TRIBUNE - "REFLETS DU MONDE ENTRE LES MURS"

TRIBUNE - "REFLETS DU MONDE ENTRE LES MURS"

Ancien étudiant de l’ENSCI, le designer  Bazil de Pourtalès exerce aujourd’hui en freelance, après avoir forgé ses armes en agence sur des missions de conseils et d’innovations pour les entreprises. Ce qui l’anime ? Formaliser des  projets où le design est un vecteur stratégique. Il revient sur cette expérience littéralement extraordinaire du confinement lié à la crise sanitaire, l’occasion de réfléchir au sens de nos interactions, de notre consommation. Et plus largement, à notre façon d’habiter le monde.

« Tous confinés ! Qui l’eut cru ? C’est un choc, une stupéfaction, quelque chose que nous n’avions jusque là qu’imaginé. Mais qu’en est-il quand l’imaginaire devient réalité ?
Un virus passe d’un animal à un être humain sur un marché d’animaux sauvages en Chine et nous nous retrouvons très rapidement confinés en raison d’une pandémie mondiale. Peu de pays font exception, des milliards de personnes, dans les deux hémisphères, ont vu leurs vies transformées, en l’espace de quelques jours. Cette situation inattendue reflète la réalité complexe de notre monde, les liens qui existent entre chacun, chaque chose.
Pour la première fois depuis très longtemps, nous sommes conscients de tous partager le même monde. Ce qui est habituellement dilué dans le flot bouillonnant de nos modes d’existences est manifestement révélé et ce qui se produit de l’autre coté de la terre a un effet immédiat sur l’ensemble de ce qui s’y accomplit. Les volontés d’en expliquer l’origine mettent en évidence un rapport de cause à effet, qui constitue la règle et dont rien ne semble faire exception.

La crise est globale. Nous avons dû affronter ce nouveau virus en transformant nos façons de vivre et de travailler, en prenant des précautions inédites et souvent lourdes lorsque nous étions sur le terrain et en nous confinant chez nous le reste du temps. Nos vies, notre rapport au monde extérieur, aux autres, à ce qui était le plus anodin, a été métamorphosé. Depuis nos habitacles nous avons dû réinventer nos vies, en important de l’extérieur ce qui constituait notre quotidienneté. Le périmètre réduit de notre confinement est devenu la scène de nos façons de vivre.

Ce nouveau contexte a fait évoluer notre rapport à ce qui constitue notre environnement, en bouleversant les usages, révisant les priorités et en requalifiant ce qui est important pour chacun. Cette distanciation physique nous a imposé un recul, au propre comme au figuré, sur la nécessité, sur ce que nous produisons et sur la manière dont nous habitons.

La nécessité

On peut se poser la question de savoir à partir de quelle nécessité sont produit les objets dont nous nous entourons. De l’outil manuel à l’objet symbolique dans la réalisation d’un rite, ils sont la conséquence de notre rapport au monde, une alchimie complexe entre des besoins et une interprétation de notre réalité. S’il existe un point commun aux productions humaines, il réside dans le fait que l’Homme lui-même à la capacité d’y déposer ou d’y dévoiler un sens. C’est le propre de l’objet produit par l’homme de ne se révéler que par le don d’une conscience humaine. Comme un miroir il nous renvoie à ce qui fait notre humanité.

Notre rapport au monde passe à la fois par l’esprit et par le cœur, par la raison et par l’émotion. Nous expérimentons notre réalité par nos sens et interprétons nos perceptions à l’aune de notre vécu, de notre mémoire. Cette dimension expérientielle rend l’objet présent à notre corps, à notre intelligence et à nos émotions.  L’expérience du monde culmine dans le sentiment sans pouvoir se passer de la cognition, elle se situe à l’interférence des deux.

La création se trouve à cette interférence.

Plus largement, elle se trouve à la croisée des disciplines, en révélant des complémentarités dans ce qui ne semble sans adhérence. Elle est l’art de faire fonctionner ensemble des choses qui ne semblent de prime abord pas destinées à l’être. Depuis nos confinements la question de la nécessité, à l’origine de la création, s’est imposée à nous.
L’évolution soudaine du contexte nous a obligés à nous réinventer un monde en le rendant en adéquation avec nos besoins. La transformation brutale et quasi universelle, a mis en évidence l’adaptation continue dont nous devons nous accommoder.

C’est ce que nous avons fait, en soutenant les soignants, en réhabilitant nos foyers pour les usages du confinement, en inventant et fabriquant des masques, en nous recréant un semblant de nature, en réaménageant un espace de jeu pour nos enfants ou un bureau pour nous permettre de continuer de travailler, en nous entourant ce qui nous a été vital pour vivre confinés…

Face à la situation, nous avons utilisé nos ressources pour tisser des liens, entre les choses, entre les êtres, entre l’intérieur et l’extérieur.
La question du lien apparaît essentielle, car elle est à la fois processus et finalité. Fugace dans un monde qui change et évolue, qui pour être maintenu demandera d’être tissé une nouvelle fois, à chaque fois qu’il ne sera plus évident. Maintenir le lien c’est le garder présent à notre conscience en lui donnant une réalité dans nos actions quotidiennes. Or n’est-ce pas ce que traduit l’action de « faire » ? La nécessité, n’est-elle pas un besoin permanent de tisser des liens entre les choses pour nous rappeler ce qui possible dans notre quête d’exploration et d’explication de notre réalité ?

Ce que nous produisons

À l’instar d’un tissu dont la chaîne et de la trame ne sauraient se passer l’un de l’autre, le fond et la forme sont liés inextricablement. En assumant cette conception, nous pouvons nous demander dans quelle mesure il existe une symétrie au au sein de l’ouvrage que constituent fond et forme. En fonction du point de vue il y a soit le cheminement du créateur qui d’après une intention fait jaillir la forme, soit le cheminement inverse de celui qui s’en empare et qui par la forme accède au fond qui l’établit. La forme existe dans la totalité parce ce quelle existe à la fois par l’action du créateur et dans les yeux de celui qui l’emploie.

Éprouver la portée de ce que nous produisons revient à contempler une étendue d’eau. En se penchant sur elle, notre oeil peut au choix se poser à sa surface ou bien passer au travers et voir ce qu’elle contient. C’est dans ce sens que le pouvoir d’évocation des formes parait crucial. Car la forme à la fois polarise et ordonne le fond et est la clef pour y accéder.

C’est ainsi que la forme peut soit induire en erreur soit éclairer.

Elle a le pouvoir d’exprimer des liens, des forces en présence. En fonction de la clarté de ces liens entre fond et forme, elle peut être un révélateur en donnant aux personnes les moyens de choisir et d’agir, à la manière de la musique d’un film dont les notes traduisent l’état d’esprit d’un personnage en le faisant ressentir au spectateur.

Il existe par conséquent un rapport réflexif entre nos produits et nous même. Les objets que nous produisons agissent envers nous au même titre que nous agissons envers ceux-ci. Les formes se muent en expériences transformatrices qui nous permettent d’accéder à des dénominateurs communs. Elles s’emparent d’une dimension matricielle qui nous permet de revenir à la source de ce qui fait notre humanité.

Le monde dans lequel nous vivons n’est il pas ainsi à notre image ?Fait de dualités entre ce qu’il est, ce que nous voudrions qu’il soit, entre ce que nous pensons savoir et ce que nous ignorons. Les projets donnent une direction pour le futur en utilisant le passé comme recul et le présent comme poussée. En définitive l’incertitude demeure maîtresse. Le sentiment d’incertitude se trouve renforcé face à la complexité du monde, la sensation de ne pouvoir embrasser son ensemble et d’accéder à une vérité qui l’emporterait.

Limité par notre perception le rapport de cause à effet de nos actes est de plus en plus dilué. Exhumer et nous rappeler ce qui nous lie semble plus que jamais nécessaire. La crise actuelle nous rappelle les liens qui nous rassemblent, mais qu’en est-il le reste du temps avec ce que nous fabriquons. Qu’en est-il lorsque que nous changeons de smartphone pour le dernier modèle et que nous nous prenons en selfie avec, alors que plus loin sur la planète des personnes brûlent les composants en plastiques de nos téléphones dans des décharges en plein air. Nous vivons bien sur la même planète, presque au sein du même organisme… et pourtant. La proximité n’est plus une affaire de distance physique, mais d’avantage d’effets induits. Là où il se fabrique des choses c’est aussi le lieu de la fabrique de l’humanité.  Et c’est pourquoi qualité et conscience doivent être les mots d’ordre.

Comment nous habitons

Habiter implique une interaction avec l’environnement que l’on nous avons désigné comme lieu de vie. Nous faisons des choix et mettons en oeuvre des actions pour le transformer et le rendre en adéquation avec nos besoins. L’idée de transformation est fondamentale, car elle est à la fois la raison d’être de l’habitat et son mode de fonctionnement, une évolution constante qui en théorie lui garantit de demeurer en accord avec les besoins de ceux qui y vivent. Il semble que parler de design c’est parler de ce processus de transformation. Le confinement nous a confrontés à nos besoins fondamentaux en nous mettant face à ce qui nous a fait défaut.

Ces besoins se sont souvent révélés être banals du point de vue du « monde d’avant », car considérés comme acquis ou accessibles. Nous avons redécouvert leur importance, que notre vie en dépend et que leur manque ne saurait être comblé par un aucun artifice. Ils ont pour nom : liberté, sécurité, liens humains, silence, espace, accès à la nature…

Des idéaux que nous avons tendance à détourner et à dilapider en actes de consommation plutôt que les apprécier pour ce qu’ils ont de vital et d’accéder à leur grandeur.  Il paraît crucial de dépasser la conception de l’individu comme simple client, consommateur ou usager, mais d’introduire l’idée de citoyenneté à ce que nous produisons, sur l’ensemble de sa chaine de valeur.  En faisant beaucoup avec peu, nous nous sommes prouvés que savions nous réinventer.

Plutôt que d’assouvir des désirs artificiellement inculqués il nous faut créer pour les besoins réels et éprouvés.Dans ce nouveau contexte l’adage de Mies van der Rohe, « less is more » retentit avec force et nous rappelle de privilégier la qualité à la quantité.
Nous avons vécu la même catastrophe mais les besoins exprimés se sont révélés singuliers, en raison de la singularité des contextes des individus. C’est en proposant des projets qui portent en eux le cheminement de pensée qui leur a donné lieu qui permettront à tout un chacun de s’emparer de leur portée. En renforçant la capacité de jugement, ils seraient ainsi des projets honnêtes.  En se changeant en expériences les productions de design mettent à profit la capacité réflexive des formes pour faciliter une contribution active et sortir d’un posture passive. Les productions de design seraient plus en accord avec une logique de transformation au sein de laquelle nous pouvons « tisser du lien » plutôt que d’être des «objets à emporter ».  En instaurant une disposition active, le design s’accomplit dans un processus dans lequel le résultat de ce qui est produit appartient un peu plus à ceux qui sont touchés par le projet, car le projet porte en lui une part de nous même, une compréhension nouvelle, un soin particulier.
C’est ainsi que l’idée de qualité peut trouver un sens en chacun d’entre nous et nous permettre d’habiter plus unis dans un monde tel que nous l’aurons fait. »

Bazildepourtales.com

Rédigé par 
Nathalie Degardin

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15/9/2025
Jean-Baptiste Fastrez signe une collection avec Monoprix

Monoprix dévoile sa collection annuelle réalisée en partenariat avec la villa Noailles et un designer. Cette année, la marque s’est associée à Jean-Baptiste Fastrez pour la réalisation d’une collection chromée aux reflets futuristes.

Lauréat du Grand Prix du jury de la Design Parade Hyères en 2011, le designer Jean-Baptiste Fastrez s’est associé à cette institution et Monoprix. Une collaboration pour laquelle le créateur également scénographe a imaginé un ensemble de quinze petits objets décoratifs allant du bougeoir au tabouret en passant par le miroir. Focus sur l’esprit de cette collection en vente à partir du 16 septembre.

Bougeoirs © Jean-Baptiste Fastrez

Pourquoi avoir accepté cette collaboration avec Monoprix ?

Monoprix est pour moi l’une des dernières entreprises grand public à valoriser le travail des designers indépendants, car la plupart des marques ont aujourd’hui des bureaux de création intégrés. Et puis, travailler avec Monoprix, c’est également concevoir des objets pour tous, pas seulement pour une certaine partie de la population ou un petit nombre d’institutions et ça, c'était très stimulant ! D’autant qu’il y a avec Monoprix un côté très statutaire. On rentre presque dans une dimension patrimoniale, notamment en écho à Prisunic.

Votre travail de designer est souvent basé sur un jeu de contrastes qui interroge l’objet. Est-ce que cela a aussi été le cas dans cette collection ?

Oui, bien sûr, mais davantage sur la phase d’imagination. Je me suis beaucoup inspiré de l’architecture des villes utopiques, que ce soit The line, l’immense projet controversé dans le désert saoudien avec des formes post-modernes, ou le cinéma de science-fiction évidemment. Je pense à des films comme “2001, L’Odyssée de l’espace” de Stanley Kubrick ou encore “Interstellar” de Christopher Nolan et le robot chromé que l’on y voit. De manière générale, ce sont surtout les objets liés au futur. Mais ce qui est amusant, c’est que l’on peut aussi y voir une certaine résonance avec la vieille vaisselle un peu Art déco, à la Puiforcat, que l’on peut retrouver chez nos grands-parents. La notion de confrontation se trouve surtout dans les époques et dans les styles.

Tabouret ©Jean-Baptiste Fastrez

Sans surprise, cette nouvelle collection est encore extrêmement visuelle de par son matériau. Pourtant, elle semble encore très différente de vos autres créations ? 

Souvent, Monoprix demande aux créateurs de refaire ce qu’ils font habituellement, mais sous le branding de la marque. Je n’avais pas du tout envie de refaire les formes très rondes que l’on m’associe, à l’image du miroir mural Zodiac que j’ai fait pour Moustache en 2021. J’ai donc dû travailler un nouveau visuel. Le temps de développement étant trop court pour faire du verre, j’ai travaillé l’acier. Comme nous sommes globalement tous attirés par ce qui brille, j’ai d’abord réalisé des prototypes avec des vernis de couleurs. C’était une manière de donner un côté silverware à mes pièces. Mais rapidement, on m’a proposé d’utiliser des bains de chrome coloré. C’était quelque chose que je n’avais jamais essayé et j’ai beaucoup aimé le résultat. Des pièces ultra réfléchissantes, qu’on n'a pas l’habitude de voir, un peu comme des miroirs violet, jaune, bleu ou simplement argentés.

Le shooting de la collection est lui aussi assez surprenant. Pouvez-vous nous en dire plus ?

D’habitude, les shootings ont souvent lieu dans des maisons idéales, au bord d’une piscine etc… Nous avons réalisé le nôtre dans le désert des Bardenas dans le nord de l’Espagne. Je me suis dit que changer le cadre changeait la place des objets. C’était donc une manière de rendre la collection plus abstraite. Le désert fonctionnait bien car il faisait écho à mes inspirations, à la vie sur Mars et aux robots d’exploration. C’est d’ailleurs dans cette optique là que les photos ont été réalisées au ras du sol, comme pour donner l’impression qu’il s’agit d’édifices extraterrestres. Et puis cette esthétique chromée en plein milieu d’une zone aride, crée un contraste qui renvoie beaucoup à une vision futuriste selon moi. Ça renforce l’aspect organique et à la fois synthétique des formes qui font l’identité de la collection.

Miroir avec découpe ©Jean-Baptiste Fastrez
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11/9/2025
Riva, la nouvelle famille sportive de Graff

La marque de robinetterie de luxe Graff a lancé en début d’année Riva. Une collection composée de trois modèles librement inspirés des univers du yachting et de l’automobile, comme un écho à l’histoire de la marque.

Et au milieu coule une rivière… ou plutôt le savoir-faire de Graff. Si le parc national de Babia Góra, situé à Jordanów, en Pologne, aurait pu servir de cadre au film sorti en 1992, il abrite depuis 2002 le principal site de production mondiale (hors Etats-Unis) de la marque. Un complexe de 20 000 mètres carrés ou la robinetterie de luxe et la précision des machines côtoient encore aujourd’hui les savoir-faire artisanaux d’autrefois. C’est fort de cet atout que la marque présente cette année la collection Riva inspirée par le yachting et l’automobile de luxe. Un univers avec lequel Graff, née aux Etats-Unis dans le Wisconsin dans les années 70, a quelque temps collaboré en tant que sous-traitant pour la célèbre marque de motos Harley Davidson. Un héritage américain dont elle conserve un goût prononcé pour l’innovation et la recherche, largement assimilé au goût de l’Art décoratif et du design européen.

Riva Chandelier ©Graff

Des inspirations haut de gamme

Si la collection n’a pas nécessairement été imaginée comme un hommage à son passé, la marque - dont le nom tient évidemment au graphite qui compose ses produits - s’inscrit quant à elle dans un certain art de vivre : the Art of bath. Une appellation qui désigne la précision technique et la personnalisation sur mesure des accessoires de bain au service des sens. C’est dans cette lignée esthétique que trois typologies de robinetterie sont nées sous la collection Riva à partir de mars 2025. Destinées tout autant à l'hôtellerie qu’aux réalisations privées haut de gamme, Riva Chandelier, Riva Scala et Riva Wall Mount s’inspirent librement des lignes de l’automobile et l’accastillage des yachts. Un langage commun sophistiqué et technique. S’appropriant notamment les textures propres à ces univers au travers de finitions diamantées, texturées ou obliques, Graff propose également une personnalisation totale grâce aux 26 finitions époxydes, galvaniques ou PVD disponibles.

Riva Scala ©Graff

Des typologies dans l’air du temps

Imaginée pour s’adapter à chaque typologie de salle de bain, Riva se décline aussi sur le plan technique, que ce soit de manière très prégnante, sous forme de suspension rappelant un lustre pour Riva Chandelier ou une motorisation avec Riva Scala, déclinée, avec Riva Wall mount, dans une version murale. Renforcés par l’intégration de LED, les deux modèles suspendus ont été imaginés pour jouer avec les différents modes, qu’il s’agisse d’une fine pluie ou de jets plus puissants. De quoi placer l’objet au centre de l’attention et s’inscrire en parallèle de la tendance des “wet rooms”, ces pièces épurées faisant la part belle au matériel de bain, de sorte à dégager une atmosphère. Un parti-pris largement adopté par la marque et illustré par ce clin d'œil à deux mondes ultra-techniques.

Riva Wall Mount ©Graff
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9/7/2025
Spinning Around, la collection en mouvement de Sophia Taillet

Présentée en exclusivité dans la nouvelle boutique du Grand Palais, la collection Spinning Around de Sophia Taillet allie une approche artistique à un savoir-faire industriel méconnu : la technique du repoussage. Une série colorée et dynamique, à l’image de la designer qui aime mêler les disciplines.

À l’occasion de la réouverture du Grand Palais et de l’inauguration de sa boutique, Sophia Taillet a imaginé une collection exclusive, intitulée Spinning Around. Un projet qui s’inscrit dans la continuité de son travail amorcé avec le Spinning Mirror présenté lors de la Paris Design Week en 2024 et le travail de recherche Time Erosion, mené suite à l’obtention de la bourse « Monde Nouveau » en 2023. Un projet pour lequel elle a exploré duré un an les liens entre design et danse, en collaboration avec des artisans, un danseur et un ingénieur du son. « J’ai voulu interroger le rapport au corps à travers la manipulation d’objets encore en phase de réflexion. Une fois façonnés par l’artisan, ces objets passaient entre les mains du danseur, qui leur donnait une fonction. Je trouvais intéressant d’intégrer d’autres regards que celui du designer dans le processus et de les présenter par le biais d’une performance. » Une représentation s’était tenue à la Fondation Pernod Ricard, où danse et objets cohabitaient en parfaite synergie.

Collection Spinning Around

Associer matière et mouvement dans l’espace

Partie de ce projet symbolique et du Spining Mirror — remarqué lors de la Paris Design Week 2024 et de la Collective Fair de Bruxelles —, cette collection offre différentes déclinaisons qui mêlent à la fois la matière et mouvement. Les pièces sont faites en verre et en métal, les deux matériaux de prédilection de la créatrice, et réalisés à la commande, dans une dizaine de d’exemplaires pour le moment. Entre jeux de matière, de lumière et de formes évolutives en fonction de la disposition et l’espace dans lequel se trouve l’objet, Spinning Around est une collection qui n’est finalement jamais figée. « J’ai voulu créer une sorte de liberté visuelle au sein de laquelle le mouvement donne vie à l’objet. Le fait que les objets bougent permet de créer des effets visuels qu’on n’aurait pas s'ils étaient immobiles » Et pour cette collection, Sophia Taillet a choisit de se pencher sur la technique du repoussage, un savoir faire dont on parle peu mais qui n’en est pas moins intéressante à explorer. « C’est une technique qui n’est pas forcement médiatisée et je trouvais intéressant de la travailler, d’autant qu’avec mon expérience du verre, je ressens un devoir de transmission des savoir et des techniques. »

Collection Spinning Around

Un rendez-vous donné à la rentrée

En septembre, à l’occasion de la Paris Design Week du 4 au 13 septembre et des Journées du Patrimoine les 20 et 21 septembre, Sophia Taillet investira la cour du musée de la Chasse avec une installation cinétique en plein air, pensée comme une « danse silencieuse ». Neuf pièces de Spinning Mirror seront présentées en dialogue avec l’architecture du lieu. Une performance dansée viendra également accompagner l’installation.

Spinning Mirror
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30/6/2025
Avec TA.TAMU, Patrick Jouin fait plier les contraintes

Le studio de design Patrick Jouin iD présente TA.TAMU, une chaise pliable imprimée en un seul bloc. Un défi rendu possible grâce à la collaboration de Dassault Systèmes.

Monobloc et pliable. Radicalement opposées sur le plan structurel, ces deux notions ont pourtant été réunies par le Studio Patrick Jouin iD. Avec son allure squelettique inspirée du corps humain, et ses 3,9 kg, la chaise TA.TAMU a été développée conjointement avec les équipes design de Dassault Systèmes, dirigées par Anne Asensio. Fruit d'un dialogue prospectif entre la créativité humaine et la technologie, l'assise s'inscrit dans la lignée de la famille de meubles Solid, dévoilée en 2004. Une période au cours de laquelle le designer s'intéresse aux logiciels de CAO permettant de concevoir des pièces nouvelles, en rupture avec les techniques industrielles traditionnelles. Une aventure poursuivie en 2010 avec la création du banc Monolithique pour le Palais de Tokyo et imaginé avec le professeur Jacques Marescaux (spécialiste de la chirurgie mini-invasive). Cette période marque les premiers pas du designer dans l'univers du biomimétisme, rapidement assorti du mouvement avec la création de la lampe Bloom et du tabouret One Shot, deux nouveaux paradigmes marquant une nouvelle piste de réflexion pour le designer. Mais c'est véritablement en 2018 et avec l'aide d'Anne Asensio rencontrée au début des années 2000, que le projet se concrétise. Réunis par la passion commune du design et la quête d'optimisation, les deux concepteurs exposent TAMU - qui signifie pliage en japonais - en 2019 à l'occasion du salon de Milan. Une réalisation alors davantage manifeste que réellement fonctionnelle en raison d'un maillage imprimé trop fin et de fait trop fragile. C'est donc après six nouvelles années d'exploration menées sans trahir l'idée de départ, que la version TA.TAMU, comprenez l'art du pliage, a vu le jour.

La chaise TAMU présentée à Milan en 2019 et son tissage numérique extrèmement fin ©Thomas Duval

Une impression laser au cœur de l'énigme

Forte de sa genèse, TA.TAMU demeure avant tout un meuble guidé par deux grands enjeux. D'une part, le besoin d'une assise légère et mobile mais fonctionnelle et d'autre part, le défi d'une pièce imprimable en une fois, sans assemblage. Pour ce faire, le studio a réalisé la chaise en polyamide selon un procédé de frittage de poudre. Une technologie qui consiste à solidifier uniquement certaines parties d'un bloc de poudre grâce à des lasers, permettant l'assemblage d'articulations en une seule pièce. Un choix qui a imposé au studio la réalisation de nombreux prototypes afin de concevoir 33 articulations à la fois facilement pliables mais également résistantes sous le poids d'un corps.

À la fin du processus d'impression, la pièce est extraite du reste de la poudre non solidifiée, puis nettoyée ©Patrick Jouin iD

C'est donc en 2020 que l'aspect définitif de l'armature monobloc composée de 23 pièces a été définie, permettant aux ingénieurs et aux designers de réaliser les surfaces de contact. D'abord imaginée en tension grâce à des câbles, puis en textile technique, l'assise se rapproche finalement de l’armature biomimétique du banc Monolithique développé une quinzaine d'années auparavant. Un positionnement qui donne naissance à une première chaise en mars 2025. Toujours trop fragile, elle est de nouveau analysée par de nombreux logiciels qui repèrent les manques du module et donnent naissance à une seconde version trois semaines plus tard. Le squelette est alors épaissi et certains segments sont ajoutés offrant une version optimisée (photos ci-dessous) et aujourd’hui disponible, comme un clin d'œil ultra-contemporain aux pliages japonais si connus. Si le modèle n'existe qu'en blanc, le studio explore désormais la piste d'une version entièrement réalisée en métal.

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