Sebastian Herkner

Sebastian Herkner

Le design jusqu’au bout des doigts

Sebastian Herkner est aujourd’hui l’une des figures internationales que les éditeurs se disputent. Il n’est pas aisé d’établir de manière exhaustive la liste de ses collaborations, tant elle est diverse et variée, à l’image de la curiosité sereine du designer allemand, qui travaille aussi bien avec des petits éditeurs comme La Manufacture qu’avec Cappellini et Thonet.

Quelques années avant d’être le designer invité de l’IMM puis de Maison&Objet, en février 2013, il faisait la couverture du numéro 165 d’Intramuros, entre Scholten & Beijing et A+A Cooren. Le magazine avait alors titré « Sciences Naturelles ». Huit ans plus tard, son propos est toujours le même, et son attachement au travail soigné encore plus exacerbé.

En dessinant ce logo qui apparaît en pleine page de son site Internet, la graphiste Antonia Henschel a capté l’essence même du personnage. Son logo, avec un tiret légèrement penché, reflète toute sa personnalité : claire et franche avec ce regard prêt à capter le détail. Elle va offrir cette légère valeur ajoutée à « un design qui touche l’essence même de la fonction, tout en cultivant en sourdine une certaine forme d’ambiguïté ».

Sebastian Herkner : Un jeune designer de quarante ans

Il fait partie de ces jeunes designers qui n’ont pas attendu la cinquantaine pour faire du monde leur terrain de jeu. À quarante ans, à peine, il a déjà signé avec les plus grandes marques et cette période de pandémie ne l’a pas empêché de poursuivre ses collaborations et d’étoffer les collections de Ligne Roset, Ames, Vibia, ClassiCon, Cappellini, Gan, Moroso, Thonet, La Manufacture, Man of Parts…ou la nouvelle marque de luminaires australienne Rakumba.

Au moment de l’interview, fin avril, il rentrait à peine de son premier voyage de l’année à Bologne et Milan où il avait pu visiter et prendre quelques photos du Pavillon de l’Esprit Nouveau, dessiné en 1925 pour l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes. Dessiné par Le Corbusier et Pierre Jeanneret, il a été reconstruit en 1977 à Bologne et servira de sources d’inspiration pour ses futurs travaux.

Vibia, collection Kontur, design Sebastian Herkner, 2021

Rakumba, Collection Metropol, design Sebastian Herkner, 2020

La patience du travail artisanal

Sebastian Herkner est né en 1981 à Bad Mergentheim du côté de Stuttgart, et vit depuis 20 ans à Offenbach am Main dans la région de Francfort. Son père était électricien, sa mère assistante médicale et son frère aîné est jardinier. Dans sa famille comme dans de nombreuses familles allemandes, il est essentiel de savoir faire quelque chose de ses dix doigts. Il s’est toujours passionné pour les outils et le travail bien fait, fasciné par le travail de la main.

Toujours fourré dans l’atelier de son père, il y a appris la patience et la rigueur du travail artisanal. Il ouvre son studio à Offenbach en 2014, Geleitstrasse. En 2021, il emploie 5 personnes toutes dévouées à son confort et à la réussite de ses projets. Sa passion, c’est de rester connecté à la créativité, que ses voyages nourrissent. Très jeune, avec ses parents, il a sillonné les routes de France de villes en villages, de centre de fabrication en centre de construction, abordant ainsi le travail du verre, de la porcelaine, du bois, de la céramique, du métal ou du cuivre. Fasciné par les matériaux, il regarde comment les peuples s’approprient les techniques traditionnelles et les savoir-faire.

© N. MILLET
Coedition, chaise Klee, design Sebastian Herkner, 2020

Entre le fonctionnel et le sensible

Dans ses produits, il cherche à créer une balance entre le fonctionnel et le sensible et avoue son privilège de travailler avec de grandes marques internationales. D’une paire de lunettes au canapé, du tabouret à la table basse, il a produit toutes les typologies capables de meubler un hôtel ou un restaurant. Du Japon à la Colombie. Il a le privilège de voyager pour découvrir ébloui le résultat de ses dessins. « Le passage du dessin au prototype est toujours un moment plein d’émotion.» Il a eu le grand honneur d’être remarqué par Giulio Cappellini, Oliver Holy – ClassiCon (fils de l’entrepreneur Jochen Holy et arrière-petit-fils du pionnier du textile Hugo Boss) et Ana Maria Calderon Kayser et Karl Heinz Kayser, créateurs de la marque colombienne Ames qui fait réaliser tout son mobilier et ses accessoires par des familles d’artisans aux savoir-faire exceptionnels répartis dans toutes les régions de la Colombie.

Cappellini, canapé modulable Litos, design Sebastian Herkner, 2020.

Man of Parts, table Savignyplatz, design Sebastian Herkner, 2021.

Tout est affaire de rencontre

Car tout est affaire de rencontre. Et c’est avec Michel Roset qu’il rencontre sur le salon IMM Cologne en 2019 qu’il met au point la collection «Taru», des fauteuils généreux et confortables, idéale pour le privé ou le collectif. Sebastian connaissait la marque depuis son enfance. Des voisins de ses parents avait un généreux canapé Togo de Michel Ducaroy dans leur salon. Afin de mieux connaître la marque et son histoire, d’apprécier son savoir-faire, Sebastian s’est rendu plusieurs fois à Lyon pour visiter l’usine de fabrication.

Ligne Roset, Sofa Taru, design Sebastian Herkner, 2020

Avec Ames, il s’est donné la mission de développer des meubles et des accessoires pour la maison « en touchant le cœur et l’esprit» des gens qui affectionnent les styles de vie cosmopolites. Entre l’Allemagne et la Colombie, la marque accorde la plus grande importance à une production respectueuse de l’environnement. Tous les produits, imprégnés d’un langage formel européen, sont fabriqués selon les traditions artisanales colombiennes. Ils prendront bientôt place dans un nouvel hôtel, en rénovation à Biarritz.

Ames, collection Cartagenas, design Sebastian Herkner, 2021

Un travail honnête et authentique

Voyager lui a toujours donné de nouvelles bases d’inspiration. Ses maîtres sont italiens, Achille Castiglioni, Alessandro Mendini, Gae Aulenti pour ses luminaires. Mais il admire le Français Jean Royère pour son talent d’artiste décorateur. Le verre soufflé, le travail du métal le fascinent, et il cite volontiers parmi les talents français Christophe Delcourt ou Pauline Deltour. Il aimerait travailler à plus grande échelle, sur un projet d’hôtel. Une cuisine ou une salle de bains ne lui font pas peur. Déjà en 2016, il avait aménagé Das Haus sur le salon du meuble de Cologne. Et avait surpris toute la profession avec un mur de savon en guise de paroi de salle de bains, comme des carreaux de céramique, doucement courbés.

Il aime les villes comme Copenhague ou Paris qui sont à proximité de l’Allemagne, à peine à quatre heures de train. Mais aussi Barcelone, plus originale et le Portugal où le travail de la céramique est un vrai talent.

Basique, honnête et authentique, c’est ainsi qu’il aime définir son travail. La force créative, il la trouve dans tous les pays, dans les galeries à Francfort autant qu’à Paris chez Kamel Menour et il s’est réjoui d’avoir pu déguster en avril une pizza à Bologne, même s’il était seul. Il a hâte de retrouver une vie normale et de pouvoir à nouveau partager avec « les autres ».

Stella Works, collection Host, design Sebastian Herkner, 2020.

FreiFrau, fauteuil Ona, design Sebastian Herkner, 2020.

Un développement durable

La sustainability ou le « développement durable » est un concept à prendre en compte pour prendre soin des matériaux et penser un slow furniture qui s’inscrive en résistance à la fast fashion et au fast furniture. La qualité doit apporter cette idée d’éternité qui est associée à toute création de mobilier. Il encourage les jeunes designers à poursuivre sans fin leurs études, à reprendre une vie collective, à apprendre ensemble, à tester, à discuter, à utiliser leurs cinq sens. Parce que le design est « feeling » et « touching ». Souvent cité comme l’un des 100 meilleurs designers de l’année 2021, il reste modeste.

Rédigé par 
Bénédicte Duhalde

Vous aimerez aussi

Temps de lecture
1/10/2025
Minimalistic : la dernière gamme épurée de Gaggenau

Près de six mois après Expressive, Gaggenau dévoile Minimalistic. Une nouvelle gamme dans laquelle la finesse des éléments rencontre l’ingénierie des systèmes.

Connue son matériel de qualité professionnelle, la marque allemande Gaggenau dévoile Minimalistic, une nouvelle gamme inscrite dans la continuité d’Expressive, lancée en avril dernier. Composée d’un four vapeur, d’un combi-vapeur, d’un combiné micro-ondes, d’un tiroir chauffant, d’un autre sous-vide, sans oublier la machine à café, cette nouvelle ligne est le fruit de dix années de développement et de nombreux allers-retours entre le siège de la marque situé à Munich et son usine de Lipsheim. Conçues pour prolonger l’esprit novateur de Gaggenau, les deux gammes Minimalistic et Expressive ont été entièrement repensées et redessinées de sorte à faire entrer les utilisateurs dans une nouvelle approche toujours plus précise et simplifiée de la gastronomie.

Également dotée de l'anneau, signature de la gamme, la machine à café trouve sa place dans l'alignement de chaque modules ©Gaggenau

L’aspect pratique comme premier ingrédient

Imaginées dès 2015, Minimalistic et Expressive ont nécessité un regard novateur résolument tourné vers des lignes épurées. Chaque module, conçu pour s’inscrire à fleur de plan, se décline en deux finitions : Sterling, une teinte claire, et Onyx, une version plus sombre. Des coloris de façades également travaillés au sein des pièces techniques grâce à l’incrustation de particules métalliques dans les parties vitrées. Un effet de matière rythmé par les profilés de ventilation horizontaux en aluminium. Des lignes auxquelles viennent répondre un anneau de contrôle flottant situé sur la partie supérieure du four. Seul élément en relief de l’appareil, cette pièce circulaire et creuse développée en interne sur la base du nombre d’or, constitue une alternative physique à l’écran tactile testé auprès des clients fidèles de la marque. C’est sur ce dernier, jusqu’ici inédit dans l’univers Gaggenau, que s’affiche, entre autres, les quinze modes de cuisson et les 160 recettes de base. À l’intérieur du four, quatre niveaux d’éclairage ont été imaginés pour rappeler la peinture classique et la place qu’y occupaient les aliments. Une volonté de solliciter non plus uniquement l’odorat, mais également la vue comme en atteste le discret lever de soleil accompagnant la montée en température. L’ouïe non plus n’est pas en reste puisque le design sonore du four a été confié à l’agence Massivemusic, à l’origine du jingle du Festival de Cannes, apportant une signature auditive optimale.

Repensée pour résister à près de 450°, la vitre du four se compose de cinq épaisseurs de verre ©Gaggenau

L’ingénierie au cœur de la recette

Au-delà de l’esthétique, ces deux gammes sont le fruit d’une réinterprétation complète des précédents modèles ne conservant avec eux qu’une simple vis en commun. Repartie de zéro, l’équipe design composée d’une dizaine de personnes, épaulée par le centre de recherche et développement, a notamment repensé la cavité du four en dissimulant le système de chauffe derrière les parois. Cette configuration a permis d’augmenter le volume de l’appareil - disponible en 60 cm ou 76 cm dans la version grande taille - tout en posant de nouveaux défis techniques liés à la montée en température. Pour y répondre, la puissance a été augmentée de près de 40 %, imposant une révision complète de l’émail intérieur afin d’éviter les fissures causées par la différence de dilatation entre le métal et le verre. Un élément d’autant plus important que ces nouveaux fours peuvent dépasser les 300°, en partie grâce à une nouvelle vitre constituée de cinq épaisseurs de verre. Minimaliste et expressif à la fois, le style Gaggenau est avant tout celui d’une technicité au service du goût !

La gamme Minimalistic dans la version Sterling ©Gaggenau
Temps de lecture
26/9/2025
Les luminaires givrés d’Hadrien Hach

Pour sa première collection, le designer français Hadrien Hach dévoile une série de luminaires réalisés en tissu de soie et en résine. Une technique développée à tâtons, pour un rendu délicatement givré.

Il est courant de dire que le geste se trouve au cœur de la pratique d’un designer, qu’il est relatif à un savoir-faire, à une culture. Au Japon, la découpe du bambou à l’aide d’un katana fait partie de ces mouvements-là. Hadrien Hach découvre cette pratique lors d’un voyage au pays du Soleil Levant en 2018. Mais ce n’est que six ans plus tard que le designer choisit de la figer en objet ; d’abord dans son essence d’origine, puis en plâtre pour pallier les fissures liées au séchage, et enfin en bronze pour plus de préciosité. Une évolution qu’il abandonne rapidement au profit de la résine, un matériau qui lui permet « de réaliser des prototypes seul, sans être soumis aux délais des fonderies ni aux contraintes du métal. » C’est donc dans un univers encore inconnu qu’il s’immerge début 2025. Commence une phase de recherche et développement menée à l’abri des regards, dans son atelier sarthois.

Le modèle Frozen Katana, comme les autres de la collection, joue avec les aspérités de la matière et l'aspect ascensionnel donné par le dégradé doré de la base ©JP Vaillancourt

Une collection inspirée par le geste et les voyages

Il y a des matériaux dont on connaît à l’avance le rendu, et d’autres, issus d’alchimies novatrices, qui ouvrent de nouvelles pistes. Attiré par la résine et ses propriétés techniques, Hadrien Hach entame une démarche prospective en quête de la bonne association. Travaillant d’abord avec de la fibre de verre grâce à laquelle il obtient une transparence centrale dans ses créations, Hadrien Hach finit par adopter le tissu de soie. « C’est un matériau que j’ai découvert un peu par hasard, et qui donne à la résine un effet translucide, presque givré » explique-t-il. Travaillé sous forme de feuilles enduites, le textile est ensuite mis à sécher pendant une journée dans la forme désirée. Convaincu que « la matérialité conduit à la forme », le designer, dont l’idée de flottement avait guidé des premiers prototypes, s’oriente finalement vers un style plus monolithique. Inspiré notamment par la tour The Shard, célèbre gratte-ciel londonien où il a vécu deux ans, ou par l’architecture vernaculaire africaine, il signe six familles de luminaires, dont la première s’intitule Frozen Katana. Un clin d’œil évident aux prémices de cette première collection, et au Japon, renforcé par l’usage de la feuille d’or. Un revêtement en écho “au temple de l’or de Kyoto et sans doute un peu au château de Versailles, à côté duquel j’ai grandi », raconte-il. Appliquées par fragments ou bien dégradées à l’alcool, ces dorures jouent avec la lumière. Que ce soit en reflétant l’environnement lorsque la lampe est éteinte, ou en filtrant la lumière lorsqu’elle est allumée, à l’image de l’applique Arrowslit dont le maillage réalisé grâce à une résille évoque une pixellisation ou une cartographie urbaine.

Comme un clin d'œil à l'enfance, le designer s'est inspiré des meurtrières visibles dans les châteaux-forts pour créer cette applique Arrowslit. Une référence architecturale détournée pour attirer le regard non plus vers l'extérieur, mais vers l'intérieur de l'habitat ©JP Vaillancourt

L’idée d’un design construit

Si les clins d'œil architecturaux sont si présents dans son travail, c’est en partie grâce à son parcours à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles. Une formation enrichie d’une approche centrée sur l’intérieur avec un diplôme en design d’objet obtenu à l’École Polytechnique de Milan. « Ça a été une année très rafraîchissante avec une vision complètement différente. En France, nous avions plutôt travaillé sur du logement social alors que là-bas, nous avons travaillé sur des projets de yachts et de villas. » Une expérience transversale à la croisée du fonctionnel et de l’ornemental, valorisée ensuite par un stage dans le département architectural de Louis Vuitton au cours duquel l’architecte travaille de nouveaux matériaux haut de gamme comme le papyrus ou le cuir d’anguille. S’en suivent des expériences dans le développement commercial pour un verrier et un sculpteur londoniens, avant un retour en France où il devient chargé d’affaires et de projets pour la Maison Pouenat. « J’ai toujours été à cheval entre le monde de l’entreprise et celui de la création. Et finalement, j’ai fini par créer une collection. » Un retour éclairé à la conception.

Ci-dessous à gauche la suspension Frozen Shard et à droite la lampe à poser Manaratan (le phare en arabe) ©JP Vaillancourt

Temps de lecture
22/9/2025
Juliette Rougier : guidée par l'émotion

Installée à Marseille où elle s’est prise de passion pour la canne de Provence, Juliette Rougier développe un univers intime, ancré dans le territoire local.

C’est un début prometteur qui en ferait rêver plus d’un. Diplômée des Beaux-Arts de Marseille l’été dernier, Juliette Rougier s’est vu récompenser du prix du public de la Villa Noailles trois semaines après pour sa collection Alto, son projet d’études. Une belle reconnaissance pour la designer née en 2000 en banlieue parisienne, et installée à Marseille depuis quatre ans après une licence en design global passée à l’École Bleue. C’est ici, sous le soleil et au milieu de la végétation méditerranéenne que tout a commencé. « C’est parti d’un workshop sur la flore régionale, explique la designer. Avec une enseignante, nous sommes allés visiter une manufacture qui travaille la canne de Provence pour en faire des anches. J’en ai ramassé quelques-unes à même le sol, et lorsque j’ai demandé si je pouvais repartir avec, on m’a expliqué que c’étaient des déchets et on m’a montré une fosse au bout d’un champ où il y en avait des milliers. Ça a été une révélation ! » Commence alors une collaboration entre l’entreprise Marca, fondée en 1957, et la créatrice.

Valet Alto, Juliette Rougier, Artisans : Pascal Souvet et Christophe Richard

La sensibilité en guise d’orientation

« Je n’ai pas tout de suite su comment travailler ce matériau, mais il y avait une sorte de frugalité qui me plaisait bien. Avec la paraffine naturelle, l’objet est déjà verni et l’entreprise l’a déjà taillé. Ma pratique consiste simplement à assembler, comme un puzzle. » Alors les morceaux fusionnent, se superposent, alternent, soit par couleur lorsque certains, plus rares, lui parviennent brunis par le temps, soit par taille selon les instruments auxquels ces anches étaient destinées. « Je travaille d’abord la surface en jouant sur les aspects et les finitions. C’est à partir de là que je décide ce que j’en fais. La notion de matière est très importante pour moi, c’est ce qui confère à l’objet sa dimension intime. » Une sensibilité essentielle aux yeux de Juliette Rougier, qui aborde son travail de manière instinctive. « Lorsque j’ai commencé, je ne connaissais rien à cette plante, et je crois que cette vision dépourvue de technique m’a permis d’être totalement libre dans mon approche pour réinventer quelque chose. Et comme mon cerveau adore les associations d’idées, mes créations naissent d'inspirations hétéroclites. » Une approche du design cultivée, entre autres choses, par son attrait pour le mobilier des années 1950 et les détails architecturaux de sa ville d’adoption. Mais pour celle qui aime se balader en levant le nez, son inspiration se résume surtout à « ce que les gens ne regardent pas ». En témoignent ses multiples collections d’« objets non utilitaires » comme les photographies d’angles et de plafonds ou encore des ensembles de galets et d’écrous. Un petit monde poétique et parallèle que cette « presque animiste » a hérité de ses grands-mères, l’une peintre, l’autre sculptrice. « Quand j’étais plus jeune, elles m’ont appris à observer les oiseaux et à chercher des trésors dans la laisse de mer, bref, à glaner. » Un acte auquel la designer a consacré son mémoire de fin d’études, et qui trouve dans sa pratique toute sa signification.

Buffet Bas « Autan », Juliette Rougier x Malo Mangin x Laëtitia Costechareyre, issu du projet « Les Partisan.e.s 2025 », processus créatif collaboratif annuel de l’association « Réseau Le Bunker » par ©Caroline_Pelletti_Victor - Photographie de Juliette Rougier prise au ©lebunkerdescalanques

Une liberté de trait et d’évolution

Alors comme ses inspirations, comme ses trouvailles et à l’image de ses foisonnants carnets de croquis, Juliette Rougier explore avec, en toile de fond, la trame caractéristique de son médium. Animée par cette possibilité « de faire le maximum d’effets avec le moins de matériaux », elle multiplie les esquisses et décline les formes spontanément. « Mes meubles sont motivés par l’envie de susciter de la curiosité. » Un mince fil rouge reliant ses créations les unes aux autres, de la réinterprétation du désuet valet au cabinet haut perché, en passant par un ensemble de toiles abstraites. Car par-delà ses lignes architecturales involontairement évocatrices d’une culture méditerranéenne à la croisée de l’art africain et de la culture amérindienne, Juliette Rougier cultive également la passion du trait. Un double bagage qui lui avait permis d’obtenir un contrat avec Cinna en 2022 pour son tapis présenté trois ans plus tôt dans le cadre du concours organisé par la marque, qui avait pour thème « Faire du neuf avec du vieux ». Une proposition stylistique dans laquelle les contours mais aussi les notions initiales d’assemblage et de revalorisation marquaient les prémices de ce qui deviendra en 2024 le Cabinet, sa pièce emblématique présentée à la Villa Noailles. Un meuble qui sera exposé cet été à Arles à l’occasion des Rencontres photographiques. Une autre manière d’illustrer la transversalité des médiums qui nourrissent respectivement les inspirations de chacun.

Photo de miniature : Portrait de Juliette Rougier, par Caroline Feraud, pour Sessun Alma

Photos ci-dessous : Cabinet Alto, Juliette Rougier, Artisans : Pascal Souvet et Christophe Richard

Temps de lecture
15/9/2025
Paris Design Week 2025 : la sélection d'Intramuros

Du 4 au 13 septembre dernier, la Paris Design Week a rythmé la scène design parisienne avec de nombreux événements à découvrir un peu partout dans la capitale. Retour sur ceux qui ont particulièrement retenu notre attention.

L’installation « Plastic Glamping » de Marianna Ladreyt à l’Hôtel d’Albert 

Pour succéder à la Maison Manifeste de Muji avec le Studio 5.5 exposée l’année dernière à l’Hôtel d’Albert, la Paris Design Week a fait appel à la designeuse Marianne Ladreyt, connue pour travailler la bouée sous toutes ses formes. Pour cette installation XXL, elle s’est attaquée au thème du camping pour y proposer une réinterprétation 100 % bouée, de la toile de tente jusqu’au sol en passant par le mobilier. Une réalisation qui lui a demandé plusieurs semaines de travail minutieux pour arriver à assembler chacune des « peaux » de bouées les unes avec les autres. En parallèle, elle y dévoilait également une collaboration exclusive avec Vitra sur la restauration d’une pièce usagée ainsi qu’avec airborne sur leur mythique fauteuil AA.

Installation "Plastic Glamping" de Marianna Ladreyt à l'Hôtel d'Albert © Romain Moriceau

L’installation Spinning Mirror de Sophia Taillet au Musée de la Chasse 

Mêler design et danse, voilà un peu l’idée de la designeuse Sophia Taillet autour de l'installation Spinning Mirror.  Pensée comme une « danse silencieuse » pour reprendre les mots de cette dernière, elle y présentait 9 miroirs de la collection, entrant ainsi en résonance avec l’architecture de la cour dans laquelle elles prenaient place. Une installation en mouvement perpétuel, qui a d’ailleurs été complétée de 3 performances de danse, offrant aux visiteurs une expérience immersive et sensorielle inédite.

Installation Spinning Mirror de Sophia Taillet au Musée de la Chasse lors de la Paris Design Week

Une exposition pour les 10 ans de TipToe

À l’occasion des 10 ans de la marque, les équipes de TipToe ont voulu marquer le coup en proposant à 10 designers et artistes - Wendy Andreu, BIG-GAME, Jean-Bapstiste Durand, kann design, Victoria Wilmotte, Sophie Dries, Julien Renault, Constance Guisset, Rudy Guénaire, Olimpia Zagnoli - de réinterpréter leur iconique pied de table à serre-joint. Une proposition pour laquelle ils avaient tous carte blanche et offrant 10 objets tout aussi surprenants qu’inspirants. Exposés du 4 au 6 septembre à la galerie Ellia et proposés à la vente sur le site de la marque, les recettes seront ensuite reversées au profit de l'association Toit à Moi.

Les dix réinterprétations du pied TipToe réunies rue de Turenne ©TipToe

Les lumineuses créations de Ronan Bouroullec

D’ombres en reflets, la dernière collection de Ronan Bouroullec plonge la galerie Kreo dans une atmosphère poétique. Présentée jusqu’au 1er novembre, Clair-obscur est une série de lumières - un terme volontairement préféré à lampes ou luminaires - constituée d’un globe opalin blanc inséré dans une corolle en verre soufflé transparent gris ou ambre. Connectées entre elles par une tige suspendue en aluminium anodisé, les modules jouent avec les perceptions du spectateur grâce à leurs courbes filtrant la lumière. Une approche relativement minimaliste où la lumière devient matière à perception.

Exposition de la collection Clair-obscur de Ronan Bouroullec à la Galerie Kreo ©Morgane Le Gall

Les nouveautés MVE-Collection présentées dans un pop-up rue de la Verrerie 

Fondé par l’architecte Vincent Eschalier et le designer Matteo Lécuru en 2023, le studio de design MVE propose des pièces de mobilier et accessoires pensées pour compléter des projets d’architecture et architecture d’intérieur. « L’idée de MVE était de proposer un accompagnement complet à nos clients jusque dans le choix du mobilier avec des pièces de designers mais également en proposant nos propres collections » expliquait Mattéo Lécuru. La plupart de leurs pièces sont travaillées à partir de matière brute - bois, aluminium, brique, béton -, souvent issue de leurs chantiers. Pour leur première participation à la Paris Design Week, ils ont investi un espace anciennement occupé par le BHV pour y présenter leur collection composée, entre autres, d’une série de poignées de portes en aluminium recyclé, de lampes et suspensions, de bout de canapé ou rangements de bureaux.

Collections du studio MVE présentées lors de la Paris Design Week 2025

Le pouvoir du design scandinave à l’Ambassade de Suède

À l’occasion de Maison & Objet, la Scandinavian Design Embassy s’installe à Paris après des éditions précédentes à New York et Dublin. Avec pour volonté principale de renforcer la présence du design scandinave à l’international, ce projet a réuni la Finlande, le Danemark et la Suède au cœur de l’ambassade de cette dernière. L’occasion pour ces pays de valoriser les savoir-faire de marques engagées en termes de durabilité. Parmi elles, la marque de textiles Astrid, les marques de luminaire Secto Design et Sekt, mais aussi des marques d’ameublement telles que String Furniture, Mobel, Friends & Founders et spécialisée dans le mobilier urbain et public.

À l'arrière-plan, l'espace de la marque de tissus Astrid qui collabore notamment avec Friends & Founders exposé au premier plan

AT Paris et SGMS Studio récupèrent les bonnes idées

Spécialisée dans la scénographie, l’agence AT Paris s’est associée au SGMS Studio pour imaginer une exposition collaborative centrée sur la réutilisation. Désireux d’interroger le devenir des éléments scénographiques et des matériaux issus de dispositifs éphémères, comme les pop-up stores ou les expositions temporaires, le duo a réuni 20 créateurs à la galerie Le 78. Issus de la sphère design ou de la création au sens large, à l’image de Clara Besnard ou Yams respectivement spécialisés dans les bijoux et l’origami, cette première édition souhaitait réunir des protagonistes autour d’une problématique commune, celle du réemploi. Si un quart des chaises existaient déjà, le restant a été dessiné spécialement pour l’exposition. Réalisés entièrement à partir de chutes ou conçus à partir d’objets achetés en seconde main, chaque projet explore une approche différente de la récupération et souligne la relation évidente entre valorisation et économie.

Les créations de Clara Besnard, Pierre Vaillant, ISO, Léo Nunes, Simon Dupety et OHM ©AT Paris et SGMS Studio
Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir chaque semaine l’actualité du design.