L’Industreet, une alternative au décrochage scolaire et architectural

L’Industreet, une alternative au décrochage scolaire et architectural

Créée par la Fondation Total, l’Industreet fait le pari d’amener chaque année 400 jeunes sans diplômes vers un emploi de niveau bac+2. Les locaux conçus par l’agence WOA accompagnent ce projet pédagogique particulier tout en proposant des pistes pour la mutation des zones industrielles et leurs architectures anonymes.

Campus Industreet, Atelier WOA, architecture bois, Fondation Total , Pierrefites-Stains © Camille Gharbi 2020

À cheval sur Stains et Pierrefitte, dans un bâtiment conçu par l’agence WOA, l’Industreet a accueilli ses premiers élèves en octobre 2020, mais son inauguration officielle s’est déroulée le 1er mars dernier, avec la visite sur place d’Emmanuel Macron. Justifiant le déplacement du Président de la République, l’Industreet est dès l’origine un projet à part, développé dans le cadre de la consultation « Inventer la métropole du Grand Paris ». L’ Urban Valley proposée par le promoteur Atland envisage la mue d’une zone d’activité en quartier habité, esquissant la possibilité d’une ville. L’ouverture de la ligne de tramway express T11, connectée au RER D, a donné l’impulsion nécessaire à la transformation du site. Le projet l’agence WOA s’appuie sur l’espace public aménagé devant la nouvelle gare de Pierreffite-Stains, promue au rang de pôle multimodal. La volumétrie des bâtiments reprend celle des hangars d’activité, qu’elle hybride avec des bâtiments de bureaux. Un hôtel, un restaurant d’entreprise et un parking silo complètent le programme. Un espace vert « comestible » cultivé en permaculture structure l’ensemble et organise la composition.

Un calendrier contre le décrochage

Quatre années séparent l’esquisse de la livraison – crise sanitaire comprise. Un laps de temps plutôt court durant lequel l’opération a évolué pour s’adapter à des occupants arrivant en cours de projet. Contraint de déplacer son centre de recherche de Saint-Denis pour laisser la place à la future piscine olympique, Engie manifeste son intérêt pour l’Urban Valley. La Fondation Total souhaite implanter son nouveau centre de formation dans la deuxième partie du complexe. Atland, qui a prévu au départ la construction de « bureaux en blanc » convenant à n’importe quelle entreprise, va reconfigurer le projet en fonction des attentes très particulières de l’Industreet, qui s’engage à louer les lieux pour dix ans.

À mi-chemin entre l’IUT et l’école professionnelle, l’Industreet recrute ses élèves parmi les jeunes de 18 à 25 ans « décrochés » du système scolaire traditionnel, ce qui suppose un renouvellement totale des études et de leur calendrier. « Si, en février, je demande à un jeune en rupture avec lenseignement de revenir me voir à la rentrée de septembre, je vais le perdre, explique Olivier Riboud, directeur de l’Industreet. On recrute en permanence et lon accueille de nouveaux élèves toute lannée. » Pas de diplôme requis à l’entrée. La motivation, la capacité à travailler en groupe et à se remettre en cause sont les seules qualités exigées. Les élèves sont répartis selon leur niveau dans des classes déjà constituées. « Nous ne cherchons pas à fabriquer des clones, insiste Olivier Riboud, une partie de la formation repose sur la capacité des élèves à sentraider ». Le cursus dure entre 12 et 18 mois en fonction des capacités de chacun. Il s’achève par une certification professionnelle permettant d’intégrer ces secteurs de l’industrie en tension, où l’on ne trouve que 1,2 candidat par poste — maintenance des lignes industrielles, numérisation des lignes de production, etc.

Une architecture adaptée à une école 2.0

Les couloirs de sont animés par les élèves, qui entrent et sortent librement des ateliers où se fabriquent toutes sortes d’objets, comme des machines engagées dans le prochain combat de robots. « Nous ne voulions pas dun enseignement magistral où le professeur règne sur ses élèves une fois refermée la porte de la classe », souligne Riboud. L’espace s’adapte à une pédagogie structurée par projet. L’agence WOA a supprimé les cloisons au profit de grands espaces ouverts autour d’une rue intérieure sous verrière, évocation des passages parisiens et de leur urbanité. Véritables lieux de rassemblement et de rencontre, ils suggèrent un environnement industriel plus humain et plus ludique. Les élèves gravitent entre salles de réunions, ateliers et vastes circulations favorisant la socialisation, dans une architecture constamment pédagogique à 360°, à l’exemple du mobilier des espaces communs.

Également dessiné par l’agence WOA, il consiste en une série de cubes que les élèves peuvent agencer et empiler à leur guise. « La pérennité de ces meubles sinscrit dans le moyen terme, explique Julien Dechanet associé de l’agence WOA, pour inciter les élèves à se les approprier en apportant les réparations nécessaires ». La transparence et la vue sont un autre aspect de l’obsession pédagogique qui anime l’Industreet. Des fenêtres percées dans les cloisons laissent voir ce qu’il se passe dans les couloirs ou les ateliers depuis les espaces de circulations. La structure du bâtiment raconte l’histoire de sa construction, exhibe presque ses éléments de bois et métal, placés selon leur efficacité maximale. Les portiques métalliques libèrent la surface des ateliers des poteaux, les réseaux de ventilation, d’électricité et d’eau restent toujours apparents. « Les premiers relevés 3D et les premières maquettes BIM que feront nos élèves seront ceux de lIndustreet », dit Riboud. Un établissement où l’édifice ne se contente pas d’abriter la pédagogie, mais y participe. La preuve matérielle qu’en matière d’emploi comme en matière d’architecture, le décrochage n’est pas une fatalité.

Photos  : Camille Gharbi

Camille Gharbi

L’espace s’adapte à cette pédagogie structurée par projet propre à Industreet. L’agence WOA a enlevé des cloisons pour laisser de grands espaces ouverts autour d’une rue intérieure sous verrière évoquant les passages parisiens et leur urbanité. Ils constituent des lieux de rassemblement qui structurent les locaux et instaurent des tiers lieux suggérant une nouvelle identité industrielle, plus humaine et plus ludique.

Rédigé par 
Olivier Namias

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24/10/2025
Jean-Philippe Nuel : de l’architecture au mobilier

L’architecte et designer Jean-Philippe Nuel a livré trois projets architecturaux au cours de l’été. L’occasion pour lui de développer deux nouvelles assises en collaboration avec Talenti et Duvivier Canapés.

Architecte multi-facettes, Jean-Philippe Nuel s’est une nouvelle fois illustré cet été avec la livraison de trois projets hôteliers. Témoignant de son attachement à une « approche contextuelle, fondée sur le sens, l’histoire et la captation d’éléments didactiques », l’architecte décorateur a signé trois cadres de vie aux identités radicalement différentes, mais unis par une même volonté : concevoir des espaces enracinés dans leur territoire et ouverts sur le monde. De la métamorphose du dernier étage du Negresco à Nice, hommage élégant et contemporain à Jeanne Augier, à la création de L’Isle de Leos Hotel & Spa en Provence, imaginé comme une maison d’hôtes intime et chaleureuse, en passant par le Talaia Hotel & Spa à Biarritz, écrin minéral et marin suspendu au-dessus de l’océan, Jean-Philippe Nuel conserve l’idée d’un dialogue entre le lieu, l’architecture et le mobilier. Une approche qui l’a conduit à collaborer avec Talenti et Duvivier Canapés pour développer deux nouvelles gammes, désormais pérennisées par les marques.

Le Talaia Hotel & Spa de Biarritz ©FrancisAmiand

L’espace à l’origine de l’objet

Chez Jean-Philippe Nuel, le mobilier naît rarement d’une idée abstraite, mais plutôt d’un « besoin généré par l’architecture », explique-t-il. « Quand on conçoit une chambre d’hôtel, on a souvent besoin d’un bridge. On ne veut pas d’une simple chaise, mais il faut que l’assise reste manœuvrable pour s’adapter à différents usages. En 2021-2022, j’ai donc dessiné cette pièce, car il en existait en réalité assez peu sur le marché. » Destinée à l’origine à un projet hôtelier avorté à New York, la pièce au design sobre et classique a malgré tout été réalisée par Duvivier Canapés sous le nom de colection Barbara. D’abord implantée dans un hôtel à Reims, elle a fini par trouver sa place au Negresco, dans le cadre de la rénovation estivale. « À l’image de cette pièce, mes objets naissent souvent d’un lieu, d’un besoin précis. Ce n’est que dans un second temps que se pose la question de leur adoption par une marque et de leur intégration dans une collection », précise le designer. C’est notamment le cas d’une autre collaboration, cette fois avec Talenti, imaginée dans le cadre du projet de L’Isle-sur-la-Sorgue. Nommée Riva, la collection s’inspire du nautisme et du quiet luxury. D’abord pensée pour le monde de l’hôtellerie, puis intégrée à des projets de yachting, l’assise, reconnaissable à son large piètement en bois sur l’avant, a été ajoutée au catalogue de la marque italienne. « Nous avons néanmoins dû redimensionner certaines pièces. Le piètement initial, assez épais, a été redessiné pour plus de légèreté et de durabilité. Mais la générosité de la chaise, son aspect presque surdimensionné, demeure. » Ce processus d’ajustement accompagne souvent la transition d’une pièce sur mesure vers l’édition. « C’est par exemple ce qui s’est produit au Negresco, pour un canapé en forme de banane de quatre mètres de long. On nous a dit qu’il était trop grand : il a fallu le repenser pour un cadre plus classique. »

La Suite Jeanne&Paul et les assises de la collection Barbara imaginées par Jean-Philippe Nuel ©Grégoire_Gardette

Une approche transversale et lisible

Architecte de formation, mais aujourd’hui davantage tournée vers l’aménagement intérieur, Jean-Philippe Nuel revendique une posture transversale. « Même si ma notion de création s’est un peu déplacée, j’aime garder un œil sur toutes les étapes d’un projet. C’est peut-être lié au marché anglo-saxon, où les architectes ne s’occupent pas des intérieurs ni de la décoration. En Europe, c’est différent, mais comme je travaille beaucoup à l’étranger, le curseur s’est un peu déplacé. » Connu pour la diversité de ses réalisations, le créateur défend avant tout une cohérence du lieu. « Je garde un style que je ne renie pas, sans fioritures, avec une lisibilité dans la mise en place des éléments. » De L’Isle-sur-la-Sorgue, où la présence d’antiquaires a inspiré un dialogue entre objets anciens et mobilier contemporain, à Biarritz, où les couleurs du Pays basque infusent le projet, son seul fil rouge reste l’identité du lieu. « Pour le mobilier, comme pour l’architecture, c’est toujours dans le cadre de ce que j’ai vu, ressenti ou analysé que la création s’inscrit », conclut-il.

Le hall de l'hôtel Isle de Leos et les assises de la collection Riva éditées par Talenti ©Francis Amiand
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24/10/2025
Icônes en résonance : Charlotte Perriand rééditée par Saint Laurent

À la Galerie Patrick Seguin et sous la curration d’Anthony Vaccarello, la maison Saint Laurent fait dialoguer l’héritage du design avec celui de la mode en présentant quatre pièces rares de mobilier de Charlotte Perriand.

Jusqu’au 22 novembre, la Galerie Patrick Seguin met en scène une exposition qui réunit deux icônes du XXᵉ siècle que sont Charlotte Perriand et Yves Saint Laurent. Sous la direction artistique d’Anthony Vaccarello, ce sont quatre pièces de la créatrice - dont certaines étaient jusqu'ici restées à l’état de prototypes - qui ont été rééditées en série limitée. Présentées de façon presque muséale, chaque meuble témoigne d’un dialogue subtil entre rigueur moderniste et sensualité des matériaux, qu’il s’agisse de la banquette de la résidence de l’ambassadeur du Japon à Paris, du fauteuil Visiteur Indochine ou bien de la bibliothèque Rio de Janeiro ou encore de la table Mille-Feuilles.

Bibliothèque Rio de Janeiro © Saint Laurent

Un dialogue entre héritages et regards contemporains

Plus qu’une simple exposition, cette collaboration rend hommage à la fascination réciproque entre la mode et le design. En effet, alors qu'Yves Saint Laurent  collectionnait les créations de Perriand, Anthony Vaccarello lui, les faire revivre avec modernité à travers un regard épuré, fidèle et respectueux du travail de la designeuse. En s’associant à la Galerie Patrick Seguin, Saint Laurent affirme son engagement pour le patrimoine créatif et la transmission des savoir-faire. Un exercice d’équilibre où l’héritage se transforme en manifeste contemporain, à découvrir sans attendre.

A gauche : Fauteuil visiteur Indochine / A droite : Table Mille-Feuilles © Saint Laurent

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22/10/2025
Pour Miami Paris, Range Rover ouvre sa galerie de design

A l'occasion de Design Miami, Range Rover ouvre les portes de la Range Rover Gallery dans la cour de l'Hôtel de Maisons jusqu'au dimanche 26 octobre.

Connu pour le luxe de ses véhicules les plus prestigieux, Range Rover place depuis 55 ans le design à la hauteur de l’innovation technique. À l’occasion de Design Miami, la marque britannique dévoile dans la cour de l’Hôtel de Maisons, en plein cœur de Paris, un petit espace d’exposition éphémère : la Range Rover Gallery. Quelques mètres carrés dans lesquels la marque souhaite valoriser la création contemporaine en accueillant six créations. Pensé comme une extension physique de sa philosophie “Modern luxury”, la galerie valorise en son sein les travaux des lauréates Sophie Dries et Fleur Delesalle récompensées en 2022 et 2023 lors des AD Range Rover Design Awards, et Dan Yeffet, précédemment membre du jury.

Trois noms pour incarner le luxe de demain

Parmi les pièces exposées, Sophie Dries présente Croissant, un fauteuil dont la silhouette faussement légère dissimule une conception sophistiquée faite de velours dense et de placage en loupe de bois. Une assise réalisée dans un atelier français en hommage au savoir-faire traditionnel. Une approche que l’on retrouve également dans la lampe E.T. de Fleur Delesalle. Cette création sculpturale réalisée en plâtre suggère une présence quasi animale chargée de mystère. Enfin, on trouvera les créations de Dan Yeffet explorant, par le biais du verre, du métal et de la pierre, une esthétique portée par la tension des courbes. Trois styles différents et une même recherche de radicalité au service de l’esthétique. Une vision d’autant plus importante pour Range Rover que la marque a réaffirmé son soutien à la jeune création l’an dernier en lançant le Student Prize. Un concours par lequel les étudiants sont invités à imaginer un objet nomade, à la fois sophistiqué et épuré, inspiré par la sphère automobile. Un prix pensé comme une passerelle entre générations, disciplines et visions du luxe.

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22/10/2025
In Situ : l’expression maximaliste de Charles Zana

L’architecte d’intérieur et designer Charles Zana présente In Situ. Une collection aux proportions nouvelles, dévoilée dans un écrin haussmannien rue de Rivoli et visible jusqu’au 26 octobre.

C’est dans le cadre haussmannien de l’ancien Cercle suédois situé au 242 rue de Rivoli, que Charles Zana a souhaité présenter sa nouvelle collection : In Situ. Après l’Hôtel de Guise en 2021, où il avait présenté Ithaque, et l’Hôtel de la Marine, où il avait dévoilé Iter l’an dernier, c’est donc derrière les hautes fenêtres de cet écrin surplombant le jardin des Tuileries que l’architecte d’intérieur et designer s’est installé pour la semaine. Le temps pour lui de présenter « une collection plus personnelle et moins formelle que les deux précédentes », explique-t-il. Créateur touche-à-tout, Charles Zana propose cette fois-ci une vision maximaliste de son approche, se laissant aller aux formats XXL favorisant l’expressivité visuelle de ses créations. Imaginées pour la plupart dans le cadre de cette nouvelle collection, quelques pièces rééditées trouvent néanmoins leur place, parmi lesquelles le canapé Julie, qui, à la manière d’un confident courbé en satin et en étain, vient redessiner l’espace grâce à ses six mètres. Une création centrale dans le salon de cet appartement que le visiteur est invité à arpenter pour découvrir ou redécouvrir, au gré de six vastes pièces, une trentaine de créations. Parmi elles, des miroirs Carlo en bronze ou encore le petit fauteuil Big Franck, installés à l’ombre d’un discret boudoir vert bouteille. Deux créations en hommage au maître italien Carlo Scarpa, dont le travail a inspiré le designer, qui nourrit une profonde affinité avec les designers italiens modernistes, et Jean-Michel Franck, l’une des figures emblématiques de l’Art déco.

Exposition In Situ de Charles Zana ©Gaspard Hermach

Une vision artistique globale

Signature d’intérieurs remarquables aux quatre coins du monde, Charles Zana a imaginé cet ensemble sans fil rouge, simplement guidé par l’idée d’une « collection en mouvement ». Au-delà de l’aspect formel qui ne se confine pas à un style, l’architecte d’intérieur et designer se laisse guider « par des meubles qui architecturent l’espace ». Considérant qu’il n’y aurait pas « une seule façon bourgeoise de s’implanter dans l’espace », mais au contraire une réflexion « proche de celle des ensembliers », l’exposition met en avant la pluralité des formes et des matières. À celles traditionnelles comme le bronze, le marbre, le cuir ou encore l’acier inoxydable, Charles Zana intègre pour la première fois de nouveaux médiums comme la laque, l’étain ou la céramique, tous travaillés en France.

Exposition In Situ de Charles Zana ©Gaspard Hermach

Scénographiée avec une grande simplicité, privilégiant l’esprit d’un appartement habité à celui d’un showroom, la présentation s’accompagne d’une sélection d’œuvres issues de l’univers de Charles Zana. Parmi elles, des polaroïds de Carlo Mollino, des céramiques d’Ettore Sottsass et des antiquités de la Galerie Chenel. Amateur d’art pictural et collectionneur, le designer s’est également entouré du galeriste Paul Calligaro pour la  curation dont résulte une sélection d'œuvres d’Eugène Carrière. Une mise en valeur du XIXe siècle dans laquelle architecture et peinture servent le design contemporain et permettent à l’événement de s’inscrire en tout point dans la dynamique d’Art Basel Paris.

L’exposition est à voir au 242 rue de Rivoli, de 11 h à 19 h jusqu'au dimanche 26 octobre.

Exposition In Situ de Charles Zana © Gaspard Hermach
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