TRIBUNE - "REFLETS DU MONDE ENTRE LES MURS"

TRIBUNE - "REFLETS DU MONDE ENTRE LES MURS"

Ancien étudiant de l’ENSCI, le designer  Bazil de Pourtalès exerce aujourd’hui en freelance, après avoir forgé ses armes en agence sur des missions de conseils et d’innovations pour les entreprises. Ce qui l’anime ? Formaliser des  projets où le design est un vecteur stratégique. Il revient sur cette expérience littéralement extraordinaire du confinement lié à la crise sanitaire, l’occasion de réfléchir au sens de nos interactions, de notre consommation. Et plus largement, à notre façon d’habiter le monde.

« Tous confinés ! Qui l’eut cru ? C’est un choc, une stupéfaction, quelque chose que nous n’avions jusque là qu’imaginé. Mais qu’en est-il quand l’imaginaire devient réalité ?
Un virus passe d’un animal à un être humain sur un marché d’animaux sauvages en Chine et nous nous retrouvons très rapidement confinés en raison d’une pandémie mondiale. Peu de pays font exception, des milliards de personnes, dans les deux hémisphères, ont vu leurs vies transformées, en l’espace de quelques jours. Cette situation inattendue reflète la réalité complexe de notre monde, les liens qui existent entre chacun, chaque chose.
Pour la première fois depuis très longtemps, nous sommes conscients de tous partager le même monde. Ce qui est habituellement dilué dans le flot bouillonnant de nos modes d’existences est manifestement révélé et ce qui se produit de l’autre coté de la terre a un effet immédiat sur l’ensemble de ce qui s’y accomplit. Les volontés d’en expliquer l’origine mettent en évidence un rapport de cause à effet, qui constitue la règle et dont rien ne semble faire exception.

La crise est globale. Nous avons dû affronter ce nouveau virus en transformant nos façons de vivre et de travailler, en prenant des précautions inédites et souvent lourdes lorsque nous étions sur le terrain et en nous confinant chez nous le reste du temps. Nos vies, notre rapport au monde extérieur, aux autres, à ce qui était le plus anodin, a été métamorphosé. Depuis nos habitacles nous avons dû réinventer nos vies, en important de l’extérieur ce qui constituait notre quotidienneté. Le périmètre réduit de notre confinement est devenu la scène de nos façons de vivre.

Ce nouveau contexte a fait évoluer notre rapport à ce qui constitue notre environnement, en bouleversant les usages, révisant les priorités et en requalifiant ce qui est important pour chacun. Cette distanciation physique nous a imposé un recul, au propre comme au figuré, sur la nécessité, sur ce que nous produisons et sur la manière dont nous habitons.

La nécessité

On peut se poser la question de savoir à partir de quelle nécessité sont produit les objets dont nous nous entourons. De l’outil manuel à l’objet symbolique dans la réalisation d’un rite, ils sont la conséquence de notre rapport au monde, une alchimie complexe entre des besoins et une interprétation de notre réalité. S’il existe un point commun aux productions humaines, il réside dans le fait que l’Homme lui-même à la capacité d’y déposer ou d’y dévoiler un sens. C’est le propre de l’objet produit par l’homme de ne se révéler que par le don d’une conscience humaine. Comme un miroir il nous renvoie à ce qui fait notre humanité.

Notre rapport au monde passe à la fois par l’esprit et par le cœur, par la raison et par l’émotion. Nous expérimentons notre réalité par nos sens et interprétons nos perceptions à l’aune de notre vécu, de notre mémoire. Cette dimension expérientielle rend l’objet présent à notre corps, à notre intelligence et à nos émotions.  L’expérience du monde culmine dans le sentiment sans pouvoir se passer de la cognition, elle se situe à l’interférence des deux.

La création se trouve à cette interférence.

Plus largement, elle se trouve à la croisée des disciplines, en révélant des complémentarités dans ce qui ne semble sans adhérence. Elle est l’art de faire fonctionner ensemble des choses qui ne semblent de prime abord pas destinées à l’être. Depuis nos confinements la question de la nécessité, à l’origine de la création, s’est imposée à nous.
L’évolution soudaine du contexte nous a obligés à nous réinventer un monde en le rendant en adéquation avec nos besoins. La transformation brutale et quasi universelle, a mis en évidence l’adaptation continue dont nous devons nous accommoder.

C’est ce que nous avons fait, en soutenant les soignants, en réhabilitant nos foyers pour les usages du confinement, en inventant et fabriquant des masques, en nous recréant un semblant de nature, en réaménageant un espace de jeu pour nos enfants ou un bureau pour nous permettre de continuer de travailler, en nous entourant ce qui nous a été vital pour vivre confinés…

Face à la situation, nous avons utilisé nos ressources pour tisser des liens, entre les choses, entre les êtres, entre l’intérieur et l’extérieur.
La question du lien apparaît essentielle, car elle est à la fois processus et finalité. Fugace dans un monde qui change et évolue, qui pour être maintenu demandera d’être tissé une nouvelle fois, à chaque fois qu’il ne sera plus évident. Maintenir le lien c’est le garder présent à notre conscience en lui donnant une réalité dans nos actions quotidiennes. Or n’est-ce pas ce que traduit l’action de « faire » ? La nécessité, n’est-elle pas un besoin permanent de tisser des liens entre les choses pour nous rappeler ce qui possible dans notre quête d’exploration et d’explication de notre réalité ?

Ce que nous produisons

À l’instar d’un tissu dont la chaîne et de la trame ne sauraient se passer l’un de l’autre, le fond et la forme sont liés inextricablement. En assumant cette conception, nous pouvons nous demander dans quelle mesure il existe une symétrie au au sein de l’ouvrage que constituent fond et forme. En fonction du point de vue il y a soit le cheminement du créateur qui d’après une intention fait jaillir la forme, soit le cheminement inverse de celui qui s’en empare et qui par la forme accède au fond qui l’établit. La forme existe dans la totalité parce ce quelle existe à la fois par l’action du créateur et dans les yeux de celui qui l’emploie.

Éprouver la portée de ce que nous produisons revient à contempler une étendue d’eau. En se penchant sur elle, notre oeil peut au choix se poser à sa surface ou bien passer au travers et voir ce qu’elle contient. C’est dans ce sens que le pouvoir d’évocation des formes parait crucial. Car la forme à la fois polarise et ordonne le fond et est la clef pour y accéder.

C’est ainsi que la forme peut soit induire en erreur soit éclairer.

Elle a le pouvoir d’exprimer des liens, des forces en présence. En fonction de la clarté de ces liens entre fond et forme, elle peut être un révélateur en donnant aux personnes les moyens de choisir et d’agir, à la manière de la musique d’un film dont les notes traduisent l’état d’esprit d’un personnage en le faisant ressentir au spectateur.

Il existe par conséquent un rapport réflexif entre nos produits et nous même. Les objets que nous produisons agissent envers nous au même titre que nous agissons envers ceux-ci. Les formes se muent en expériences transformatrices qui nous permettent d’accéder à des dénominateurs communs. Elles s’emparent d’une dimension matricielle qui nous permet de revenir à la source de ce qui fait notre humanité.

Le monde dans lequel nous vivons n’est il pas ainsi à notre image ?Fait de dualités entre ce qu’il est, ce que nous voudrions qu’il soit, entre ce que nous pensons savoir et ce que nous ignorons. Les projets donnent une direction pour le futur en utilisant le passé comme recul et le présent comme poussée. En définitive l’incertitude demeure maîtresse. Le sentiment d’incertitude se trouve renforcé face à la complexité du monde, la sensation de ne pouvoir embrasser son ensemble et d’accéder à une vérité qui l’emporterait.

Limité par notre perception le rapport de cause à effet de nos actes est de plus en plus dilué. Exhumer et nous rappeler ce qui nous lie semble plus que jamais nécessaire. La crise actuelle nous rappelle les liens qui nous rassemblent, mais qu’en est-il le reste du temps avec ce que nous fabriquons. Qu’en est-il lorsque que nous changeons de smartphone pour le dernier modèle et que nous nous prenons en selfie avec, alors que plus loin sur la planète des personnes brûlent les composants en plastiques de nos téléphones dans des décharges en plein air. Nous vivons bien sur la même planète, presque au sein du même organisme… et pourtant. La proximité n’est plus une affaire de distance physique, mais d’avantage d’effets induits. Là où il se fabrique des choses c’est aussi le lieu de la fabrique de l’humanité.  Et c’est pourquoi qualité et conscience doivent être les mots d’ordre.

Comment nous habitons

Habiter implique une interaction avec l’environnement que l’on nous avons désigné comme lieu de vie. Nous faisons des choix et mettons en oeuvre des actions pour le transformer et le rendre en adéquation avec nos besoins. L’idée de transformation est fondamentale, car elle est à la fois la raison d’être de l’habitat et son mode de fonctionnement, une évolution constante qui en théorie lui garantit de demeurer en accord avec les besoins de ceux qui y vivent. Il semble que parler de design c’est parler de ce processus de transformation. Le confinement nous a confrontés à nos besoins fondamentaux en nous mettant face à ce qui nous a fait défaut.

Ces besoins se sont souvent révélés être banals du point de vue du « monde d’avant », car considérés comme acquis ou accessibles. Nous avons redécouvert leur importance, que notre vie en dépend et que leur manque ne saurait être comblé par un aucun artifice. Ils ont pour nom : liberté, sécurité, liens humains, silence, espace, accès à la nature…

Des idéaux que nous avons tendance à détourner et à dilapider en actes de consommation plutôt que les apprécier pour ce qu’ils ont de vital et d’accéder à leur grandeur.  Il paraît crucial de dépasser la conception de l’individu comme simple client, consommateur ou usager, mais d’introduire l’idée de citoyenneté à ce que nous produisons, sur l’ensemble de sa chaine de valeur.  En faisant beaucoup avec peu, nous nous sommes prouvés que savions nous réinventer.

Plutôt que d’assouvir des désirs artificiellement inculqués il nous faut créer pour les besoins réels et éprouvés.Dans ce nouveau contexte l’adage de Mies van der Rohe, « less is more » retentit avec force et nous rappelle de privilégier la qualité à la quantité.
Nous avons vécu la même catastrophe mais les besoins exprimés se sont révélés singuliers, en raison de la singularité des contextes des individus. C’est en proposant des projets qui portent en eux le cheminement de pensée qui leur a donné lieu qui permettront à tout un chacun de s’emparer de leur portée. En renforçant la capacité de jugement, ils seraient ainsi des projets honnêtes.  En se changeant en expériences les productions de design mettent à profit la capacité réflexive des formes pour faciliter une contribution active et sortir d’un posture passive. Les productions de design seraient plus en accord avec une logique de transformation au sein de laquelle nous pouvons « tisser du lien » plutôt que d’être des «objets à emporter ».  En instaurant une disposition active, le design s’accomplit dans un processus dans lequel le résultat de ce qui est produit appartient un peu plus à ceux qui sont touchés par le projet, car le projet porte en lui une part de nous même, une compréhension nouvelle, un soin particulier.
C’est ainsi que l’idée de qualité peut trouver un sens en chacun d’entre nous et nous permettre d’habiter plus unis dans un monde tel que nous l’aurons fait. »

Bazildepourtales.com

Rédigé par 
Nathalie Degardin

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26/5/2025
Découvrez « In Talks » Saison 2, la série où Silvera donne la parole aux designers

Fort du succès de sa première saison, Silvera revient avec la Saison 2 de 'ln Talks', sa mini-série originale consacrée à l'univers du design, vu de l'intérieur.

Cette nouvelle édition s'ouvre avec quatre figures majeures de la scène contemporaine : Erwan Bouroullec, Sabine Marcelis, Patrick Jouin et Odile Decq. Chacun y partage, avec sincérité et singularité, sa vision de l'idée - ce moment d'émergence où intuition, matière et sens ne forment qu'un.

Retrouvez l'intégralité de la saison 1 dans notre article dédié.

Episode 1 : Erwan Bouroullec

Installé entre Paris et la Bourgogne, Erwan Bouroullec propose un design inspiré d'une certaine simplicité, et empreint d'une forme de poésie humaine. Dans un discours sensible, il évoque la place discrète mais non moins essentielle du geste créatif, comme une solution aux problématiques du quotidien. « Pour moi, il n'y a pas d'idée géniale » affirme le créateur qui partage ici son approche délicate de l'objet.

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23/5/2025
Studio Shoo : le design au cœur de l’aménagement

Créé à Yerevan, en Arménie, Studio Shoo développe depuis quelques années une branche de mobilier design. Un nouvel axe lié aux projets architecturaux de l'agence.

« Je n'aime pas les projets résidentiels. Ce sont trop de contraintes et pas assez de liberté de création » explique Shushana Khachatrian, à l'origine de Studio Shoo. Créée en 2017 à Yerevan, l'agence spécialisée dans l’hôtellerie et la restauration est aujourd'hui implantée dans bon nombre de capitales européennes. Motivée par la création d'espaces avant tout fonctionnels et vecteur de bien-être grâce à ses palettes douces rehaussées çà et là de touches pop, l'architecte signe des projets d'une ordinaire simplicité, empreints de son Arménie natale. « Il y a quelque chose de minimaliste dans beaucoup de nos créations, mais l'essentiel est ailleurs. Il y a, dans les formes et les schémas, des éléments constamment inspirés de ma culture » explique l'architecte. Outre la question d'individualité et de matérialisation de son identité, elle « souhaite surtout que les visiteurs puissent se rattacher à quelque chose. » A l'image du projet hôtelier Mövenpick Yerevan, Shushana Khachatrian détourne les arts et les matériaux de son pays, pour livrer des atmosphères contemporaines et typées, mais loin des stéréotypes.

CourtYard by Marriott à Yerevan ©Studio Shoo

Le design dans chaque projet

Imaginée selon les codes de l'agence et les influences de l'architecte, chaque architecture intérieure trouve son individualité dans le choix du mobilier qui la compose. « Chez Studio Shoo, nous avons toujours mêlé des produits du marché à nos propres créations. » Une manière de solutionner des problématiques, mais également d'apporter une identité particulière aux espaces. Une double approche qui pousse l'agence à créer un nouveau secteur entièrement dédié à la création de mobilier design. « Régulièrement, nous avions des personnes qui nous demandaient où elles pouvaient acheter nos objets. Mais ce n'était pas possible. Et comme j'ai horreur de refaire deux fois la même chose, nous avons décidé de créer une branche spécifique en interne, pour concevoir des objets disponibles à la vente, que ce soit à des particuliers, ou dans nos projets. » Une diversification du travail de l'agence, mais complémentaire à son activité architecturale poursuit Shushana Khachatrian. « Je pense que ce sont deux domaines très perméables où l'échelle est différente. Les architectes pensent davantage l'expérience client et les formes globales, les plus grosses, tandis que les designers réfléchissent surtout aux détails, aux formes plus petites. » Réunissant une petite dizaine d'objets, principalement des luminaires, Studio Shoo explore également des thématiques connexes telles que le développement durable, avec la réinterprétation de « déchets » pour fabriquer de nouveaux objets, ou l’intelligence artificielle régulièrement utilisée pour donner vie à des esquisses. « A mes yeux, l'essentiel, c'est que les personnes retiennent les espaces qu'elles visitent. Et c'est souvent grâce à un objet inattendu, une nouvelle expérience, d’où l'importance du design » admet l'architecte dont l'agence travaille en ce moment sur un prototype de chaise.

Ibis budget Tbilisi ©Studio Shoo

TUFF Pencil cabinet, premier ambassadeur du Studio Shoo à Milan

Présent pour la première fois à ISOLA dans le cadre de la Milano Design Week 2025, Studio Shoo présentait le TUFF pencil cabinet. Imaginé en deux formats, l'un jaune pâle avec une ouverture sur le haut, et le second rose bonbon agrémenté d'un tiroir coulissant sur la partie basse, ce petit meuble est un véritable condensé de la vision de l'agence. Inspiré de la pierre volcanique rose caractéristique de Yerevan, il rend hommage à l'écriture grâce, outre son utilisation première, au petit tableau à craie intégré à l'intérieur. « En me baladant dans les rues de Yerevan, j'ai remarqué les notes qui ponctuent chaque mur. Les habitants écrivent et dessinent partout. C'est ce qui m'a inspiré pour cette pièce qui reflète l'intersection entre l'héritage matériel et l'expression artistique » résume la créatrice qui explique d'ailleurs avoir vu des gens se mettre à dessiner sur sa pièce lors du salon italien. Fabriqué à partir de feuilles de MDF et de métal recyclé, ce meuble, créé à l'origine pour l'usage personnel de Shushana Khachatrian, est un premier pas pour l'agence dans le secteur du meuble international, où le design arménien est encore trop peu représenté.

TUFF pencil cabinet ©Katie Kutuzova
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9/5/2025
La Boite concept : pour l'amour du son

Basée au Pays basque depuis sa création en 2008, La Boite concept, entreprise spécialisée dans l’élaboration d’enceintes haute fidélité alliant performance et design, a récemment déménagé à Hossegor, dans les Landes. Un virage stratégique assumé par son président, Timothée Cagniard, qui entend faire de ce nouveau lieu un hub de création, de réflexion et d’innovation dédié au son.

« L’idée de La Boite concept est de mélanger la haute fidélité avec le numérique, en proposant des produits simples d’usage, afin de faire découvrir la Hi-Fi à tous les publics. » Timothée Cagniard baigne depuis toujours dans l’univers de la haute fidélité, notamment grâce à sa grand-mère Marie Cagniard, fondatrice de la marque d’enceintes acoustiques Siare. Ainsi, dès la création de la marque il y a 17 ans, il s’est donné pour mission de développer un savoir-faire du son et de l’enceinte, afin de proposer des produits haut de gamme, à la fois techniques et esthétiques. Après plusieurs années passées au Pays basque, l’entreprise a vouloir voir plus grand en s’installant à Hossegor, dans un atelier flambant neuf, inauguré début 2025.

Le showroom est situé au rez-de-chaussée du bâtiment et offre une vue directe sur les ateliers de fabrication et d'assemblage © Sandrine Iratcabal

Toute la chaîne de valeur réunie en un seul lieu

Baptisé « Manufacture du son », cet espace de 1 200 m², imaginé par l’atelier d’architecture Formalocal, a été pensé pour rassembler tous les corps de métiers en un seul et même lieu, de la conception au test des produits, jusqu’à la vente directe grâce au showroom intégré. Avec une production de 3 500 enceintes prévue pour l’année 2025, l’objectif est d’augmenter progressivement la capacité de production, pour atteindre jusqu’à 5 000 unités à l’horizon 2030.

L'atelier est doté de salles acoustiques insonorisées pour tester les enceintes © Lily Blue

Une ambition rendue possible grâce à la synergie entre les différents métiers et savoir-faire rassemblés sur site (design, ingénierie, ébénisterie…), répartis entre les différentes marques du groupe. En effet, en 2020, La Boite concept a racheté l’entreprise de matériel audio Micromega, lui offrant plus d’indépendance en internalisant une partie du développement technique. En 2021, la marque a également fondé Loia, dédiée aux accessoires et au petit mobilier liés au son, pour une expérience immersive à 360°. Enfin, l’entreprise Retrofutur, également membre du groupe, assure la partie vente et gère le showroom accessible au public.

Un développement de produits en continu

Grâce à son équipe de designers et d’ingénieurs du son intégrés, La Boite concept a développé de nombreux produits mêlant design et expertise acoustique. « Nous essayons de concevoir des produits à la fois simples, esthétiques, mais qui sont le résultat d’un véritable travail sur le son et le design », explique Timothée Cagniard. On doit notamment à La Boite concept l’enceinte PR Link, qui fait office à la fois d’enceinte et de mobilier lorsqu’elle est installée sur pied. Citons aussi la Platine Square, qui revisite le tourne-disque dans une version contemporaine et haut de gamme, mêlant cuir et bois travaillés avec soin.

Enceinte PR Link © Pauline Azur

Le développement devrait continuer de s’intensifier, avec de nombreux projets en cours, attendus à l’horizon 2026. Aujourd’hui, l’objectif du groupe est de s’ancrer dans ce nouveau lieu afin d’augmenter le volume de production afin de renforcer sa présence sur le marché, actuellement réparti à parts égales entre la France et l’international, avec une priorité donnée en Asie, particulièrement en Chine et en Corée du Sud.

Platine Square © Pauline Azur

Des collaborations exclusives

À l’occasion de l’inauguration de la nouvelle manufacture, La Boite concept avait dévoilé en avant-première une collaboration avec le DJ français Cut Killer. Une enceinte conçue pour « casser les codes », alliant puissance et qualité sonore exceptionnelle, dont la sortie officielle devrait être annoncée prochainement. Il n’y a plus qu’à tendre l’oreille…

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6/5/2025
SaloneSatellite : huit designers à suivre de près

Cette année encore, le SaloneSatellite a mis en lumière bon nombre de jeunes designers émergents. Retour sur nos coups de cœur de cette 26e édition.

Début avril, le Salone del Mobile de Milan ouvrait pour la 26e fois, ses portes à la nouvelle garde du design. Réunis au sein du SaloneSatellite créé en 1998, « 700 jeunes designers de 37 pays participent pour la première, la deuxième ou la troisième fois au Salon » précise Marva Griffin Wilshire, fondatrice et aujourd'hui commissaire de cette section. L'occasion pour eux de dévoiler leurs travaux et de rencontrer des acteurs internationaux de l'industrie et du commerce.

Initié dès la première édition pour "évaluer les photographies des prototypes des nombreuses demandes de participation”, un comité de sélection hétérogène “composé de 12 personnalités du monde du design” désigne chaque année un corpus de designers âgés de moins de 35 ans. Réunis cette année autour de la thématique “NUOVO ARTIGIANATO: UN MONDO NUOVO//NEW CRAFTSMANSHIP : A NEW WORLD” ils ont, par leurs approches et leurs savoir-faire, témoigné de la transversalité de l'artisanat patrimonial et du design contemporain. Une volonté maintenue par le SaloneSatellite à travers les éditions, et qui donne en outre “un sens de responsabilité à ces designers qui font de leur mieux pour exposer leurs travaux” selon Marva Griffin Wilshire.

Parmi ces nouveaux esprits de la création contemporaine, voici huit coups de cœur de la rédaction.  

Simo Lahtinen

Titulaire d'un master en design industriel de l'école des arts, du design et de l'architecture de l'université finlandaise d'Aalto, Simo Lahtinen développe un univers basé sur « l'équilibre entre la fonctionnalité et la forme pure, naturelle. » Installé à Helsinki où l'architecture et le design nordique inspirent largement son travail, le créateur « recherche des perspectives astucieuses et nouvelles dans les typologies traditionnelles, afin de créer des designs qui soient distinctement contemporains. » Un processus dont émanent des « objets qui semblent à la fois faciles à réaliser et précis. » Une impression renforcée par la recherche formelle de ses pièces. « Je considère que la géométrie, largement présente dans mes pièces, apparaît naturellement dès lors que la structure, la fonction et le matériau sont alignés, en cohérence. » Une philosophie illustrée par le banc Tre présenté cette année. Fabriqués en pin, les profils d'assise triangulaire « minimisent le gaspillage de matériaux, renforcent la solidité de la structure et créent un langage architectural. Tre reflète mon approche, qui consiste à trouver un équilibre entre une forme audacieuse, une construction intelligente et une élégance fonctionnelle. »

Tre bench ©Simo Lahtinen

Marcus Götschl

D'abord ébéniste en Allemagne puis en Norvège pendant plusieurs années, Marcus Götschl se passionne pour le design et se forme en Allemagne à l'Académie de design d'intérieur et de produits de Garmisch-Partenkirchen. Fraîchement fondé - au début de l'année - à Munich, son studio cherche à créer « des objets qui soient à la fois familiers et discrètement nouveaux. » Comprenez par là un éloge aux structures claires et légères en écho avec les nouvelles contraintes sociétales et environnementales. Intéressé par la structure autant que par l'objet en lui-même, le designer cherche avant tout la simplicité visuelle. « La simplification de la construction, la réduction de l'utilisation des matériaux et l'adaptation aux nouveaux modes de vie sont des sujets importants pour moi, non seulement pour des raisons esthétiques, mais aussi pour rendre le design plus durable et plus accessible. » Une approche développée à travers plusieurs matériaux dont il tient une connaissance approfondie grâce à son passage chez ClassiCon comme développeur produit. Présenté au début de l'année, son tabouret Flatpacking - qui pourrait être expédié dans un carton de la taille/forme d'une boîte à pizza -, illustre sa vision du design : une pièce à la fois sobre visuellement et structurellement qui utilise des matériaux fins pour atteindre la stabilité grâce au rapport de tension/compression, sans négliger le confort de l'utilisateur.

Tension stool ©Marcus Götschl

Michael Grandt

Inspiré par la dichotomie du Japon où il s'est installé plusieurs années avant de regagner Düsseldorf, Michael Grandt, fondateur du studio Omote Ura, souhaite « faire vivre des projets dont l'esthétique dure longtemps. » Dessinées pour s'intégrer harmonieusement dans des environnements différents, les pièces du designer jouent avec les contrastes. En témoigne TOMO, un tabouret fabriqué à partir de trois pièces de contreplaqué assemblées et soutenues entre elles par une structure tubulaire en acier. « Les surfaces en bois ont une forme douce et organique, tandis que les tuyaux en acier présentent une structure plus stricte et technique qui s'effacent selon l'angle sous lequel on regarde l'objet. Ce principe de dissimulation des structures techniques derrière des surfaces fluides nous est familier, nous le connaissons tous ; dans les avions, les machines ou même l'architecture moderne. Mais il y a aussi quelque chose de plus imagé qui rappelle le Japon. » Une faculté notamment due au rapport du designer avec la géométrie. « J'ai toujours été intéressé par les sciences et les mathématiques. Bien que l'intuition ait toujours sa place dans toute création, suivre une logique claire est souvent un bon début. » Un parti-pris cartésien avec lequel le designer conserve une certaine distance pour « obtenir une clarté visuelle sans réduire le design à un strict minimalisme géométrique sans humanité ni empathie.»

TOMO stool ©Michael Grandt

Erina Caldeira

« Il y a trois choses que je garde toujours à l'esprit lorsque je crée : la facilité de compréhension du concept et de la forme, des formes faciles à produire pour le fabricant et faciles à entretenir pour l'utilisateur, et enfin la dimension émotionnelle qui doit toucher les sens et mettre de bonne humeur ! » Développées au Japon d'où elle est originaire, les sensibilités d'Erina Caldeira se mélangent depuis 2020 à la culture danoise où elle réside. « Les gens disent souvent que le design japonais et le design scandinave vont bien ensemble, et je pense honnêtement la même chose. Lorsque j'ai présenté l'étagère en bois RHYTHM en 2023, ma première pièce de mobilier, beaucoup de personnes m'ont dit que l'on ressentait cette double influence sans que je n'en aie conscience. » Outre la diversification formelle, cette pièce relativement grande marque un tournant dimensionnel dans l'univers de la créatrice qui a travaillé six ans pour une entreprise d'articles ménagers. Convaincue par l’intérêt d'un design simple et sophistiqué, Erina Caldeira continue de placer le concept au cœur de sa démarche. « C'est lui qui influence la forme, et je pense qu'il est indissociable de l'utilisation et de la méthode de production. » Un tout à partir duquel semble naître une certaine diversité interculturelle.

RHYTHM bookcase ©Erina Caldeira

Jos van Roosmalen

Après plusieurs années passées auprès de studios de design et d'entreprises d'éclairage, Jon van Roosmalen lance son propre studio en 2024. Intéressé par le design autant que par « l'effet de lumière », il développe un petit univers relativement minimaliste et coloré. « Pour moi, un dessin emblématique est "facile à dessiner", c'est ce qui le rend mémorable. Dans mes créations, j'essaie donc de me concentrer sur l'essentiel. » Si la dimension ludique de la lumière due aux interactions avec les formes et les matériaux, induit ses pièces, Jos van Roosmalen décline son approche au gré de ses envies. « J'utilise différents points de départ pour mes créations, qui deviennent ensuite l'histoire principale, jusqu'au résultat. »Questionnant parfois les « archétypes actuels » comme avec la lampe LINEAR, à la fois applique murale et lampadaire, ou développant une approche sensorielle comme avec la lampe en albâtre SLIDE, le designer dévoile un univers fait de formes simples, presque évidentes. Une volonté que l'on retrouve également dans la structure du tabouret TREBLE - seule pièce de mobilier du designer -, où se conjuguent le bois et le métal.

La lampe Extrude à gauche et le modèle Ami à droite ©Jos van Roosmalen

Leo Koda

Installé à Eindhoven après l'obtention de son master en design produits à l'ECAL, en Suisse, Leo Koda base ses recherches sur la remise en question de la banalité. « Je suis profondément motivé par l'idée de créer quelque chose d'original, quelque chose qui n'a jamais été vu auparavant. » Désireux de ne pas être lié « aux notions préconçues sur les matériaux, ni à leurs fonctions courantes », le designer a créé In fill out, un univers gonflé de toute pièce. Horloges, miroirs ou encore plats, les objets se côtoient avec pour unité plastique la rondeur caractéristique de ses impressions 3D déformées dans l'eau chaude. Une approche poétique et enfantine renforcée par une sélection de coloris pop. « Je pense qu'un bon design doit être compréhensible par tous, des enfants aux personnes âgées. Il ne devrait pas y avoir besoin de beaucoup de mots pour communiquer son idée. Le design devrait être démocratique. » Comme un pas de côté dans son univers singulier, le designer présentait cette année Stack and Stock, un tabouret né d'une expérience pratique avec des gobelets en papier. « J'étais curieux du mécanisme d'empilage et je me suis demandé ce qui se passerait si, au lieu de minimiser les espaces dans l'empilage, je les maximisais intentionnellement et attribuais une fonctionnalité à cet espace. Cela semble simple, mais c'est en fait une approche contraire à la logique de conception habituelle. » Un univers bien différent du précédent, mais tout aussi expérimental.

Tabouret Stack and Stock ©Leo Koda

Haruka Mitani

« Mon design est comme un Haïku, la forme poétique traditionnelle japonaise connue comme la plus courte au monde » explique Haruka Mitani. Diplômée de la Chiba University Graduate School, la designer revendique un esprit de tranquillité à travers des objets « minimalistes et accessible à tous, mais jamais froids ou mécaniques. » Illustrant cette vision, KUU -Husks of Light- est une collection de luminaires réalisés à partir de plusieurs couches de papier washi superposées. « Je vois cette installation comme un moyen d'expérimenter la richesse subtile de la perception humaine, comprendre la façon dont la lumière elle-même peut être perçue par chacun. » Derrière cette idée, se cache également un objectif plus formel. « Le papier translucide se présente en trois dimensions et crée un sentiment de profondeur, comme si vous regardiez tranquillement dans un espace doux et intérieur. » Rappelant « l'effet d'une lumière à travers la brume », ce projet est un aperçu à la fois symbolique par le lien avec le Japon, pays d'origine de la créatrice, aussi révélateur de l'approche sensorielle qu'entretient Haruka Mitani avec les matériaux. « Je pense qu'ils sont profondément liés au corps, tout autant que la forme elle-même. Lorsque les matériaux changent, l'expérience change. Je suis en résonance avec l'idée du "bon matériau au bon endroit". »

Suspension de la collection KUU -Husks of Light- ©Haruka Mitani

Sera Yanagisawa

Diplômé de l'université d'art de Musashino à Tokyo en 2022, Sera Yanagisawa s'est spécialisé dans les chaises, « un objet qui exprime le mieux l'individualité du designer » selon lui. Intéressé par la structure et la mécanique, le designer propose des pièces organiques dans lesquelles la géométrie des volumes traduit « un principe de réduction et d'optimisation des composants. » Un principe que l'on retrouve notamment dans KUSABI, un tabouret inspiré de la cale, un outil utilisé depuis l'Antiquité. « Le coin, avec sa petite force, a joué un rôle important tout au long de l'histoire, capable de soulever des pierres massives ou de lourds piliers. Dans cette assise, chaque pièce a la forme d'un coin, ce qui permet de transmettre la force à chaque section et de serrer les pièces ensemble à l'aide d'une seule goupille. Le tabouret fonctionne comme un tout. » Considérant chaque caractéristique comme un « langage de conception » pouvant être appliqué à différentes typologies de pièces, Sera Yanagisawa s’illustre comme l'auteur « d'une famille de meubles cohérente », et visuellement très séduisante.

Chaise KUSABI ©Sera Yanagisawa
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