougie en Bronze et cire d'abeille © Clement-Chevelt

Hatt, pour un design évolutif et responsable

Fondée par Jorge Macedo et Marcelo Fernandes, la marque Hatt propose du mobilier dont le design est évolutif. La marque cherche en effet à créer des produits « adaptés à la nouvelle réalité, à les faire évoluer, à donner naissance à des produits fonctionnels et transgénérationnels ». Ainsi, chaque produit se distingue par une référence, une esthétique, un choix de matériau ou d’une couleur spécifique afin de proposer des pièces résultant d’un équilibre entre fonctionnalité, esthétique et ergonomie. Engagée, la marque offre des produits pensés pour durer, tant par leur design que par le choix des matériaux et des finitions associées, puisque ces derniers sont développés à partir d’études techniques sur la durabilité des matériaux et de la production. ``

Buffet Vault © Hatt

Luísa Peixoto, ambassadrice du fait-main portugais

Considérée comme l’une des premières entreprises à avoir introduit le terme de « design portugais », Luísa Peixoto imagine des pièces uniques depuis 1997. Pionnière dans le domaine du fait-main au Portugal, sa fondatrice porte depuis vingt-six ans son travail sur un respect des matières premières, en donnant une attention spécifique aux détails. Mêlant art et design, chaque pièce est faite sur mesure, à destination d’intérieurs du monde entier. Parmi ses réalisations, le paravent conçu pour un voyage du pape Benoît XVI reste l’une des plus marquantes. Elle collabore également avec divers artistes depuis 2012. 

Buffet Meandros, réalisé en collaboration avec Paulo Neves © Luisa Peixoto

Flam&Luce, et la lumière fut 

Initialement fondé en 2001 avant d’être repris par Sílvia Fernandes en 2011, l’éditeur de luminaires Flam&Luce mise sur des créations avec une identité forte. L’entreprise combine un savoir-faire du bois, du métal et du verre pour proposer des modèles uniques, faits main. Pour la collection 2023, la marque a collaboré avec douze designers : Olivier Toulouse, Mathias, Richard Pierre Duplessix, Sylvain Vialade, Florence Bourel, Didier Versavel, Pierre Tassin, Luigi Cittadini, Thierry Nénot, Paulo Henriques, Cyril Gorin et Gildas Boissier. En plus de ces collaborations signées, l’éditeur propose chaque année une collection Studio afin de répondre aux aspirations et aux désirs des clients avec lesquels la marque a pu échanger au cours de l’année. La collection Totem, présentée en 2022, propose quant à elle des luminaires personnalisables en termes de couleurs, de matières, de formes et de tailles. 

Luminaire amor © Flam&Luce

Herdmar, accessoires de la table 

Créé en 1911, Herdmar est l’un des plus grands producteurs de couverts de table au monde, aujourd’hui présent dans plus de 80 pays. L’usine, située à Caldas das Taipas, dans le nord du Portugal, est le lieu de création de ce savoir-faire perpétué depuis maintenant quatre générations. En moyenne, 30 000 pièces sont confectionnées chaque jour grâce à une équipe de 120 collaborateurs. Au-delà de leur qualité purement fonctionnelle, les couverts Herdmar sont de véritables accessoires de mode à table, par lesquels le design s’associe aux tendances actuelles pour proposer des éléments contemporains qui mêlent qualité, innovation et tradition. Parmi les dernières nouveautés : Enso, deuxième collaboration avec le designer portugais João Ferreira, est le reflet de l’équilibre, de la force et de l’élégance, tandis qu’Osier, créé par l’équipe de design interne d’Herdmar, est un hommage à l’art ancien du travail de la tige d’osier présenté sous la forme d’une adaptation des poignées Mono.

Collection Enso © Herdmar


Zagas, savoir-faire du bois

Zagas est une marque de mobilier spécialisée dans la fabrication de meubles en bois massif. Fondée par Gonzaga Barros da Silva en 1948, l’entreprise, dont l’usine est installée à Paredes, dans la région de Vilela, est aujourd’hui dirigée par Albano, Elias et Filipe Silva. En juin dernier, lors de la Portugal Home Week de Porto, et afin de célébrer ses 75 ans, l’entreprise présentait sa première collection de mobilier de chambre. Une série qui comprendra notamment des produits des gammes Oblique, Essence et Everest, et dont le textile de lit provient de la marque Lameirinho, également portugaise.

Collection Fiore © Zagas

Colunex, pour l’amour du sommeil 

Évoluant dans le domaine de la literie, Colunex est une entreprise spécialisée dans la création d’espaces de sommeil sur mesure et propose des matelas et des oreillers adaptés, mais pas que. En effet, les lits, lampes et tables de chevet sont également personnalisés pour permettre la création de la chambre « parfaite ». Chaque phase de production est méticuleusement contrôlée, dans un respect des normes de sécurité et de qualité les plus exigeantes. Ainsi, chaque lit Colunex combine technologie et design, et cela est rendu possible grâce au savoir-faire de ses artisans. Pour les matelas, différents types ont été développés, tant pour la technologie qu’ils intègrent que pour le confort final qu’ils offrent, afin de s’assurer que chaque client y trouve son sommeil. 

© Colunex
Rédigé par 
Maïa Pois et Tom Dufreix

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21/11/2025
Retour sur les talks et les tables rondes Intramuros au salon EspritContract

Pour sa troisième édition, EspritContract organisé en parallèle d’EspriMeuble, était de retour à la Porte de Versailles du 15 au 18 novembre. Un moment de rencontres et d’échanges entre les marques et les professionnels mais également l’occasion pour Intramuros de prendre part à la médiation de plusieurs conférences thématiques.

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[Vision de marque] Upcycling : le design vertueux

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Ergonomie - le design au service du bien être

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Frédéric SOFIA, designer
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17/11/2025
EspritContract : le contract nautique, une part majoritaire chez CELIO

Depuis plus de dix ans, le secteur nautique structure l’activité de l’entreprise CELIO. Un domaine à part, dans lequel l’innovation du bureau d’étude joue un rôle primordial. Rencontre avec Thomas Liault, responsable de la branche contract de la marque.

Pour sa troisième édition, EspritContract se tiendra du 15 au 18 novembre au Parc des Expositions de la Porte de Versailles.Plus d’informations sur : https://www.espritmeuble.com/le-salon/secteurs/secteur-contract.htm

Comment le contract structure votre activité ?

Aujourd’hui, le contract est un secteur important dans notre entreprise puisqu’il représente entre 15 et 20 % de notre activité totale, avec une croissance constante sur les quatre dernières années. C’est aussi une branche plurielle, qui se divise en quatre segments : le nautisme, par lequel nous avons commencé il y a dix ans et qui représente toujours plus de 80 % de notre activité ; les établissements de santé, comme les cliniques et les EHPAD ; l’hôtellerie, principalement l’aménagement de chambres dans des structures quatre étoiles ; et enfin un segment plus divers, comme le projet d’une école de gendarmerie sur lequel nous travaillons actuellement.

Vous parlez du domaine nautique, comment êtes-vous entré dans ce secteur ?

C’est par là que nous avons commencé le contract. Une entreprise travaillant avec Les Chantiers de l’Atlantique a été liquidée il y a une dizaine d’années, et comme il s’agissait d’amis, mon père, Alain Liault, aujourd’hui directeur de CELIO, a proposé de continuer leur activité au sein de notre société. Nous avons donc recruté la personne à la tête de leur bureau d’étude, le chargé d’affaires et le dirigeant de l’entreprise. C’est ainsi que nous avons mis le pied à l’étrier en 2014. Ce secteur reste extrêmement porteur pour nous : nous venons de signer un accord pour la réalisation de six navires de 2 000 chambres chacun, qui devraient être livrés au cours des trois prochaines années.

Quelles sont les différences entre ce domaine et l’hôtellerie classique ?

Pour les navires, nous travaillons uniquement sur les chambres de l’équipage et des passagers, tandis que dans l’hôtellerie, nous pouvons intervenir sur l’ensemble des espaces. La principale différence entre les chambres pour navires et celles pour hôtels réside dans le gain de place et la fonctionnalité : les modules doivent être légers. La culture du poids est particulièrement importante aux Chantiers de l’Atlantique, car elle implique moins de consommation d’énergie. Par ailleurs, la volonté de diversifier les intervenants et les entreprises sur des projets d’une telle envergure reste forte : il n’est pas possible de tout réaliser seul.

CDA Celebrity-edge ©CELIO

Comment votre bureau d’étude accompagne-t-il cette activité ?

Notre bureau d’étude compte six personnes sur les 180 présentes sur le site de La Chapelle Saint-Laurent. Nous avons choisi de ne pas le spécialiser afin de conserver une diversité d’approches. C’est souvent cette vision élargie et l’expérience acquise sur différents projets qui nous permet de trouver des solutions à des problèmes complexes. Notre bureau d’étude joue également un rôle important en termes de créativité, en étant force de proposition vis-à-vis des architectes avec lesquels nous travaillons.

Finalement, comment l’entreprise a-t-elle évolué depuis sa création ?

Quand mon grand-père a créé la société, elle fabriquait des lits de coin, des cercueils et de nombreux autres objets. Progressivement, elle s’est transformée et industrialisée. Lorsque mon père est arrivé, nous nous sommes spécialisés dans les armoires et les dressings, puis dans l’univers de la chambre. Nous sommes restés dans ce domaine jusqu’au milieu des années 2000, lorsque l’univers du salon a fait son apparition, suivi du contract une dizaine d’années plus tard. Cela nous a permis de nous diversifier.

Par opportunité, nous avions déjà réalisé ponctuellement des établissements de santé, mais nous avons décidé de miser sérieusement sur ce segment, à la fois en interne et en participant à des salons comme EspritContract. Il y a quatre ans, nous avons lancé un important projet d’investissement de dix millions d’euros : nous avons agrandi l’usine de 3 000 mètres carrés supplémentaires et mis en place un équipement industriel automatisé. Ce renouveau nous a permis d’entrer sur un nouveau type de marché, avec une capacité de production de petites séries rentables à partir de 15 ou 20 modules. Un nouveau champ des possibles s’est ainsi ouvert à nous !

Okko hôtel ©CELIO
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13/11/2025
Studio 5.5 : Designer à dessein

Designer à desseinCo-fondateurs emblématiques « et de plus en plus radicaux » du Studio 5.5, Jean-Sébastien Blanc et Claire Renard évoquent les enjeux qui émaillent le monde du design et les contradictions qui y sont liées.

« Quand j'étais étudiant, j'avais toujours une forme de déception à toujours créer sans jamais réparer les objets. La forme était généralement davantage valorisée que le concept. Je crois qu'avec les 5.5, on avait besoin de prendre le contre-pied » analyse Jean-Sébastien Blanc, co-fondateur du studio. Alors l'aventure a commencé. Avec « La médecine des objets » d'abord, un projet manifeste et inattendu au début des années 2000, suivi de « Réanim », sa version sérielle à l'origine d'un ouvrage intitulé « Sauver les meubles ». « On a été les premiers à concevoir le design sur la base de l'upcycling, et à l'époque nous avons été très médiatisés pour cette approche. »  

Mais le véritable projet « structurant » du studio, a été la revente de vaisselles en plastique faite par Arc. « La marque est venue vers nous pour faire une collection 100 % plastique. À cette époque, nous avions dit oui, mais en proposant une alternative qui réinventait les invendus de la marque. Ils ont réalisé la première collection avant de nous annoncer sa destruction pour des raisons de réorganisation de la société. On a donc décidé de récupérer les 42 000 pièces et elles ont été vendues en seulement quatre ventes en France et en Italie » explique Claire Renard. Une prise de position qui a permis au groupement de designers de se faire connaître au-delà de la sphère design.

Une chaise réparée grâce au projet Réanim ©5.5

Interroger la contradiction

« Charlotte Perriand disait que le design doit servir l'humain. Or, l'humain a déjà tout ce qui lui faut et il n'y a, de fait, plus de nécessité de créer. On doit vraiment se questionner sur notre rôle » avoue Jean-Sébastien Blanc, selon qui les 5.5 sont les premiers designers de la décroissance. « Aujourd'hui, un bon designer fait décroître la consommation. Ça paraît contradictoire, mais c'est notre vision. Notre place en tant que créateur ne doit plus être de proposer de nouveaux objets, mais de questionner notre rapport à eux. Et c'est ce qui nous a fait connaître quand on a commencé à réparer des objets du quotidien en 2002. » Un paradigme en place depuis longtemps, à associer avec la question du design démocratique. « Notre démarche a toujours été de faire du design pour tous. Le problème, c'est qu'aujourd'hui cette notion est souvent associée à celle du consumérisme. Pour nous, l'enjeu ne concerne pas tant les utilisateurs que les créateurs. C'est l’idée que nous avions en travaillant avec les artisans de chez Bernardaud pour la série 1 000 tasses. L'enjeu était de redonner du pouvoir et de la liberté de création aux ouvriers. En fait, la démocratie dans le design, c’est surtout s'interroger sur la manière de valoriser toutes les classes sociales » explique Claire Renard.

Le projet Bernardaud ©5.5

Mais outre l'humain se pose aussi la question environnementale éminemment centrale dans l'histoire du studio. « Aujourd'hui, nous ne voulons plus être au service de, mais exprimer notre opinion. Le design doit être politique avant d'être esthétique. » C'est sur le fond de cette perception que le studio a présenté à l’exposition universelle d’Osaka son projet Muji-Muji, une matérialisation de notre vision, à l'échelle de la micro-architecture. Initiée pour repenser l'image de Muji, cette construction est un véritable lieu de vie basé sur les objets de la marque japonaise. « On s'est dit que pour incarner la marque, il fallait la vivre et c'est pour ça qu’on a créé un meuble à habiter qui répond à des fonctions simples comme se nourrir, se laver ou dormir. » Un bâtiment imaginé en six modules comme six tranches de vie, conçu dans la lignée d'autres constructions réalisées il y a quelques années par Jasper Morrison, Konstantin Grcic et Naoto Fukasawa. Un projet « au design universel » qui propose une relecture de l'habitat en phase avec les exigences de notre époque et la volonté du studio de ne plus créer de nouveaux objets mais d’inviter à décroitre en repensant les acquis. Un changement de paradigme, où l’objet cède progressivement du terrain à la parole, de nouveau illustré lors de la Paris Design Week 2025, ou « 577 chaises : l’hémicycle citoyen », a été présenté dans la cour d’honneur du musée des Archives nationales pour dénoncer « la mise en danger de la démocratie ».

La Manifesto House réalisé avec Muji ©5.5

Un retour personnel au design manifeste

En parallèle de son activité au sein du studio, Jean-Sébastien Blanc développe son propre univers, en rupture totale avec les conventions. Du diffuseur AIRWICK à la lampe iJobs en passant par l’haltère Red bull, les formes « se rapprochent du design froid et aseptisé des premières créations du studio. » Plus personnel et dans une certaine mesure poétique, chaque objet trouve un écho dans l'approche globale des 5.5 : sobre et upcyclé, radicale et engagée. Réalisée comme des pièces uniques, ces créations invitent l'utilisateur – ou le spectateur – à questionner son rapport à l'objet, à sa propre consommation. « L'idée n'est pas de créer pour créer, mais d'initier des changements » affirme le designer. Bien loin des créations à succès des 5.5 comme la clé USB en forme de clé, écoulée à cinq millions d'exemplaires, et du design sériel auquel il a été formé, Jean-Sébastien Blanc propose une approche alternative, où le sens remplace le besoin, et la réflexion, l'acte d'achat.

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13/11/2025
L'Orient Express de Maxime d'Angeac, un voyage dans l'Art déco

Pour célébrer les cent ans de l’Art déco, le Musée des Arts Décoratifs de Paris rend hommage à ce style majeur. Au cœur du parcours, les wagons signés Maxime d’Angeac offrent une relecture contemporaine du luxe et du voyage selon l’esprit Art déco.

Dans le cadre de l’exposition « 1925-2025. Cent ans d’Art déco » visible au Musée des Arts Décoratifs de Paris jusqu’au 26 avril 2026, l’architecte et designer Maxime d’Angeac dévoile le futur Orient-Express. Un véritable hommage à ce train mythique, mais également aux savoir-faire d’excellence et au raffinement stylistique de ce mouvement. À cette occasion, nous lui avons posé cinq questions sur sa démarche, ses inspirations à l’origine de ce projet hors du commun alliant au patrimoine, la création contemporaine.

Depuis quand travaillez-vous sur ce projet et combien d’ateliers ou d’artisans vous accompagnent ?

Je travaille depuis janvier 2022 sur ce projet. Ce qui est exposé au Musée des Arts Décoratifs représente près de 180 000 heures de conception. Nous avons travaillé avec de nombreux savoir-faire qui ont nécessité une trentaine de maîtres d’art et d’artisans de haute facture.

© Alixe Ley

En quoi l’imaginaire autour de ce train mythique vous a-t-il inspiré ?

La marque Orient-Express est source de curiosité, de développement, de richesses… Elle est en réalité plus riche d’imaginaire que de matérialité. Elle est porteuse de légendes et convoque la géographie, l’histoire, la littérature et le cinéma. C’est une marque culturelle qui a marqué son temps par la vision du voyage au début du XXᵉ siècle, et dont je me suis inspiré.

© Alixe Ley

Justement, comment avez-vous travaillé les ambiances pour que l’intérieur soit à la fois un hommage à l’Art déco et un décor contemporain ?

Je me suis inspiré du vocabulaire et de la grammaire de l’Art déco, puis j’ai réappliqué les mêmes principes à la conception d’un train. Je me suis aussi appuyé sur les archives de l’Orient-Express, auxquelles j’ai fait des références subtiles et des clins d’œil, sans pour autant copier ou reprendre avec exactitude et nostalgie. Il a également fallu intégrer des technologies inexistantes à l’époque. J’ai donc surtout fait un travail d’ensemblier contemporain, en me nourrissant des savoir-faire de mes interlocuteurs, tous ancrés dans le XXIᵉ siècle et les préoccupations actuelles. Nous avons par exemple sourcé des bois, limité l’utilisation des cuirs, évité le gâchis, réduit les transports inutiles, fabriqué en France, contrôlé l’isolation des volumes pour éviter les déperditions…

© Alixe Ley

Dans l’exposition, on voit de nombreux croquis et vous abordez la question du Modulor développée par Le Corbusier. Votre approche est-elle proche de celle que l’on pouvait rencontrer il y a un siècle ?

Dans mon studio, nous travaillons beaucoup à la main. Chacun a un crayon et du papier à côté de son ordinateur, et je tiens à ce que les idées soient d’abord exprimées ainsi. Cela ne donne pas forcément de beaux croquis, mais permet une expression directe des intentions : les épaisseurs, les jonctions, les finitions, les proportions. L’ordinateur est évidemment indispensable, mais il ne suffit pas à lui seul. Quant au Modulor, j’ai toujours accordé une grande importance aux proportions, à la recherche du bon rythme, du bon plan, des bonnes lignes. Mes études m’ont conduit à explorer Pythagore, le nombre d’or, puis leurs prolongements, dont le Modulor de Le Corbusier, un système intéressant. Le fond du sujet reste pour moi la place de l’homme dans l’espace, qu’il soit assis, debout, couché.

© Alixe Ley

Les pièces utilisées dans ce projet ont-elles été créées pour l’occasion ou proviennent-elles de mobilier déjà édité ?

Tout a été dessiné sur mesure, puis créé par mon studio. J’ai la chance d’avoir autour de moi des personnes talentueuses et curieuses, qui me permettent d’assurer une production importante afin de répondre aux attentes de la marque, que ce soit sur rail ou sur mer. Par exemple, le fauteuil du train est dissymétrique, car il est toujours placé contre un mur. Il doit pouvoir pivoter, passer ses accoudoirs sous la table lorsqu’elle est levée, rester stable grâce à une base plutôt que des pieds afin de préserver les orteils, et être suffisamment large pour éviter tout basculement. Certains meubles, lampes ou tapis du train ou du navire sont entièrement dédiés à la marque et ne seront pas commercialisés. Les autres, nombreux, seront édités par différentes Maisons qui nous font déjà envie.

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