Exposition
La luxueuse marque d'Horlogerie Audemars Piguet s'expose jusqu'au 16 juin dans l'enceinte de l'hôtel Portrait Milano. L'occasion de (re)découvrir ses valeurs et ses modèles emblématiques.
Après l'inauguration de la nouvelle AP House de Milan début mars, Audemars Piguet repose ses valises dans la ville italienne. Pendant deux semaines, l'horloger suisse se dévoile dans « Shaping Materials », une exposition imaginée pour valoriser son esprit d'innovation. Installée au sein de l'hôtel Portrait Milano, la marque fait un pont entre son identité propre et celle du lieu qui a successivement accueillit successivement une librairie, une imprimerie, un hôpital ou encore une école. Un monument chargé d’histoire, aujourd'hui transformé en hôtel de luxe grâce à la réhabilitation des architectes Michele de Lucchi et Michele Bönan en 2022.
Une architecture d'or, et déjà marquante
C'est en plein cœur de la cour carré l'ancien séminaire archiépiscopal de style baroque, qu'Audemars Piguet a décidé de monter son pavillon. Entièrement dorée, chaque face du bloc reflète les colonnades de l'architecture environnante. Un dialogue visuel qui annonce dès l'arrivée du visiteur, la volonté de lier cette ville culturelle à la culture de la marque. Pour Ilaria Resta, directrice générale de la société suisse, « l’exploration des matériaux et des formes fait écho à la ville de Milan, qui représente un centre d’Histoire, de créativité et de design ». Une architecture éphémère qui fait cohabiter les époques et mélange les styles.
Une exposition 3.0 pour lier le passé et l'avenir
Si l'extérieur est historique et ordonné, l'intérieur est quant à lui, numérique et déstructuré. En alliant du contenu interactif avec une scénographie aux partis pris très forts et divers, Audemars Piguet souhaite avant tout matérialiser son esprit et son image. Répartie en cinq espaces, l'exposition propose aux initiés comme aux novices, une déambulation dans un monde tantôt sucré et feutré, tantôt underground et ultra-contemporain. En alternant entre la délicatesse des courbes et l'angularité des lignes, la maison suisse traduit son goût pour l'innovation et la variété de ses recherches intersectorielles. Le parcours, qui propose de découvrir le monde de l'horlogerie, aborde la taille des pierres, les technologies de miniaturisation ou encore les recherches de packaging, sous un angle ludique. Aux écrans omniprésents tout au long de l'exposition, s'ajoutent également de nombreux modèles de la marque. Une manière de montrer l'évolution du métier, et celle du design depuis 1875.
Exposé jusqu'au 1er juin dans la galerie Chamagne-Hardy, le designer Ludovic Roth propose de découvrir “Infraviolet”. Une collection inclassable qui s’illustre par sa diversité.
Designer depuis une quinzaine d'années, Ludovic Roth expose jusqu'au 1er juin sa collection Infraviolet à la galerie Chamagne-Hardy située dans le VIIe arrondissement de Paris. Riche de 17 objets parmi lesquels des miroirs, des tables, des lampadaires ou encore des vases, la collection frappe par son éclectisme total. Fruit d'un travail de deux années mené occasionnellement en binôme, Infraviolet invite le visiteur à côtoyer des objets aux apparences souvent inédites.
De la diversité à tous les niveaux
Par l'absence d'unité formelle et plastique, le designer pose les codes d'un travail de conception sensible qui puise comme rare caractéristique commune, la présence de couleurs vives et des lignes épurées. Selon lui, « L’emploi de la couleur peut apporter un souffle de légèreté salutaire. » Une vision qu'il a poussée en diversifiant les médiums dont le PVC, le miroir, mais surtout le bois et le métal. Deux éléments qu'il mêle au travers de compositions très graphiques radicalement contemporaines.
Particulièrement intéressé par la matérialité et la fantaisie, le créateur passionné de sciences et de techniques a mis au point un traitement lui permettant d'obtenir un rendu irisé sur le métal. Un processus qu'il travaille depuis 3 ou 4 ans et qu'il déploie pour la première fois au sein d'une collection. « La couleur m’évoque le plaisir de créer, d’insuffler par l’objet une certaine gaieté à un intérieur. Nombreux sont ceux qui ressentent l’impact de la couleur et apprécient sa capacité à conférer à un objet une autre dimension, au-delà du "sérieux" de sa rigueur formelle » analyse le designer.
Un parcours international
« Deux années de développement ont été nécessaires pour mettre au point Infraviolet. Elles m’ont offert la possibilité de repousser les limites de ma pratique » analyse Ludovic qui cumule les projets internationaux depuis son diplôme obtenu en 2008 auprès de l'Ecole Bleue. Intéressé par la conjugaison des savoir-faire artisanaux aux techniques actuelles pour élaborer de nouveaux design, le créateur est aujourd'hui sollicité dans les domaines de l'architecture, de l'audio et de l'horlogerie. Une renommée sacrée par l'acquisition en 2022 de son luminaire Cosse en cuir et acier par le Mobilier national.
Au Salone del Mobile, Pedrali a déployé ses nouveaux modèles au gré d'un vaste stand aux allures de showroom coloré.
De la salle à manger à l'espace de détente en passant par le jardin. C'est dans ce qui s'apparente à une vaste habitation en tissu de 900m² que Pedrali a mis en scène ses nouveaux objets lors du Salone del Mobile de Milan, début avril. Forte de onze collections, pour certaines inédites, la marque italienne a souhaité reconstituer des lieux de vie. En accordant une réelle importance aux couleurs, le studio milanais DWA Design Studio, à qui l'on doit la scénographie d'exposition, proposait aux visiteurs d'accélérer le temps pour passer en l'espace de quelques instants, des pièces baignées d'une lumière matinale bleutée, à celles illuminées d'un crépuscule orangé. Des mises en scène sobres mais évocatrices, grâce auxquelles les objets semblent projetés dans un environnement semi-réel.
Le temps d'un déjeuner solaire
Midi sonne, le soleil est haut dans le ciel et l'ambiance est particulièrement solaire. Une atmosphère qui résonne avec les couleurs acidulées d'Héra Soft, la dernière chaise de Patrick Jouin pour Pedrali. Avec son dossier suspendu par un piètement haut, l'assise à l'allure aérodynamique entre en résonance avec la table Rizz de Robin Rizzini. Soutenu par quatre pattes métalliques de section triangulaire, l'élément central de la salle à manger dégage une âme très animale en partie due à la linéarité cassée des pieds. Un détail porteur d'un caractère froid, mais rehaussé par l'éclairage des lampes Tamara de Basaglia Rota Nodari.
Repas terminé, direction le salon adjacent conçu par CMP design. Ici, les lignes sont moins strictes, les volumes y sont enveloppants et invitent à prendre son temps. Avec son armature en bois de frêne massif tout en courbe, le canapé deux places Lamorisse ainsi que ses fauteuils lounge, invitent à un début d'après-midi convivial. Autour, les tables basses Blume dessinées par Sebastian Herkner finalisent l'ambiance sereine et délicate de la pièce.
Prendre le soleil partout et comme on le souhaite
Lorsque certains discutent à l'intérieur, d'autres profitent d'un moment plus reposant sur les poufs Buddy Oasi. Extension d'une collection à succès de la marque, ces modules de Busetti Garuti Redaelli sont la version extérieure du Buddy classique destiné à l'origine pour la maison. Semblables à des galets géants aux courbes polies, ces conceptions qui se multiplient et se déplacent au grès du soleil, s'approprient en fonction des envies. Ledossier mobile, lesté avec une base antidérapante, se déplace librement sur toute la surface. Fabriqués en polyuréthane pour résister aux intempéries, ils se conjuguent avec les tables basses en béton Caementum de Marco Merendi et Diego Vencato.
Une fin d'après-midi, comme un regard en arrière
Le ciel devient rose et le début de soirée s'annonce. Il fait encore bon et l'heure est à la discussion dans ce qui ressemble désormais plus à une cafétéria de plein air. Une ambiance joyeuse et familiale transmise notamment par les chaises Philía d'Odo Fioravanti. La structure en acier dans laquelle vient s'entremêler un tissage en cordon PVC unis ou bicolore rappelle joyeusement la dolce vitae des 60's italiennes. Une époque, symbole de design à laquelle on repense assis autour des tables Ysilon de Jorge Pensi Design Studio, la tête dans les fougères.
Une fin de journée qui entend bien accorder du temps au prélassement
Étape ultime et inratable d'une journée passée dans le confort du mobilier Pedrali, Ester Lounge signée par Patrick Jouin propose dans une ambiance plus tamisée. Initialement présentée en 2013, l'assise monolithique revient cette fois sur le devant de la scène dans une approche plus douce et harmonieuse. Avec son dossier incurvé surmonté d'un ovale qui signe la collection de sa forme, le fauteuil s'est élargi pour accueillir sans contrainte l'utilisateur. Imposante mais esthétique par ses volumes et ses pieds en aluminium moulé, Ester Lounge répond aux luminaires sans fil Giravolta et ceux suspendus Isotta, tous deux de Basaglia Rota Nodari. Une concordance entre les éléments qui procurent à Pedrali l'atmosphère chaleureuse d'une maison chic et libre d'appropriation.
Pour accompagner les festivités sportives de cet été, la cité de l'architecture a inauguré les expositions “Il était une fois les stades” et “Quand la ville se prend aux Jeux”. Deux parcours qui mêleront jusqu’au 16 septembre l'effort et la construction à travers les temps, de l'antiquité à un futur très proche.
Institution architecturale par excellence, le musée du Trocadéro s'inscrit depuis le 20 mars dans la dynamique estivale des Jeux olympiques de Paris 2024. Pour cela, La Cité de l'architecture a décidé de mener de front deux expositions : “Il était une fois les stades” et “Quand la ville se prend aux jeux”. Des déambulations au cœur desquelles le sport s'illustre par le biais de la construction donnant à la célèbre devise latine « Citius, altuis, fortuis » (Plus haut, plus vite, plus fort), une double connotation. Mais c'est aussi une complémentarité symbolique et réflexive que porte l'établissement.
Histoire et techniques architecturales des géants des villes
Principale partie de ce nouveau semestre culturel, “Il était une fois les stades” s'offre comme un livre d'Histoire tourné vers les origines et les souvenirs. En replongeant le visiteur de l'histoire gréco-romaine aux ouvrages d'art des plus grands cabinets d'architecture, l'exposition rappelle la place prépondérante du sport dans les sociétés occidentales.
Pensé en trois temps, le parcours propose d'aborder la démocratisation, la performance et la mondialisation du sport par le prisme de l'architecture. Une découpe didactique qui permet de cerner la dimension sociale de ces lieux réapparus récemment dans nos villes, mais aussi la manière dont les architectes se les sont réappropriés pour répondre aux besoins des populations. Entre images d'archives et maquettes, “Il était une fois les stades” nous propose un autre regard sur ces enceintes sportives et plus largement culturelles auxquelles le journal Le Monde consacrera d'ici l'été une série de podcasts en partenariat avec le musée.
Design prospectif et une vision alternative des fanzones
En complément de l’exposition principale, “Quand la ville se prend aux Jeux” pose un regard transversal par le biais d'artistes comme Benedetto Bufalino et Aldo van Eyck ou encore d'étudiants grâce à la 9e édition de Mini Maousse. Ce concours, présidé cette année par Dominique Perrault, met en valeur une vingtaine de maquettes ayant pour thématique commune d'être de mini fanzones nomades. Au-delà de la résonance avec les Jeux olympiques, l'initiative prospective met en exergue la vision architecturale alternative d'une nouvelle génération de créateurs, d'où semblent s'entrecroiser préoccupations environnementales, sociales et esthétiques. Vecteur d'échange, la réalisation gagnante appelée La Navette et réalisée par Martin Lichtig, partira au printemps en direction des quartiers les plus éloignés de la pratique sportive à Saint-Denis, ville partenaire du concours.
C'est ainsi au cœur géographique de ce qui sera l'un des hauts lieux du sport international en 2024, que la Cité de l'architecture ouvre d'ores et déjà les festivités.
Ci-dessous, les projets "Box-Out" de Defne Elver, Charlotte Mallet et Andréa Vinzant, ainsi que "Bike Away" de Mathilde Dell'Aera
Né d'une collaboration entre l'architecte Denis Valode et la peintre Fabienne Verdier, l'atelier de cette dernière lui a permis de repenser son art. Un questionnement et des recherches dont découlent la série Rainbows, exposée jusqu'au 9 mars à l'agence Valode & Pistre.
Quelque part, à mi-chemin entre univers cosmique et des prises de vues microscopiques, la dernière série de Fabienne Verdier, Rainbows, explore de nouveaux territoires. Inspirée par le Retable d’Issenheim peint par Matthias Grünewald en 1516, elle a réalisé, entre 2020 et 2022, une série de 76 grands tableaux. Éloignée de ses créations précédentes - inspirées de ses dix années passées en Chine - cette série est le fruit d'un parti-pris fort : peindre à la verticale.
Une série abstraite et onirique
Par la transformation de son outil premier, le pinceau, l'artiste a réinventé sa manière de peindre. En s'acquittant des normes dimensionnelles et techniques classiques, elle a modifié son rapport au pinceau. « Celui que j'utilise fait la taille d'un corps humain. Il est muni d'un guidon de vélo pour pouvoir le manier dans l'espace et d'une réserve de peinture. » Une particularité qui permet à Fabienne Verdier de baser son art sur la rhéologie : la science des écoulements. « Lorsque l'on sait que toutes les petites formes qui naissent sur terre sont façonnées par les lois de la gravité, une peinture qui naît avec ces mêmes principes me semblait intéressante à explorer. »
L'Art au centre du dialogue créatif
Pour Fabienne Verdier, Rainbows est grandement dû à l'architecture. « C'est grâce au bâtiment que j'ai pu faire mes recherches » explique-t-elle. Mi-fabrique, mi-chapelle selon ses propres mots, son atelier situé à Hédouville (95), a été conçu en 2006 par son ami Denis Valode, architecte de l'agence Valode & Pistre. Véritable fosse à peindre de six mètres de côté, le bâtiment a été construit autour de l'axe gravitationnel du pinceau. Inondée d'une lumière zénithale à l'image des abbayes cisterciennes chères à l'artiste, l'architecture permet de conserver une stabilité d'éclairage tout au long de la journée. Mais pour la peintre, il s'agissait avant tout d'un besoin de coupure avec l'extérieur pour travailler l'introspection et peindre à l'instinct. « Cet édifice permet de faire coïncider l'énergie de mon corps et celle du pinceau sur l'œuvre. C'est une conception qui offre une rencontre entre l'art pictural et architectural. »
Valode & Pistre
Fondée en 1980 par Denis Valode et Jean Pistre, l'agence s'est imposée à travers le monde en proposant des projets architecturaux souvent vecteurs d'art contemporain. Pour Denis Valode « un lien existe clairement entre le premier et le troisième art (l'architecture et l'art pictural). Et l'une des volontés de l'agence est justement de sortir l'Art des musées et des galeries pour l'intégrer à la ville comme à l'espace public ». Ponctués d'œuvres, les locaux de Valode et Pistre s'inscrivent dans cette même dynamique, et proposent régulièrement des expositions. C'est le cas de Fabienne Verdier dont une quinzaine de toiles dialoguent en ce moment, et jusqu'au 29 mars, avec les maquettes de l'agence.
Exposition « Rainbows » de Fabienne Verdier jusqu'au 9 mars 2024
115 rue du Bac
75007 Paris
Il aurait pu se contenter de fabriquer des pièces d’exception pour quelques collectionneurs fortunés. Mais l’Irlandais Joseph Walsh développe ses projets tout en rassemblant, depuis 2017, une communauté de créateurs lors de son programme de rencontres Making In. Jusqu’au 23 octobre, sa première exposition monographique française « Joseph Walsh, Paris XXIII » va présenter quelques-unes de ses œuvres les plus emblématiques.
On connaît de cet autodidacte virtuose, son mobilier aux formes élégantes ou ses sculptures parfois monumentales, inspirés de la nature du comté de Cork, au Sud-Est de l’Irlande. Mais l’enfant du pays Joseph Walsh nourrit une vision globale du design, en agrégeant, autour de lui, une pépinière de talents. « Même si j’aspire à créer, en premier lieu, des objets de haute-facture, j’aime réunir des experts de toutes disciplines à Cork, au sein de mes ateliers. Dès mes vingt ans, j’ai visité nombre d’artisans, en Angleterre et ailleurs. A Vérone, où j’ai travaillé dans une église, j’ai ressenti un immense respect pour cette filière. Et au fur et à mesure du développement de mon studio, j’ai constaté l’immense bénéfice du savoir-faire et des conseils pluriels insufflés à mes équipes, par l’ébéniste irlandais Robert Ingham. Tout ceci fit me poussa naturellement à mettre en place Making In, journée de rencontres entre créateurs de tous horizons, afin de partager des savoirs, des expériences autour de thèmes comme le temps ou, comme cette année, la collaboration. »
Comment œuvrer ensemble avec un objectif commun ? Quels sont les impacts des nouvelles technologies sur le travail partagé ? En septembre dernier, « Making In Concert/2023 » a réuni plus de dix talents internationaux pour, entre autres, y répondre. Parmi eux, un grand chef, un musicien, une famille de fondeurs de cloches, un luthier, un jeune chef d’orchestre, des artistes, architectes, ou encore une conservatrice de musée. Un moment de partage qualitatif, véritable écosystème d’expertises transversales ayant attiré 400 visiteurs, dans ses ateliers nichés au cœur d’un domaine de plus de cent hectares.
Une première exposition à Paris
Dans le prolongement de cette dynamique, Joseph Walsh expose pour la première fois, et ce durant la semaine de l’art et du design à Paris, un fleuron de son corpus couvrant deux décennies de recherches, dans un hôtel particulier du VIIème arrondissement. Dans cet écrin, des assises de la série Enigmum, dont un banc déjà acquis par le Musée national des Arts Décoratifs de Paris, quelques chaises en bois teinté de sa série la plus récent Gestures , ou encore une table monumentale de la série Lumenoria illustrent son aptitude à transcender le bois de frêne, grâce au lamellé-collé, sa technique-signature. Amélioré par ses soins, ce procédé consiste à superposer jusqu’à cinquante lames de frêne collées les unes sur les autres, sur lesquelles il va exercer quelques points de pression, pour des pièces dont il va ensuite sculpter et polir les volutes élancées. « Le bois dicte la forme », aime-t-il dire…
Avec trois designers-architectes et dix-huit ébénistes dont trois Japonais, le fringant quadragénaire travaille sans relâche les courbes et les lignes, tout en y associant, de temps à autre, du cuir, du marbre ou de la résine. Proactif, rassembleur, sans cesse sur la brèche de nouveaux procédés exaspérant le bois, Joseph Walsh trace sa route jalonnée de rencontres fertiles et de commandes prestigieuses. « À l’avenir, j’aimerais aussi renouveler, chaque année, cette exposition à Paris », confie-t-il. À bon entendeur…
Jusqu’au 7 janvier 2024, le Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne installe une maison fictive à la Platine, la salle d’exposition de la Cité du design. En six pièces (de la cuisine à la chambre, en passant par la salle de jeux ou le bureau) et près de 120 objets industriels des années 1920 à aujourd’hui, s’y raconte, par les petites choses du quotidien, une plus grande histoire de l’habitat et de l’évolution de nos modes de vie.
« Nous nous sommes beaucoup amusés à imaginer une maison à partir des collections du musée. Une maison où les époques cohabitent, comme chez soi au fond, expliquent les commissaires de l’exposition. Cela nous offrait la possibilité de montrer autre chose que les pièces qui sont sans cesse exposées. Un design moins connu, plus anonyme et qui raconte cependant une histoire tout aussi précieuse et riche. Une histoire matérielle, des formes, des techniques, des usages, sociologique aussi. » Dans le salon, un téléviseur Téléavia aux allures de fusée racontent comment le foyer s’est réorganisé sans la cheminée, tandis que la cuisine, pièce traitée comme le laboratoire de la ménagère dès les années 1920, équipée de machines de préparation complexes (une collection d’objet d’électtoménager s’étale presque comme sur une table d’autopsie), s’est progressivement rouverte, remeublée et colorée.
L’histoire est traitée avec humour aussi, à l’instar d’une petite vitrine consacrée au poil (de barbe, de patte, de tête, etc.) dans le diorama (échelle un, et sonorisé) consacré à la salle de bains. Ou encore, dans la chambre, ce vibromasseur Calor pour les pieds, dont les commissaires nous apprennent que la notice évoque d’autres usages, négligemment posé près d’un lit monocoque en plastique Prisunic (Marc Held, 1968). Une manière de rappeler aussi que design, c’est vivant. Même au musée !
La Cité du design vient d’inaugurer « Présent > < Futur, » un cycle d’expositions qui mettent en lumière de nouvelles générations de designers. Et c’est Laureline Galliot qui ouvre le bal, avec une première rétrospective baptisée « Vrai ou fauve ». Une très belle plongée dans l’univers de cette créatrice au sens large.
Artiste-designer, Laureline Galliot a développé sa propre méthode créatrice, basée sur la parfaite intégration dans ses projets de ses sources d’inspiration. Car elle a fait de son amour de la peinture ou de ses pérégrinations dans l’espace et le temps, un creuset d’intuitions. L’exposition commence par un exemple parlant : elle repère dans le Portrait de Johanna Staude de Klimt un textile de Martha Alber, qu’elle va redétourner dans un motif textile, reproduit sur une chemise, vêtement qu’elle mettra en scène dans un autoportrait.
Et c’est ainsi, que pas à pas, elle a construit sa trajectoire : captant çà et là un motif, une réminiscence, les copiant pour mieux se les approprier, les détourner ; les absorbant jusqu’à en faire son terreau personnel, à l’image d’un sculpteur. De ce magma naîtra un nouveau dessin, un volume, un textile, un objet, qui retournera en stade ultime en peinture digitale : comme on naît de la poussière pour y retourner, chez Laureline Galliot, toute idée génère un média, puis prend corps, pour finalement générer une nouvelle idée. Loin de tourner en boucle, son esprit est en perpétuel mouvement, et on comprend ainsi ce qui anime celle qui fut danseuse, avant de devenir plasticienne et designers.
Recherche et associations d’idées
Car loin d’une exposition chronologique, « Vrai ou Fauve » retrace avant tout cette vivacité, en insistant sur ce principe d’associations d’idées, de cheminement, d’avancée par étapes, jusqu’à la bonne incarnation. À l’image de sa peinture digitale, la designeuse pose le trait, le geste, la texture, dans un ancrage bien contemporain : ici elle travaille l’impression 3D avec une maîtrise de la matière, pour mieux revenir à la céramique dans un travail de haute volée avec des artisans spécialisés, et in fine se former à la conception de moule. Ailleurs, elle insiste sur sa recherche du motif à partir d’une étude des chemises malgaches, pour mieux accompagner l’atelier Polyflos Factory pour la conception de tapis à partir de matériaux recyclés à Madasgascar (projet soutenu par la Fondation Rubis Mécénat).
Et si elle a conçu des papiers peints pour YO2 Design, elle a également imaginé des tissus pour Backhausen, et n’hésite pas lors d’une résidence à la Villa Kujoyama au Japon à revisiter dans des tissages le traditionnel motif yagasuri. Ce dialogue entre les époques est aussi présent dans son travail de sculpture digitale où elle revisite des formes ancestrales asiatiques. Cette carte blanche à Saint-Etienne a été l’occasion d’une collaboration avec Benaud Créations, une entreprise locale qui préserve un savoir-faire spécifique autour de la moire. La designeuse a dans ce cadre travaillé la difficileinsertion de motifs, via une transposition dans une modélisation en 3D.
En utilisant pour sa scénographie une succession de modules qui rappellent les caissons d’archives, Laureline Gaillot façonne l’exposition à l’image d’une réserve personnelle, et convie le spectateur à y déambuler, revenant sur ses pas pour mieux se plonger dans un détail, ou au contraire s’éloigner de quelques mètres pour embrasser des vues d’ensemble, et à son tour se nourrir des traits de couleurs, des aplats, des éclats, de celle qui ressent une forte filiation avec le fauvisme. Car à l’image de ses sculptures 3D teintées dans la masse, c’est finalement ce que le travail de Laureline Gaillard va révéler : l’énergie chromatique qui fait vibrer toute chose.
« Vrai ou fauve », Laureline Galliot, jusqu’au 7 janvier, Cité du design, Saint-Etienne. À lire aussi : la monographie « Laureline Galliot, Vrai ou FAUVE », collection Présent Futur, édition Cité du design, 10€.
Fondé en 2020 par Paola Bjäringer, Misschiefs est une plateforme indépendante qui met en lumière des artistes et designers non binaires, en investissant des locaux vides afin de leur offrir des lieux de création gratuits. A l’Institut Suédois, il l’installation « Fine Dying » est à découvrir jusqu’au 1er octobre.
Si la notion de « Fine Dining », l’art raffiné de la table, a été détournée en « Fine Dying », c’est en réaction à un texte du milieu du XIXème siècle de Coventry Patmore. « The Angel in the House », long poème narratif publié entre 1854 et 1862, idéalise les femmes en tant qu’épouses et mères à la fois dociles et dévouées. Symbole populaire de la domesticité, l’éloge a été décrié par Virginia Woolf une décennie plus tard.
Depuis 2021, le collectif suédois Misschiefs propose une installation en résonnance à la condamnation de Virginia Woolf. C’est sous la houlette de la curatrice Paola Bjäringer que « Fine Dying » invite neuf artistes et designers à réinterpréter la table avec une vision propre à leur travail. Après Stockholm et Milan, l’exposition itinérante s’est installée à l’Institut Suédois. La scénographie de la table dressée évolue selon les œuvres vendues mais aussi en fonction des artistes invitées. Pour ce nouvel opus, la française pluridisciplinaire Popline Fichot a rejoint les rangs des Misschiefs, auprès de Maria Pita Guerreiro, Sara Szyber, Yngvild Saeter, Lotta Lampa, Anna Nordström, Isa Anderson et Butch xFemme. A noter, le travail de Klara Farhman qui intègre une technique du XVIIIème siècle utilisant la fumée d’écorce de bouleau brûlée capturée pour la transcrire sur des surfaces lisses.
Interactions physiques à travers le temps et l’espace, détournement du machine learning célébrant les circuits courts ou orchestration lumineuse de catastrophes climatiques répétées : le design emploie sens critique et lignes formelles pour guider la matérialité de l’exposition centrale du très numérique festival Scopitone.
En s’intéressant aux nouveaux rapports entre voyage et mobilité permis par les outils numériques et leur interprétation artistique nomade, l’exposition centrale du festival nantais Scopitone ouvre un large champ esthétique dans lequel le design trouve une place presque rassurante. Au milieu des paysages abstraits numériques – comme ces impressionnantes impressions digitales de souches d’arbres enchevêtrées, traduisant dans les Artefacts de Paul Duncombe le lointain écho d’une chute météorite gravée dans le sol du grand nord québécois – ou des scénographies art/science ouvertes sur les mises en son d’aurores boréales ou les mutations d’espaces vivantes imaginaires, des objets et installations plus formels témoignent d’une matérialité palpable, du moins en apparence.
Reproduisant les mouvements de la mer à partir des données récupérées en temps réel par une bouée connectée partie à la dérive depuis douze ans, la pièce Tele-Present Water de David Bowen instaure un étrange rapport d’interaction entre les mouvements gracieux et hypnotiques d’une grille métallique articulée et un phénomène d’absence, de disparition auquel la technologie vient en quelque sorte palier en faisant fi des notions de distance. Un design immatériel presque puisque sans contact physique qui fait écho au design intemporel de Stéphanie Roland dans la pièce Science-Fiction Postcards voisine. Ici, un mur-présentoir accueille des dizaines de petites cartes postales monochromes noires. Une fois présentées devant un appareil chauffant, celles-ci laissent apparaître au recto des rémanences de territoires insulaires isolés tandis que le verso en indique la localisation lointaine et la fin programmée du fait du réchauffement climatique. Humour…noir, bien sûr, où l’objet prend vie au fur et à mesure que sa temporalité se dilate.
Mimer l’intelligence artificielle peut faire rayonner le design critique
Dans ce design d’objet curieux, la palme du dispositif revient au cabinet de curiosités inspiré des modes de calcul de l’intelligence artificielle du Of Machines Learning To See Lemon d’Alistair McClymont et John Fass. En mimant les principes de la technologie du machine learning, les deux créateurs s’amusent à interpréter manuellement la façon dont une IA aurait pu classifier et répartir dans un espace physique donné, se présentant ici sous forme de rayonnage à casiers géant, les objets se rapprochant – ou à l’inverse s’éloignant – d’un simple citron. Une démonstration de design plastique, qui se veut surtout éminemment critique puisque venant opposer aux circuits imprimés de la machine les circuits courts des produits ainsi présentés, tous récupérés in-situ.
Bien évidemment, la pièce la plus monumentale de l’exposition, l’installation lumineuse Cymopolée du studio Luminariste qui trône au milieu de l’esplanade extérieure s’avère de facto la plus démonstrative. Sa structure métallique vient subitement s’éveiller de torsades lumineuses spasmodiques, de jeux de fumée et d’ambiances sonores redoutables ou harmonieuses évoquant le passage d’un ouragan, avec ses pics intensifs et ses temps plus suspensifs. Son design évoque là une mobilité voyageuse subie, celle de la tempête qui nous guette, nous surplombe, puis s’éloigne. Un cycle dont la fatalité renvoie ici autant à la force des éléments qu’à nos propres incapacités collectives à lutter contre un monde de plus en plus naturellement déréglé.
L’artiste français Pierre Bonnefille expose sa nouvelle collection au sein de sa galerie à travers l’exposition Rhizome(s). À découvrir du 7 septembre au 22 octobre.
L’exposition « Rhizome(s) » de l’artiste Pierre Bonnefille tourne autour de la forme. Connu pour son travail autour de la couleur et de la matière, il présente ici une série d’oeuvres sculpturales Rhizome imprégnées de l’énergie végétale. Présentée dans le cadre de la Paris Design Week dans sa galerie du 11e arrondissement, l’exposition se compose d’oeuvres créées spécifiquement d’une part mais également d’autres pièces récentes, telles que sa Bibliothèque Rhizome, présenté lors de son exposition au Musée national des arts asiatiques – Guimet (MNAAG) en 2021, et qui est ensuite rentrée dans les collections du Mobilier National (campagne d’acquisition 2022).
En lien avec les oeuvres présentées, Pierre Bonnefille présentera pour l’occasion un corpus d’oeuvres picturales issues de ses séries Bronze Paintings et Furoshiki, qui portent comme caractéristiques communes avec sa série Rhizome la force du geste pictural.
Une exposition à découvrir jusqu’au 22 octobre, à la galerie Pierre Bonnefille, 5 rue Breguet, 75011 Paris.
Depuis 2022, le salon international d’art, design et art de vivre BAD+ tend à se forger une place de choix, à Bordeaux. En mai dernier, la seconde édition s’est avérée prometteuse, malgré le nombre réduit d’enseignes Design. Retour sur une foire à surveiller dans les années à venir, de très près, pour le secteur.
Depuis deux ans, Jean-Daniel Compain, ancien directeur de la FIAC et enfant du pays, célèbre la culture du vin et l’art de vivre, à travers une foire atypique, associant art contemporain, objets design et installations in situ dans les vignobles bordelais. Au-delà des parcours arty au sein de chais ou de domaines tels que, pour ne citer qu’eux, les châteaux Smith Haut Lafitte, Chasse-Spleen, Pape Clément, cet écosystème singulier a aussi proposé, pendant quatre jours, des pièces d’environ 55 galeries internationales, disséminées sur les deux étages du Hangar 14, au bord de la Garonne. « Bordeaux + Art + Design ou BAD+, n’est pas un salon de plus, s’exclame Jean-Daniel Compain, mais une foire qui, avec son positionnement spécifique Art et Art de vivre, a du sens et une vraie valeur ajoutée. » Parmi les exposants, la néerlandaise Mia Karlova, la galerie française Revel ou bien encore, entre autres, la brésilienne Galeria Modernista représentaient le secteur design. « 15 % de nos exposants offrent des pièces design contemporaines, ajoute Adrien de Rochebouët, ancien de chez Piasa et conseiller artistique de la foire. A l’avenir, nous souhaitons consolider ce secteur important de l’art de vivre. »
Mia Karlova a misé sur ses fondamentaux
Habituée des foires de prestige comme le PAD ou encore la très sélect Collectible à Bruxelles, Mia Karlova a joué la carte des valeurs sûres en proposant des œuvres de créateurs qui font sa réputation. « C’est ma seconde participation à la foire bordelaise, explique la directrice. En 2022 comme en 2023, son écosystème particulier dans une région riche de cultures, de châteaux, vignobles et amateurs de beaux objets, ont permis d’agrandir notre famille de collectionneurs. » Sur son stand à la surface généreuse, on a remarqué Dolly Blu, fauteuil fabriqué à partir de couches cartons superposés du designer tchèque Vadim Kibardin, mais aussi la chaise Curved sculptures, du Hollandais Jordan van der Ven. Une pièce fonctionnelle, entre art et design, réalisée à partir d’une armature métallique, sur laquelle des couches de ciment blanc ont été appliquées pour créer volume et douceur. Enfin la Light Box vitrine, en bois de chêne, huile et ampoules ou encore Obi, fauteuil au design enveloppant et modulable, en bois et tissu de la designer russe Olga Engel, sont des pièces à l’esthétique minimaliste typique qui furent très remarquées.
Le design historique brésilien chez Galeria Modernista
Non loin, forte d’une nouvelle enseigne bordelaise, la Galeria Modernista a présentéquelques grands noms du Modernisme brésilien, parmi lesquels Joaquim Teneiro (1906-1992), considéré comme le père du design du pays de la Samba, ou encore Raimundo Cardoso (1930-2006). Figurant parmi les plus grands céramistes brésiliens du XXème siècle, ce dernier s’est, toute sa vie, employé à réaliser des pièces, telle Vase, portant l’empreinte des savoir-faire du peuple précolombien Marajoara. Enfin, du mobilier moderniste du designer Sergio Rodrigues (1927-2014), comme la paire de fauteuils Oscar, créées pour sa galerie Oca, à Rio de Janeiro, en 1955, en bois de Jacaranda et cannage en rotin, étaient également proposés.
Au royaume de la matière engagée, la galerie Revel
Née en 2021, la jeune galerie parisienne qui possède aussi un showroom à Bordeaux, défend des artistes « invisibilisés » en Occident, et fait fi des clivages entre arts visuels, design, design de collection et artisanat. Des designers émergents ou en milieu de carrière, qui mettent en avant le matériau, son processus et son histoire, et dont « le travail interroge l’identité, le genre, l’écologie, les cultures postcoloniales, les appropriations culturelles, la migration », selon les directeurs. Il en va ainsi d’Anton Laborde, lauréat du Prix de la Jeune Création Métiers d’Art (PJCMA) 2022, et son Cube à liqueur, en érable et sycomore massif, revisitant avec modernité l’art de marqueterie. Mais aussi le céramiste Mathieu Froissard et ses pièces qualifiées de « beautés imparfaites » comme Hold it, œuvre unique en faïence, émail et lustre, brillant de mille feux et circonvolutions baroques. Entre autres encore, la Zimbabwéenne Xanthe Somers, repérée à Collectible 2022, était également présente avec Rancid, imposant luminaire en grès émaillé, s’inspirant de la manière dont l’histoire coloniale de son pays « continue de manipuler les valeurs esthétiques. »
Sur quelques stands d’art contemporain, on remarqua aussi un Banc taureau en bronze de Jean-Marie Fiori (Galerie Dumonteil), ou encore un tapis en soie et laine, ainsi que deux Tabourets B.C, en pin mat brossé et cuir, de l’architecte designer Fabrice Ausset, à la galerie Sarto.
Ainsi, la ville de Bordeaux deviendrait-elle une nouvelle capitale française du design ? Les galeries Modernista et Revel qui y ont ouvert une seconde adresse, ne l’ont pas fait par hasard. La région bénéficie d’atouts majeurs – dont la foire BAD+ -, attirant de nombreux collectionneurs, friands de belles pièces à vivre, au royaume des grands crus classés, du patrimoine et de la culture. Très bien représenté au Musée des Arts Décoratifs et de Design de Bordeaux, dirigé par Constance Rubini, partenaire de la foire – comme le Frac Méca et bien d’autres institutions -, le design contemporain international va, à l’avenir et sans nul doute, couler de très beaux jours, au bord de la Garonne…
La nouvelle saison du programme MITICO de la Galleria Continua et le premier solo show de Loris Cecchini à l’adresse parisienne de l’enseigne italienne, présentent des œuvres au design modulaire exprimant une nature transcendée par les technologies. Des pièces poétiques, délicates et vivantes, qui révèlent en grand, l’infiniment petit.
Au Manoir aux Quat’Saisons, A Belmond Hotel, dans le comté d’Oxford, Loris Cecchini a fait pousser Arborexence, une installation monumentale sur la façade du bâtiment patrimonial du XVème siècle, accompagnée par deux sculptures « sylvestres » dans l’allée centrale du jardin du domaine. Un dispositif faisant partie du volet anglais de MITICO, programme proposé depuis 2022 par la Galleria Continua et qui, cette année, interroge des créateurs sur l’identité et la nature.
Nature improvisée
Pour le plasticien-designer italien, les sciences et le design associés aux nouvelles technologies peuvent traduire l’esprit de la nature d’aujourd’hui, et ainsi contribuer à créer un nouveau langage poétique. Dans la verdoyante campagne anglaise, cette pièce qui se compose d’un treillis modulable en acier inoxydable constitué de treize branches, elles-mêmes composées de nombreux modules se répétant, semble croître, tel un organisme vivant, sur deux des façades du manoir. « Ce projet design et architectural est aussi une performance que j’ai « improvisée » en fonction du site, explique Cecchini. L’improvisation qui ici a tenu compte de la végétation changeante au cours des saisons, comporte toujours une part d’inconnu éloignant l’œuvre finale, du projet design initial. » De plus, sa structure moléculaire agissant tel un parasite qui se propage, évoque les sciences et parle d’échelles – celles du micro et du macro -, ainsi que d’espace et de reflets. « Le design répété du module en acier est neutre, il n’a pas de couleur, ajoute-t-il, car l’ensemble a pour but de se fondre et de s’harmoniser avec l’espace environnant. Cependant, son aspect miroitant crée une véritable « nature » de lumière, qui eût été différente, si les modules avaient été colorés. »
Les lignes « minimalistes baroques » selon les mots de l’artiste, jouent également sur le paradoxe des oppositions : à la pierre patrimoniale dense et lourde, qui enracine le bâti dans la terre, s’oppose la légèreté d’une plante grimpante, à la dentelle métallique aérienne. « Arborexence interroge aussi la sculpture qui bannit les angles droits et la géométrie euclidienne. Comment bouger dans un espace hors de ces notions, et qu’est-ce finalement qu’une sculpture ? » Une « seconde peau » qui s’accroche au site, réinvente le patrimoine, et attire l’intérêt sur « ce qui se cache dans la beauté de la nature et de ses formes ».
Design modulaire et moléculaire
Parallèlement, son exposition parisienne intitulée « Les graines de mon jardin s’envolent vers d’autres pays » présente un ensemble de pièces – entre autres des dessins, sculptures, installations murales – partageant cette même philosophie liée aux notions d’agrégation, de désintégration, de contamination naturelle et de dynamique vectorielle. « L’artiste s’empare du lieu grâce à l’infinie possibilité de croissance modulaire de ses œuvres, qui lui offrent l’occasion de danser dans l’espace, improvisant des formes et des structures, comme autant de graines plantées au cœur d’un singulier jardin », explique la galerie dans son communiqué. Entre autres, un télescope, une chaise (ou ce qui semble en rester), semblent colonisés, voire « rongés » par d’étranges particules, conférant à ces derniers un aspect métamorphique et transitoire.
Près d’Oxford ou à Paris, le design rythmé et poétique de Cecchini parle de la nature dans ce qu’elle a de plus invisible, fondamental et infini : la molécule qui, associée à d’autres, créent des organismes à la base de la vie. Une structure qui se faufile, se ramifie, désagrège son support tout en le valorisant, mais aussi prend racine… Convoquant des notions de biologie, physique, chimie, mais aussi de design, d’ingénierie, d’espace et d’échelles, les œuvres de Loris Cecchini composent une nature version XXIème siècle, entre croissance et trouble.
« Notre-Dame de Paris, des bâtisseurs aux restaurateurs » fait désormais partie du parcours permanent de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Cette exposition met en lumière les travaux exceptionnels d’artisans, de restaurateurs ou encore d’archéologues impliqués tant dans la construction que dans la réhabilitation de ce chef-d’œuvre de l’architecture gothique.
À la suite du mémorable incendie qui a dévasté la cathédrale le 15 avril 2019, un chantier d’une envergure rarement vue a été mis en place non seulement in situ, mais aussi dans de nombreux ateliers disséminés sur le territoire.
Une mobilisation nationale
Compagnons, chercheurs, archéologues, ingénieurs et architectes se sont mobilisés pour assurer sa restauration, notamment dans le respect des matériaux. Si des experts se penchent sur le sujet pour proposer des solutions, d’autres en profitent pour comprendre des maîtrises d’œuvre aujourd’hui totalement inconnues.
Construite au XIIe siècle, reconstruite au XIIIe siècle, modifiée au XVIIIe siècle, avant d’être restaurée au XIXe siècle. De nombreux architectes ont collaboré aux modifications de l’édifice aux cours des siècles. De Jean de Chelles à Jean-Baptiste-Antoine Lassus, c’est le nom de Viollet-le-Duc que l’on retient pour sa contribution à la fameuse flèche qui causera tant de dégâts.
La Cité de l’Architecture et du patrimoine propose un voyage dans le temps pour mieux comprendre l’architecture gothique et ses techniques de construction, tout en mettant en lumière le savoir-faire de passionnés qui mettent tout en œuvre pour que ce symbole patrimonial puisse renaître de ses cendres.
La 4ème Biennale internationale du design graphique à Chaumont (52) se poursuit avec quatre expositions majeures. Explorant les facettes d’un graphisme vecteur de propos engagés, elles révèlent un éclectisme réjouissant présenté sous forme (très) pédagogique pour tout public… A découvrir, jusqu’au 15 juillet 2023.
Avec ses contractions les plus diverses, la 4ème Biennale internationale du design a tenu sa promesse. Celle de formuler des matières à réflexion, actuelles et engagées… La partie contemporaine du bâtiment du Signe et l’ancienne école Ste Marie désaffectée, accueillent des expositions qui ont emprunté des chemins de traverse. « Procès d’intention », par Jean-Michel Gueridan donne le ton. Berçant l’ordre établi, elle parcourt un panorama expérimental, renoue avec tous les médias, parfois délaissés, des recherches menées sur des écritures anciennes jusqu’à l’art graphique numérique. De l’autre « Parade » signée Vanina Pinter historienne et féministe, met en lumière un panel de graphistes françaises. Radical et analytique, « la Fabrique des caractères » du duo d’Atelier Baudelaire, décortique le genre dans l’univers des jeux et jouets pour enfants. Quant à « l’As du crayon » mis en scène par Tony Durand, elle concrétise avec joie et bonne humeur l’œuvre méconnue, pourtant populaire de Joseph Le Gallennec.
Parade, conçue par Vanina Pinter
Dans la continuité de l’exposition Variations épicènes qui a eu lieu au MABA (Maison d’Art Bernard Anthonioz), à Nogent-sur-Marne en 2020, « Parade » présentent des projets conçus par 39 femmes graphistes françaises toutes contemporaines. « Un·e graphiste prend des coups, doit défendre vaille que vaille sa composition pour que celle-ci émerge dans une société du spectacle ultra formatée, où une mécanique marketing a tout intérêt à ce qu’une graphiste pense peu, qu’iel dépense moins. » clame Vanina Pinter.
Tous les objets de l’exposition explorent des territoires défrichés, des ambitions et des utopies. Chaque projet contemporain et ponctué d’archives, demande une attention particulière, de prendre le temps (et c’est appréciable) de lire afin comprendre le mécanisme d’une pensée. Les deux entrées de l’exposition, l’une intérieure l’autre extérieure, traduisent bien le propos. Sans pour autant propulser au-devant de la scène une création spécifiquement féminine, « un non-sens », selon la commissaire, ces recherches offrent une belle diversité du graphisme que l’on ne voit pas forcément, imprégné de nouveaux territoires, du livre botanique jusqu’au papier peint panoramique créé pour Arte International.
La fabrique des caractères, par Atelier Baudelaire
L’Atelier Baudelaire décrypte les mécanismes du jeu et du jouet autour de la question des déterminismes du genre. Camille Baudelaire et Olivia Grandperrin, graphistes féministes et mères de famille engagées, ont répertorié de manière scientifique et analytique les formes, les logos, les typographies et les couleurs les plus fréquentes utilisées par la grande distribution et propres aux jeux et tee-shirts pour enfants. Le résultat est un ensemble de data sculptures à la fois graphique et design, qui révèle les dessous de la consommation de masse.
La scénographie très soignée et destinée à être démontable, plonge le spectateur en immersion dans un nuancier de couleurs XXL, une table de jeu modulable et des panneaux textiles comme des kakemono japonais. Le propos dénonce aussi le regard parfois insidieux du marketing, tout en s’appuyant sur de nombreuses études. Le constat des deux graphistes est sans appel ; les jouets de grande consommation contribuent massivement à la stigmatisation des activités et des centres d’intérêts selon le sexe des enfants. Cependant, l’exposition n’est ni sociologique ni scientifique, mais elle porte plutôt un regard tendre et ludique sur cet univers implacable de la grande distribution, et faire peut-être bouger les lignes…
L’as du crayon par Tony Durand
Dans le rétroviseur, l’exposition « l’As du crayon » présente le travail de Joseph Le Callennec. Le paquet de sucre en morceaux Béguin Say, la carte routière Michelin et le fameux jeu des 1000 bornes… Vous les connaissez surement, sans le savoir. Le dessin publicitaire de ces objets du quotidien a été conçu par cet illustrateur méconnu, qui à l’époque ne s’appelait pas encore graphiste. C’est à Tony Durand que l’on doit cette formidable exposition et rétrospective, témoignage du développement de la consommation de l’époque des Trente glorieuses.
Les archives de Joseph Le Callennec, ayant pour la plupart disparues dans l’inondation d’une cave, ce graphiste et scénographe discret s’est attelé à regrouper une quantité phénoménale de boites de jeux, d’illustrations, d’affiches, toutes aussi savoureuses les unes que les autres. Des années de recherche et de trouvailles auprès des particuliers ou dans des brocantes, lui ont permis de créer une vaste collection, assez complète, redonnant toute la valeur à l’œuvre précieuse, un poil nostalgique, de ce dessinateur. La scénographie est à l’image de la collection, modeste, colorée, qui va droit au but… Les vitrines en bois sont posées à bonne hauteur sur de simples tréteaux ce qui permet en un clin d’œil ou presque de démonter l’exposition, en route pour de nouvelles aventures.
Lettres, chiffres, notes et signes sont la matière première des fascinantes œuvres sculptées à visage humain présentées par le sculpteur Jaume Plensa à La Pedrera – Casa Milà de Barcelone.
Quoi de mieux que l’écrin architectural de La Pedrera – Casa Milà de Barcelone pour accueillir un mélange à la fois immersif et spectaculaire des œuvres les plus intimes et monumentales du sculpteur catalan Jaume Plensa ? À l’invitation de la Fondation Catalunya La Pedrera, l’artiste investit les espaces notables du bâtiment d’Antoni Gaudí (l’étage muséal, mais aussi les appartements, le « ventre de la baleine » – le sous-toit aux fameuses 127 arches – et la terrasse) pour concevoir une exposition-rétrospective labyrinthique autour de la fragilité des mots et de la poésie de la forme et du geste.
Un alphabet-design de nos pensées
Lettres et chiffres, notes de musique et signes, s’enlacent ainsi autour ou à l’intérieur des sculptures aux contours humains, aux visages et bustes translucides, pour créer un nouvel alphabet de corps dont le design épuré évoque un éloquent hommage au silence.
Des personnages assis, en bronze ou en métal peints, parfois portés par des sphères ; des faces absorbées par une quiétude méditative ; des humanoïdes ou des poupons délivrant leur chapelet de signes pendulaires ; autant d’interprètes cois qui nous accompagnent dans une déambulation cathartique, que semblent survoler les œuvres les plus massives, comme cette main traversant l’espace de la cour intérieure ou cette sculpture- autoportrait aux mains sur la bouche, qui surplombe les toits depuis sa plate-forme expiatoire.
Des œuvres passerelles
« Une lettre ce n’est pas grand-chose, c’est quelque chose d’humble, mais liée à d’autres, elles forment des mots, et les mots forment des textes, et les textes la pensée », nous explique Jaume Plensa au détour des quelques annotations murales venant donner des clés de lecture éparses à ses œuvres muettes. De la même manière, le design habité de ses objets incarnés forme devant nous le fil narratif de corps empreints de solennité et de recueillement. Un choix esthétique qui nous guide et ameuble à sa façon les lieux, comme pour créer une litanie de passerelles visibles du langage entre l’espace physique et l’espace intérieur de nos esprits.