Quand le design enfourche les vélos de demain
1886 CYCLES - Collection classique hybride - 2019 © Marion Dubanchet

Quand le design enfourche les vélos de demain

Derrière ses allures de showroom de technologie deux-roues hi-tech et ludique, l’exposition « Bicyclette(s), Faire Des Vélos » commissionnée à la Cité du Design de Saint-Étienne par le designer Jean-Louis Fréchin, redessine le paysage innovant d’une industrie française et européenne du vélo en plein boom. Une vision stratégique dans laquelle le design s’est clairement emparé du maillot jaune.

À Saint-Étienne, le vélo est une histoire ancienne. C’est là que le premier vélo français est né en 1886 et que sa première version populaire (le modèle Hirondelle) voit le jour cinq ans plus tard, lançant le sprint pour de très nombreuses entreprises (Mercier, Mécacycle, Vitus, etc.) qui fleuriront dans les décennies suivantes. Aujourd’hui, ce fleuron de l’industrie locale a quasiment disparu (à l’exception de la réputée entreprise de jantes Mach 1 encore située dans les environs). Pour autant, le vélo n’a pas dit son dernier mot dans la Préfecture de la Loire, et l’exposition « Bicyclette(s), Faire Des Vélos » commissionnée à la Cité du Design de Saint-Étienne par le designer Jean-Louis Fréchin de l’agence NoDesign, où se retrouve quelques dizaines d’exposants, rappelle opportunément que le vélo est aujourd’hui l’élément central des nouvelles mobilités et un fantastique produit fonctionnel et stimulant pour les nouveaux usages. Mais, par-delà ce principe (presque) unanimement établi par nos besoins de nouvelles circulations douces, c’est à la découverte du « paysage du renouveau d’une industrie » française et européenne que nous invite d’abord Jean-Louis Fréchin.

Mise en situation - Exposition ``Bicyclette(s), Faire des Vélos``, cité du Design de Saint-Etienne © NoDesign

Comme il nous le rappelle, « l’avenir du vélo passe par le design », que cela soit à travers la technologie et la définition des nouveaux usages, mais aussi derrière ce besoin « qu’il faut aussi des gens pour construire des vélos » ici en Europe. Et ces gens justement sont bien là, qu’ils soient entrepreneurs, start-ups, ingénieurs, et surtout designers, tissant le lien nécessaire entre la créativité de l’atelier artisanal et les nécessités industrielles qui s’imposent. « « Bicyclette(s), Faire Des Vélos » est moins une exposition de bicyclettes que la démonstration du savoir-faire de gens passionnés, d’agences, de designers qui permettent d’avoir accès à des objets de culture, au même titre qu’un livre ou un film », explique Jean-Louis Fréchin en précisant que « les objets disent souvent qui nous sommes, mais qu’avant de penser leurs usages, il faut savoir les produire ».

Un paysage industriel en forme de topologie de machines

Ces objets, ces vélos en l’occurrence, emplissent le premier espace d’exposition selon une véritable topologie de machines, derrière laquelle la main de l’homme et du designer n’est jamais très loin. Il y a des vélos « taffeurs », pour aller quotidiennement au travail, comme les références en vélos à assistance électriques Moustache Bikes ou ce modèle de l’autre marque française qui monte, Iweech, qui associe algorithmes et machine learning pour calculer sa vitesse et potence escamotable pour le rangement. Il y a des vélos « transporteurs long tail » ou des bicyclettes pensées pour le voyage, comme les modèles des cycles Victoire – structure qui se trouve derrière Le Syndicat des Artisans du Cycle, ou encore le modèle PechTregon, designé par Matthieu Chollet ancien de l’ENSCI comme Jean-Louis Fréchin. Il y a aussi dans la deuxième salle labellisée « atelier », les représentants des fabricants de composants : boyaux FMB, jantes Mavic, boîte de vitesse automatisée Cavalerie ou batterie réparable Gouach, pour n’en citer que quelques-uns, tous partie prenante de cette économie créative pour qui la roue semble à nouveau tourner. Un modèle électrique spécial, le cycle Batspad, en acier durable, a même été spécialement conçu par Jean-Louis Fréchin à partir de multiples composants parmi ceux exposés.

Mise en situation - Exposition ``Bicyclette(s), Faire des Vélos``, cité du Design de Saint-Etienne © NoDesign

C’est d’ailleurs cet esprit d’ingénierie innovante, dans lequel la patte des designers est prépondérante, qui retient le plus l’attention. La marque portugaise Autorq (le Portugal est le premier producteur européen de vélos et dispose donc de l’écosystème économique et technique le mieux fourni du continent) a ainsi développé un boîtier de pédalier mesurant avec précision la force du décalage pour l’adapter à la conduite la plus naturelle. Le prototype Cocotte de H3Bike entend simplifier l’usage de la bicyclette avec sa boite de vitesse robotisée.

Sketch by Lee © DR
Sketch by Rosalba © DR

La forme procède directement de ces avancées où les passerelles avec l’industrie automobile sont patentes, comme on le constate avec les produits du groupe Rebirth qui propose un vélo électrique Matra, directement inspiré des principes d’utilisation de fibres de carbone recyclées et recyclables de la maison-mère automobile, permettant par exemple de travailler la partie creuse du cadre pour tout le câblage. Idem Pour le modèle Multipath d’Ultima Mobility dont le cadre monocoque en plastique est complété de carbone injecté comme dans les dernières innovations pour voitures. Les choix de matières sont d’ailleurs essentiels là aussi, avec par exemple le cadre en bambou, matériau naturel et renouvelable, développé par l’entreprise lyonnaise Cyclik, déclinable dans des versions étonnement « luxe », comme ce vélo Hermès conçu par le designer Antoine Fritsch.

Mise en situation - Exposition ``Bicyclette(s), Faire des Vélos``, cité du Design de Saint-Etienne © NoDesign

Le vélo perd son genre

De fait, la réflexion très globale, industrielle et designée, qui sous-tend « Bicyclette(s), Faire Des Vélos » se nourrit de multiples points d’entrée. Et le moins crucial n’est sans doute pas cette réflexion particulièrement portée par Jean-Louis Fréchin autour d’un changement de paradigme de genre dans l’usage du vélo. Il rappelle ainsi combien « les pistes cyclables dans les grandes villes deviennent des lieux de mixité » offrant entre autres « les refus de la promiscuité dans les transports et un sentiment de sécurité. » Surtout, il note que l’industrie du prêt à rouler, qui avait ajusté la bicyclette aux mensurations masculines, change son fusil d’épaule avec la création de toutes ces marques et gammes spécifiques. « Aujourd’hui, les hommes ont adopté les cadres à vélo ouvert en V [comme ceux présentés dans l’exposition par les modèles de la marque belge Cowboy] », souligne-t-il, tout en reconnaissant « qu’il reste à accompagner la montée en nombre d’une pratique de mobilité populaire et commune qui ne doit pas être réservée qu’aux femmes et aux hommes jeunes et en bonne santé grâce à des infrastructures adaptées et sûres. » Un nouveau défi dans lequel le design peut sans doute apporter aussi sa pierre à l’édifice, dans des considérations de design d’intérêt général notamment.

Rédigé par 
Laurent Catala

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21/11/2025
Retour sur les talks et les tables rondes Intramuros au salon EspritContract

Pour sa troisième édition, EspritContract organisé en parallèle d’EspritMeuble, était de retour à la Porte de Versailles du 15 au 18 novembre. Un moment de rencontres et d’échanges entre les marques et les professionnels mais également l’occasion pour Intramuros de prendre part à la médiation de plusieurs conférences thématiques.

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17/11/2025
EspritContract : le contract nautique, une part majoritaire chez CELIO

Depuis plus de dix ans, le secteur nautique structure l’activité de l’entreprise CELIO. Un domaine à part, dans lequel l’innovation du bureau d’étude joue un rôle primordial. Rencontre avec Thomas Liault, responsable de la branche contract de la marque.

Pour sa troisième édition, EspritContract se tiendra du 15 au 18 novembre au Parc des Expositions de la Porte de Versailles.Plus d’informations sur : https://www.espritmeuble.com/le-salon/secteurs/secteur-contract.htm

Comment le contract structure votre activité ?

Aujourd’hui, le contract est un secteur important dans notre entreprise puisqu’il représente entre 15 et 20 % de notre activité totale, avec une croissance constante sur les quatre dernières années. C’est aussi une branche plurielle, qui se divise en quatre segments : le nautisme, par lequel nous avons commencé il y a dix ans et qui représente toujours plus de 80 % de notre activité ; les établissements de santé, comme les cliniques et les EHPAD ; l’hôtellerie, principalement l’aménagement de chambres dans des structures quatre étoiles ; et enfin un segment plus divers, comme le projet d’une école de gendarmerie sur lequel nous travaillons actuellement.

Vous parlez du domaine nautique, comment êtes-vous entré dans ce secteur ?

C’est par là que nous avons commencé le contract. Une entreprise travaillant avec Les Chantiers de l’Atlantique a été liquidée il y a une dizaine d’années, et comme il s’agissait d’amis, mon père, Alain Liault, aujourd’hui directeur de CELIO, a proposé de continuer leur activité au sein de notre société. Nous avons donc recruté la personne à la tête de leur bureau d’étude, le chargé d’affaires et le dirigeant de l’entreprise. C’est ainsi que nous avons mis le pied à l’étrier en 2014. Ce secteur reste extrêmement porteur pour nous : nous venons de signer un accord pour la réalisation de six navires de 2 000 chambres chacun, qui devraient être livrés au cours des trois prochaines années.

Quelles sont les différences entre ce domaine et l’hôtellerie classique ?

Pour les navires, nous travaillons uniquement sur les chambres de l’équipage et des passagers, tandis que dans l’hôtellerie, nous pouvons intervenir sur l’ensemble des espaces. La principale différence entre les chambres pour navires et celles pour hôtels réside dans le gain de place et la fonctionnalité : les modules doivent être légers. La culture du poids est particulièrement importante aux Chantiers de l’Atlantique, car elle implique moins de consommation d’énergie. Par ailleurs, la volonté de diversifier les intervenants et les entreprises sur des projets d’une telle envergure reste forte : il n’est pas possible de tout réaliser seul.

CDA Celebrity-edge ©CELIO

Comment votre bureau d’étude accompagne-t-il cette activité ?

Notre bureau d’étude compte six personnes sur les 180 présentes sur le site de La Chapelle Saint-Laurent. Nous avons choisi de ne pas le spécialiser afin de conserver une diversité d’approches. C’est souvent cette vision élargie et l’expérience acquise sur différents projets qui nous permet de trouver des solutions à des problèmes complexes. Notre bureau d’étude joue également un rôle important en termes de créativité, en étant force de proposition vis-à-vis des architectes avec lesquels nous travaillons.

Finalement, comment l’entreprise a-t-elle évolué depuis sa création ?

Quand mon grand-père a créé la société, elle fabriquait des lits de coin, des cercueils et de nombreux autres objets. Progressivement, elle s’est transformée et industrialisée. Lorsque mon père est arrivé, nous nous sommes spécialisés dans les armoires et les dressings, puis dans l’univers de la chambre. Nous sommes restés dans ce domaine jusqu’au milieu des années 2000, lorsque l’univers du salon a fait son apparition, suivi du contract une dizaine d’années plus tard. Cela nous a permis de nous diversifier.

Par opportunité, nous avions déjà réalisé ponctuellement des établissements de santé, mais nous avons décidé de miser sérieusement sur ce segment, à la fois en interne et en participant à des salons comme EspritContract. Il y a quatre ans, nous avons lancé un important projet d’investissement de dix millions d’euros : nous avons agrandi l’usine de 3 000 mètres carrés supplémentaires et mis en place un équipement industriel automatisé. Ce renouveau nous a permis d’entrer sur un nouveau type de marché, avec une capacité de production de petites séries rentables à partir de 15 ou 20 modules. Un nouveau champ des possibles s’est ainsi ouvert à nous !

Okko hôtel ©CELIO
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13/11/2025
Studio 5.5 : Designer à dessein

Designer à desseinCo-fondateurs emblématiques « et de plus en plus radicaux » du Studio 5.5, Jean-Sébastien Blanc et Claire Renard évoquent les enjeux qui émaillent le monde du design et les contradictions qui y sont liées.

« Quand j'étais étudiant, j'avais toujours une forme de déception à toujours créer sans jamais réparer les objets. La forme était généralement davantage valorisée que le concept. Je crois qu'avec les 5.5, on avait besoin de prendre le contre-pied » analyse Jean-Sébastien Blanc, co-fondateur du studio. Alors l'aventure a commencé. Avec « La médecine des objets » d'abord, un projet manifeste et inattendu au début des années 2000, suivi de « Réanim », sa version sérielle à l'origine d'un ouvrage intitulé « Sauver les meubles ». « On a été les premiers à concevoir le design sur la base de l'upcycling, et à l'époque nous avons été très médiatisés pour cette approche. »  

Mais le véritable projet « structurant » du studio, a été la revente de vaisselles en plastique faite par Arc. « La marque est venue vers nous pour faire une collection 100 % plastique. À cette époque, nous avions dit oui, mais en proposant une alternative qui réinventait les invendus de la marque. Ils ont réalisé la première collection avant de nous annoncer sa destruction pour des raisons de réorganisation de la société. On a donc décidé de récupérer les 42 000 pièces et elles ont été vendues en seulement quatre ventes en France et en Italie » explique Claire Renard. Une prise de position qui a permis au groupement de designers de se faire connaître au-delà de la sphère design.

Une chaise réparée grâce au projet Réanim ©5.5

Interroger la contradiction

« Charlotte Perriand disait que le design doit servir l'humain. Or, l'humain a déjà tout ce qui lui faut et il n'y a, de fait, plus de nécessité de créer. On doit vraiment se questionner sur notre rôle » avoue Jean-Sébastien Blanc, selon qui les 5.5 sont les premiers designers de la décroissance. « Aujourd'hui, un bon designer fait décroître la consommation. Ça paraît contradictoire, mais c'est notre vision. Notre place en tant que créateur ne doit plus être de proposer de nouveaux objets, mais de questionner notre rapport à eux. Et c'est ce qui nous a fait connaître quand on a commencé à réparer des objets du quotidien en 2002. » Un paradigme en place depuis longtemps, à associer avec la question du design démocratique. « Notre démarche a toujours été de faire du design pour tous. Le problème, c'est qu'aujourd'hui cette notion est souvent associée à celle du consumérisme. Pour nous, l'enjeu ne concerne pas tant les utilisateurs que les créateurs. C'est l’idée que nous avions en travaillant avec les artisans de chez Bernardaud pour la série 1 000 tasses. L'enjeu était de redonner du pouvoir et de la liberté de création aux ouvriers. En fait, la démocratie dans le design, c’est surtout s'interroger sur la manière de valoriser toutes les classes sociales » explique Claire Renard.

Le projet Bernardaud ©5.5

Mais outre l'humain se pose aussi la question environnementale éminemment centrale dans l'histoire du studio. « Aujourd'hui, nous ne voulons plus être au service de, mais exprimer notre opinion. Le design doit être politique avant d'être esthétique. » C'est sur le fond de cette perception que le studio a présenté à l’exposition universelle d’Osaka son projet Muji-Muji, une matérialisation de notre vision, à l'échelle de la micro-architecture. Initiée pour repenser l'image de Muji, cette construction est un véritable lieu de vie basé sur les objets de la marque japonaise. « On s'est dit que pour incarner la marque, il fallait la vivre et c'est pour ça qu’on a créé un meuble à habiter qui répond à des fonctions simples comme se nourrir, se laver ou dormir. » Un bâtiment imaginé en six modules comme six tranches de vie, conçu dans la lignée d'autres constructions réalisées il y a quelques années par Jasper Morrison, Konstantin Grcic et Naoto Fukasawa. Un projet « au design universel » qui propose une relecture de l'habitat en phase avec les exigences de notre époque et la volonté du studio de ne plus créer de nouveaux objets mais d’inviter à décroitre en repensant les acquis. Un changement de paradigme, où l’objet cède progressivement du terrain à la parole, de nouveau illustré lors de la Paris Design Week 2025, ou « 577 chaises : l’hémicycle citoyen », a été présenté dans la cour d’honneur du musée des Archives nationales pour dénoncer « la mise en danger de la démocratie ».

La Manifesto House réalisé avec Muji ©5.5

Un retour personnel au design manifeste

En parallèle de son activité au sein du studio, Jean-Sébastien Blanc développe son propre univers, en rupture totale avec les conventions. Du diffuseur AIRWICK à la lampe iJobs en passant par l’haltère Red bull, les formes « se rapprochent du design froid et aseptisé des premières créations du studio. » Plus personnel et dans une certaine mesure poétique, chaque objet trouve un écho dans l'approche globale des 5.5 : sobre et upcyclé, radicale et engagée. Réalisée comme des pièces uniques, ces créations invitent l'utilisateur – ou le spectateur – à questionner son rapport à l'objet, à sa propre consommation. « L'idée n'est pas de créer pour créer, mais d'initier des changements » affirme le designer. Bien loin des créations à succès des 5.5 comme la clé USB en forme de clé, écoulée à cinq millions d'exemplaires, et du design sériel auquel il a été formé, Jean-Sébastien Blanc propose une approche alternative, où le sens remplace le besoin, et la réflexion, l'acte d'achat.

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13/11/2025
L'Orient Express de Maxime d'Angeac, un voyage dans l'Art déco

Pour célébrer les cent ans de l’Art déco, le Musée des Arts Décoratifs de Paris rend hommage à ce style majeur. Au cœur du parcours, les wagons signés Maxime d’Angeac offrent une relecture contemporaine du luxe et du voyage selon l’esprit Art déco.

Dans le cadre de l’exposition « 1925-2025. Cent ans d’Art déco » visible au Musée des Arts Décoratifs de Paris jusqu’au 26 avril 2026, l’architecte et designer Maxime d’Angeac dévoile le futur Orient-Express. Un véritable hommage à ce train mythique, mais également aux savoir-faire d’excellence et au raffinement stylistique de ce mouvement. À cette occasion, nous lui avons posé cinq questions sur sa démarche, ses inspirations à l’origine de ce projet hors du commun alliant au patrimoine, la création contemporaine.

Depuis quand travaillez-vous sur ce projet et combien d’ateliers ou d’artisans vous accompagnent ?

Je travaille depuis janvier 2022 sur ce projet. Ce qui est exposé au Musée des Arts Décoratifs représente près de 180 000 heures de conception. Nous avons travaillé avec de nombreux savoir-faire qui ont nécessité une trentaine de maîtres d’art et d’artisans de haute facture.

© Alixe Ley

En quoi l’imaginaire autour de ce train mythique vous a-t-il inspiré ?

La marque Orient-Express est source de curiosité, de développement, de richesses… Elle est en réalité plus riche d’imaginaire que de matérialité. Elle est porteuse de légendes et convoque la géographie, l’histoire, la littérature et le cinéma. C’est une marque culturelle qui a marqué son temps par la vision du voyage au début du XXᵉ siècle, et dont je me suis inspiré.

© Alixe Ley

Justement, comment avez-vous travaillé les ambiances pour que l’intérieur soit à la fois un hommage à l’Art déco et un décor contemporain ?

Je me suis inspiré du vocabulaire et de la grammaire de l’Art déco, puis j’ai réappliqué les mêmes principes à la conception d’un train. Je me suis aussi appuyé sur les archives de l’Orient-Express, auxquelles j’ai fait des références subtiles et des clins d’œil, sans pour autant copier ou reprendre avec exactitude et nostalgie. Il a également fallu intégrer des technologies inexistantes à l’époque. J’ai donc surtout fait un travail d’ensemblier contemporain, en me nourrissant des savoir-faire de mes interlocuteurs, tous ancrés dans le XXIᵉ siècle et les préoccupations actuelles. Nous avons par exemple sourcé des bois, limité l’utilisation des cuirs, évité le gâchis, réduit les transports inutiles, fabriqué en France, contrôlé l’isolation des volumes pour éviter les déperditions…

© Alixe Ley

Dans l’exposition, on voit de nombreux croquis et vous abordez la question du Modulor développée par Le Corbusier. Votre approche est-elle proche de celle que l’on pouvait rencontrer il y a un siècle ?

Dans mon studio, nous travaillons beaucoup à la main. Chacun a un crayon et du papier à côté de son ordinateur, et je tiens à ce que les idées soient d’abord exprimées ainsi. Cela ne donne pas forcément de beaux croquis, mais permet une expression directe des intentions : les épaisseurs, les jonctions, les finitions, les proportions. L’ordinateur est évidemment indispensable, mais il ne suffit pas à lui seul. Quant au Modulor, j’ai toujours accordé une grande importance aux proportions, à la recherche du bon rythme, du bon plan, des bonnes lignes. Mes études m’ont conduit à explorer Pythagore, le nombre d’or, puis leurs prolongements, dont le Modulor de Le Corbusier, un système intéressant. Le fond du sujet reste pour moi la place de l’homme dans l’espace, qu’il soit assis, debout, couché.

© Alixe Ley

Les pièces utilisées dans ce projet ont-elles été créées pour l’occasion ou proviennent-elles de mobilier déjà édité ?

Tout a été dessiné sur mesure, puis créé par mon studio. J’ai la chance d’avoir autour de moi des personnes talentueuses et curieuses, qui me permettent d’assurer une production importante afin de répondre aux attentes de la marque, que ce soit sur rail ou sur mer. Par exemple, le fauteuil du train est dissymétrique, car il est toujours placé contre un mur. Il doit pouvoir pivoter, passer ses accoudoirs sous la table lorsqu’elle est levée, rester stable grâce à une base plutôt que des pieds afin de préserver les orteils, et être suffisamment large pour éviter tout basculement. Certains meubles, lampes ou tapis du train ou du navire sont entièrement dédiés à la marque et ne seront pas commercialisés. Les autres, nombreux, seront édités par différentes Maisons qui nous font déjà envie.

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