Les déchets des uns sont les ressources des autres (2/2)
Ecclo

Les déchets des uns sont les ressources des autres (2/2)

Le recyclage des matériaux est devenu un enjeu majeur pour les créateurs de mode. La remise dans le circuit de matières dont on ne savait pas quoi faire est en train de faire naître un nouveau modèle économique en même temps que cela engendre une nouvelle façon de créer.


Le recyclage ne présente que des avantages a priori. Créer avec seulement de l’existant permet aux uns de se débarrasser d’encombrants stocks alors que les autres peuvent profiter de matières premières à prix cassés et disponibles immédiatement.

Point de départ : la poubelle

Toutefois, la plupart du temps, en s’engageant dans cette chasse au gaspillage, le point de départ d’une collection reste le rouleau de tissu. En créant Ecclo en 2018, Rémy Renard savait qu’il voulait fabriquer un vêtement de mode avec le moins d’impact possible sur la planète mais il ignorait la possibilité de puiser dans les déchets ou les stocks dormants. «En tombant sur une cargaison de 38 rouleaux de 1.908 mètres de denim brut Made in France, juste altéré à quelques endroits, dans une usine des Vosges, j’ai pris la décision de créer une marque de jeans éco-responsable et durable, en ne commandant jamais la production de matières, mais en n’utilisant que de l’existant.» La difficulté pour sa styliste a été de déterminer le mood-board et les premiers modèles avec cette toile brute et très épaisse.

Les Hirondelles © Elise Morgan
Ecclo

Habituellement, les directeurs artistiques imaginent une silhouette, une ambiance, une posture ; les stylistes transforment ces inspirations en croquis et les modélistes… en modèles. Les sourceurs vont alors chercher les matières qui correspondent parfaitement à l’esprit du directeur artistique, au design voulu par le styliste et compatible aux mesures du modéliste. Avec les stocks dormants et les matières recyclées, tout est chamboulé. « Créer à rebours, une fois le tissu en main, est effectivement un challenge » abonde Claire Alvernhe, la cofondatrice des Hirondelles.

Une originalité de fait

La démarche est similaire chez la marque de lingerie Ré /elle Paris. Sans doute n’aurait-elle pas pris cet accent pointu et audacieux si Eugénie Puzzuoli et son associée Marjorie Dubois n’avaient pas été contraintes de créer en partie avec des chutes. « Aujourd’hui, on attend de nous ces mélanges et ces partis pris que l’on avait faits au départ parce que nous n’avions pas le choix. La très belle soie vert sapin mariée à un tulle crème finement brodés à la main ont été débusqués dans deux hangars différents. Nous n’aurions pas pu proposer, voire imaginer ce niveau de gamme, cette qualité et surtout ce mélange si nous commandions nos matières.»

Ré/elle

Laetitia Ivanez, la créatrice de la marque de mode féminine Les Prairies de Paris, s’est également relancée sur ce credo d’une mode plus juste et plus respectueuse. La créatrice pioche dans les stocks de griffes de luxe pour donner accès aux plus beaux matériaux à ses clientes à prix modérés. Les tisseurs et les marques, comble du système vertueux, y trouvent un débouché inattendu pour leurs reliquats, à la fois responsable et solidaire.

Trait d’union

Les start-up qui mettent en relation possesseurs de tissus inexploités et créateurs désargentés mais plein d’idées font florès. Les français UpTrade ou Upcybom pour les tissus de grande diffusion, Sed Nove Studio et Adapta pour les chutes de cuir, rassemblent les matières premières dans des catalogues aussi fournis que ceux des fournisseurs habituels de la mode. La Réserve des Arts, à Vincennes, en région parisiennes, ouvre aussi ses portes aux designers de tout bord, proposant des matériaux souples comme plus rigides. Queen of the Raw à New York, ou The Fabric Sales en Angleterre jouent le même rôle de trait d’union. Tous mettent en relation des tisseurs envahis par les rouleaux dormants et des fabricants, à l’autre bout de la planète, engagés dans « une autre mode ».

jean's Marilyn, ECCLO

Dans le catalogue ressources.green de la Fédération Française de Prêt-à-porter féminin, ils sont légion. D’ailleurs, selon Adeline Dargent, la responsable développement durable de la Fédération, « une grosse poussée de création à partir de matériaux recyclés devrait avoir lieu. L’obligation, au niveau européen, pour une entreprise qui met sur le marché un vêtement, d’inscrire sur ses étiquettes le pourcentage de matières recyclées incluses dans son produit devrait encourager à en utiliser davantage ». Car chacun sait que « si le critère d’achat numéro un est le prix et que juste derrière arrive le style, les consommateurs sont de plus en plus sensibles à la durabilité de leurs achats de mode ». Certains réclament déjà de leurs marques préférées qu’elles se plient à leurs nouvelles exigences vertes et vertueuses.  

Patrons des jean's, ECCLO

Une source intarissable

Ce marché attire de plus en plus de convoitise. Mais pas de panique, les stocks dormants et les bennes de recyclage ressemblent à des puits sans fond. Malgré les efforts immenses des industriels de la mode, des tisseurs aux façonniers en passant par les marques et les créateurs, pour calculer au plus juste leur utilisation de matières premières, la source ne se tarit pas très rapidement. Ils sont certes aidés par des outils high-tech, machines de découpes nouvelle génération ou logiciels d’optimisation de placements. Mais l’accident – l’aiguille qui casse, un fil qui saute, le mauvais rendu de couleurs, un dosage inexact des pigments, ou tout simplement des ventes en deçà des prévisions, un directeur artistique qui change d’avis, une tendance qui ne se confirme pas – n’est jamais exclu. Et puisqu’il interdit de détruire ses invendus désormais et que le réflexe de donner ses anciens vêtements à recycler est acquis, la fontaine ne s’arrêtera pas de si tôt.

Rédigé par 
Isabelle Manzoni

Vous aimerez aussi

Temps de lecture
12/9/2025
Grands Prix de la Création : découvrez les lauréats 2025

La ville de Paris a remis le 11 septembre les Grands Prix de la Création 2025 qui récompense la jeune création engagée et en cohérence avec les enjeux sociétaux actuels.

Organisés par le Bureau du Design, de la Mode et des Métiers d’art (BDMMA), les Grands Prix de la Création de la Ville de Paris récompensent depuis sa création en 1993 des créateurs engagés ayant une pratique à la fois innovante, responsable et ancrée dans les réalités contemporaines. Cette édition a comme chaque année récompensé huit lauréats dans les domaines de la mode, du design et des accessoires, soulignant la vitalité d’une scène parisienne en constante évolution. Pour cette édition, le jury était présidé par le designer Mathieu Lehanneur.

Un tremplin sans précédent

Plus qu'une reconnaissance, ces prix constituent un véritable tremplin comme l’a rappelé Nicolas Bonnet-Oulaldj, adjoint à la Maire de Paris : “Plusieurs anciens lauréats ont participé aux Jeux olympiques de Paris 2024, témoignant de la portée concrète de ce soutien institutionnel.” Un appui sur lequel les créateurs pourront s’appuyer pour développer des projets célébrant la perméabilité entre l’art et la poésie à l’image des créations picturales de Lucille Boitelle, mais également plus prospectifs et technique comme en témoigne le travail de Chloé Bensahel, mêlant fibres textiles et matériaux conducteurs, ou enfin célébrant la pluralité culturelle de la France en célébrant les savoir-faire guadeloupéens comme le fait le studio dach&zephir.

Catégorie design

  • Prix Révélation : Sacha Parent & Valentine Tiraboschi
Sacha Parent & Valentine Tiraboschi © Luc Bertrand
  • Prix Engagement : Florian Dach & Dimitri Zephir (dach&zephir)
ZÉSANT ©_dach&zephir

Catégorie mode

  • Prix Révélation : Auriane Blandin-Gall (CèuCle)
Cèucle, 2025 Summer edition © Julie Perrot
  • Prix Engagement : Jeanne Friot
© Jeanne Friot

Catégorie accessoires

  • Prix Accessoires de Mode : Émilie Faure & Serge Ruffieux (13 09 SR)
Collection Automne-Hiver 2023 © 13 09 SR
  • Prix Accessoires Bijoux : Elia Pradel (Anicet)
Anicet © Elia Pradel

Un soutien structurant

Chaque lauréat bénéficie d’une dotation de 18 000 €, financée par la Ville de Paris et le Fonds pour les Ateliers de Paris, en partenariat avec des acteurs clés du secteur : Galeries Lafayette, Francéclat, ADC, ESMOD, entre autres. Aussi, les lauréats du prix Engagement auront un espace dédié lors du salon Maison&Objet tandis que le Prix Révélation se verra offrir un espace pendant la Paris Design Week ainsi qu'une résidence au Campus Desgin et Métiers d'Art. Ils auront également tous un espace lors du  salon Collectible. Enfin, en termes de visibilité, les lauréats pourront compter sur le soutien des différents partenaires médias de l'évènement, dont Intramuros fait notamment partie.

Temps de lecture
15/9/2025
Jean-Baptiste Fastrez signe une collection avec Monoprix

Monoprix dévoile sa collection annuelle réalisée en partenariat avec la villa Noailles et un designer. Cette année, la marque s’est associée à Jean-Baptiste Fastrez pour la réalisation d’une collection chromée aux reflets futuristes.

Lauréat du Grand Prix du jury de la Design Parade Hyères en 2011, le designer Jean-Baptiste Fastrez s’est associé à cette institution et Monoprix. Une collaboration pour laquelle le créateur également scénographe a imaginé un ensemble de quinze petits objets décoratifs allant du bougeoir au tabouret en passant par le miroir. Focus sur l’esprit de cette collection en vente à partir du 16 septembre.

Bougeoirs © Jean-Baptiste Fastrez

Pourquoi avoir accepté cette collaboration avec Monoprix ?

Monoprix est pour moi l’une des dernières entreprises grand public à valoriser le travail des designers indépendants, car la plupart des marques ont aujourd’hui des bureaux de création intégrés. Et puis, travailler avec Monoprix, c’est également concevoir des objets pour tous, pas seulement pour une certaine partie de la population ou un petit nombre d’institutions et ça, c'était très stimulant ! D’autant qu’il y a avec Monoprix un côté très statutaire. On rentre presque dans une dimension patrimoniale, notamment en écho à Prisunic.

Votre travail de designer est souvent basé sur un jeu de contrastes qui interroge l’objet. Est-ce que cela a aussi été le cas dans cette collection ?

Oui, bien sûr, mais davantage sur la phase d’imagination. Je me suis beaucoup inspiré de l’architecture des villes utopiques, que ce soit The line, l’immense projet controversé dans le désert saoudien avec des formes post-modernes, ou le cinéma de science-fiction évidemment. Je pense à des films comme “2001, L’Odyssée de l’espace” de Stanley Kubrick ou encore “Interstellar” de Christopher Nolan et le robot chromé que l’on y voit. De manière générale, ce sont surtout les objets liés au futur. Mais ce qui est amusant, c’est que l’on peut aussi y voir une certaine résonance avec la vieille vaisselle un peu Art déco, à la Puiforcat, que l’on peut retrouver chez nos grands-parents. La notion de confrontation se trouve surtout dans les époques et dans les styles.

Tabouret ©Jean-Baptiste Fastrez

Sans surprise, cette nouvelle collection est encore extrêmement visuelle de par son matériau. Pourtant, elle semble encore très différente de vos autres créations ? 

Souvent, Monoprix demande aux créateurs de refaire ce qu’ils font habituellement, mais sous le branding de la marque. Je n’avais pas du tout envie de refaire les formes très rondes que l’on m’associe, à l’image du miroir mural Zodiac que j’ai fait pour Moustache en 2021. J’ai donc dû travailler un nouveau visuel. Le temps de développement étant trop court pour faire du verre, j’ai travaillé l’acier. Comme nous sommes globalement tous attirés par ce qui brille, j’ai d’abord réalisé des prototypes avec des vernis de couleurs. C’était une manière de donner un côté silverware à mes pièces. Mais rapidement, on m’a proposé d’utiliser des bains de chrome coloré. C’était quelque chose que je n’avais jamais essayé et j’ai beaucoup aimé le résultat. Des pièces ultra réfléchissantes, qu’on n'a pas l’habitude de voir, un peu comme des miroirs violet, jaune, bleu ou simplement argentés.

Le shooting de la collection est lui aussi assez surprenant. Pouvez-vous nous en dire plus ?

D’habitude, les shootings ont souvent lieu dans des maisons idéales, au bord d’une piscine etc… Nous avons réalisé le nôtre dans le désert des Bardenas dans le nord de l’Espagne. Je me suis dit que changer le cadre changeait la place des objets. C’était donc une manière de rendre la collection plus abstraite. Le désert fonctionnait bien car il faisait écho à mes inspirations, à la vie sur Mars et aux robots d’exploration. C’est d’ailleurs dans cette optique là que les photos ont été réalisées au ras du sol, comme pour donner l’impression qu’il s’agit d’édifices extraterrestres. Et puis cette esthétique chromée en plein milieu d’une zone aride, crée un contraste qui renvoie beaucoup à une vision futuriste selon moi. Ça renforce l’aspect organique et à la fois synthétique des formes qui font l’identité de la collection.

Miroir avec découpe ©Jean-Baptiste Fastrez
Temps de lecture
11/9/2025
Riva, la nouvelle famille sportive de Graff

La marque de robinetterie de luxe Graff a lancé en début d’année Riva. Une collection composée de trois modèles librement inspirés des univers du yachting et de l’automobile, comme un écho à l’histoire de la marque.

Et au milieu coule une rivière… ou plutôt le savoir-faire de Graff. Si le parc national de Babia Góra, situé à Jordanów, en Pologne, aurait pu servir de cadre au film sorti en 1992, il abrite depuis 2002 le principal site de production mondiale (hors Etats-Unis) de la marque. Un complexe de 20 000 mètres carrés ou la robinetterie de luxe et la précision des machines côtoient encore aujourd’hui les savoir-faire artisanaux d’autrefois. C’est fort de cet atout que la marque présente cette année la collection Riva inspirée par le yachting et l’automobile de luxe. Un univers avec lequel Graff, née aux Etats-Unis dans le Wisconsin dans les années 70, a quelque temps collaboré en tant que sous-traitant pour la célèbre marque de motos Harley Davidson. Un héritage américain dont elle conserve un goût prononcé pour l’innovation et la recherche, largement assimilé au goût de l’Art décoratif et du design européen.

Riva Chandelier ©Graff

Des inspirations haut de gamme

Si la collection n’a pas nécessairement été imaginée comme un hommage à son passé, la marque - dont le nom tient évidemment au graphite qui compose ses produits - s’inscrit quant à elle dans un certain art de vivre : the Art of bath. Une appellation qui désigne la précision technique et la personnalisation sur mesure des accessoires de bain au service des sens. C’est dans cette lignée esthétique que trois typologies de robinetterie sont nées sous la collection Riva à partir de mars 2025. Destinées tout autant à l'hôtellerie qu’aux réalisations privées haut de gamme, Riva Chandelier, Riva Scala et Riva Wall Mount s’inspirent librement des lignes de l’automobile et l’accastillage des yachts. Un langage commun sophistiqué et technique. S’appropriant notamment les textures propres à ces univers au travers de finitions diamantées, texturées ou obliques, Graff propose également une personnalisation totale grâce aux 26 finitions époxydes, galvaniques ou PVD disponibles.

Riva Scala ©Graff

Des typologies dans l’air du temps

Imaginée pour s’adapter à chaque typologie de salle de bain, Riva se décline aussi sur le plan technique, que ce soit de manière très prégnante, sous forme de suspension rappelant un lustre pour Riva Chandelier ou une motorisation avec Riva Scala, déclinée, avec Riva Wall mount, dans une version murale. Renforcés par l’intégration de LED, les deux modèles suspendus ont été imaginés pour jouer avec les différents modes, qu’il s’agisse d’une fine pluie ou de jets plus puissants. De quoi placer l’objet au centre de l’attention et s’inscrire en parallèle de la tendance des “wet rooms”, ces pièces épurées faisant la part belle au matériel de bain, de sorte à dégager une atmosphère. Un parti-pris largement adopté par la marque et illustré par ce clin d'œil à deux mondes ultra-techniques.

Riva Wall Mount ©Graff
Temps de lecture
10/9/2025
Les racines de Giuseppe Arezzi

Projet après projet, le designer sicilien a su remettre au goût du jour un mobilier plein de bon sens, où l’apparente simplicité cache en réalité un véritable credo.

Voici quelques années que Giuseppe Arezzi trace son parcours discrètement mais sûrement, non sans afficher une certaine singularité. Car le garçon est né à Ragusa, en Sicile, où il a choisi de revenir s’installer, après des études au Politecnico de Milan. Un détail qui n’en est pas un, lorsque l’on se penche sur son travail de plus près, axé autour de la question de la ruralité. Rien à voir avec une quelconque acception rustique, mais plutôt avec l’idée que le territoire, ses racines et ses traditions ont beaucoup à apporter au design, aussi industriel soit-il. Pas étonnant que ses pièces dégagent un certain bon sens dans la conception, depuis son premier valet de chambre, Solista, jusqu’au transat dépliable façon accordéon le Brando créé pour Campeggi.

Transat Brando pour Campeggi, 2024 © Vincenzo Caccia

Un design judicieux

Autant d’exemples d’un design dont l’apparente simplicité cache un véritable credo, à l’image du fauteuil produit en 2021 par sa complice Margherita Ratti de It’s Great Design, Manico, le « manche » : effectivement sa structure pourrait n’être que l’assemblage de plusieurs manches auxquels deux coussins colorés ont été ajoutés pour garantir le confort. Cette économie de moyens judicieuse a d’ailleurs tapé dans l’œil du Vitra Design Museum, qui a voulu ce fauteuil pour sa collection permanente, après qu’un autre projet, le Binomio, a fait son entrée au Cnap, à Paris. Pendant la Design Week de Milan 2025, il présentait à Alcova une nouvelle gamme de miroirs.

Fauteuil Manico pour It's Great Design, 2021 © Natale Leontini
Porte manteau Solista pour by Desine, 2018 © Studio Giunta
Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir chaque semaine l’actualité du design.