Donatien Aubert : de la cybernétique à Blade Runner
Donatien Aubert, extrait d'un court-métrage

Donatien Aubert : de la cybernétique à Blade Runner

Artiste et théoricien, Donatien Aubert s’intéresse à la cybernétique et à la façon dont elle continue d’influer sur les transformations actuelles des savoirs, des techniques, mais aussi des imaginaires, politiques, sociaux et culturels. Pour cela, il conçoit des installations hybrides (courts-métrages générés par ordinateur, mais aussi dispositifs interactifs et sculptures) qui font appel au design pour donner forme à ses recherches plastiques. Un processus que l’on peut découvrir en ce moment au CentQuatre, avec son installation Les jardins cybernétiques dans le cadre de l’exposition « Au-delà du Réel » de la Biennale Némo, et dont Donatien Aubert viendra confronter les finalités esthétiques avec les univers croisés de Philip K. Dick et Ridley Scott au cours du week-end thématique Blade Runner les 27 et 28 novembre prochains.


Au cœur du travail de Donatien Aubert, trône la cybernétique. Né outre-Atlantique au cours de la Seconde Guerre mondiale et réunissant des scientifiques issus de disciplines variées (analyse et traitement du signal, robotique, neurologie, psychologie comportementale), ce mouvement a marqué un tournant dans l’histoire des sciences en imbriquant enjeux techniques, scientifiques et industriels, au service de la création d’inventions militaires stratégiques. Avec lui, le scientifique et l’ingénieur ont connu un nouveau rapport de dépendance mutuelle qui a structuré l’idée de technosciences. Plus encore, la cybernétique a contribué à façonner les champs de la robotique, de l’informatique et de ce qu’allait devenir l’intelligence artificielle en construisant une vision organique de la machine. Appelée à fonctionner comme un cerveau humain – via l’ordinateur – ou à adopter des modes de fonctionnement s’inspirant de la biologie animale, la machine a ainsi pu mieux s’intégrer dans notre environnement quotidien pour le transformer. Par ce biais, les trajectoires de recherche ouvertes par la cybernétique ont déferlé sur nos modèles culturels, influençant la philosophie, la littérature, le cinéma ou les arts. Depuis, et comme le dit Donatien Aubert, « l’imaginaire des sociétés technologiquement développées est hanté par les figures de l’automate, du cyborg et du transhumain ».

Donatien Aubert, extrait de court-métrage.

Rendre lisibles la transformation des imaginaires

C’est dans ce creuset que Donatien Aubert inscrit son travail d’artiste et de théoricien. Il cherche à rendre lisibles ces évolutions en mettant en relief les transformations actuelles des savoirs, des techniques, mais aussi des imaginaires politiques, sociaux et culturels. Il crée pour cela des œuvres hybrides où se côtoient court-métrages d’animation, dispositifs interactifs, programmes de réalité virtuelle ou sculptures conçues et fabriquées avec l’assistance d’un ordinateur.

Donatien Aubert, extrait de court-métrage

Une hybridité des supports à la conception et au design très élaborés, où les recherches plastiques s’appuient sur des ressorts perceptifs largement renforcés par les technologies numériques (design génératif, interactivité, immersion), mais qui sont aussi très respectueuses des formes.

Trilogie sur la cybernétique

En 2019, Donatien Aubert a ainsi réalisé l’installation Cybernetics: From 1942 Onwards. Mapping the Constitution of a New Empire, premier volet de sa trilogie sur la cybernétique, qui contextualisait le rôle joué par la cybernétique dans la réorientation des conflits (notamment pendant la guerre froide). Le public était invité à rentrer dans une pièce où étaient disposées six vitrines interactives, surmontée chacune d’une hélice holographique donnant l’illusion que des images solides et animées flottaient dans l’espace d’exposition. En s’approchant des hélices, les spectateurs activaient grâce à des tapis sensitifs la révélation du contenu des vitrines, normalement opaques en leur absence. S’y découvraient alors des images d’archives sérigraphiées sur métal (provenant d’archives militaires ou de représentations liées à l’imaginaire du cyborg), des écrans LCD diffusant des animations générées par ordinateur, et des impressions 3D. Des éléments qui entraient en résonance avec le film projeté dans la même salle, où pointaient quelques moments marquants de l’histoire des transferts entre la cybernétique et la prospective militaire américaine (du développement des arsenaux nucléaires au sein du projet Manhattan pendant la Seconde guerre mondiale à la plus récente circulation de l’imaginaire transhumaniste dans les institutions outre-Atlantique liées à la Défense). Si l’idée était de montrer qu’une part importante des imaginaires liés à la culture numérique a malheureusement des connotations militaristes, son rapport à la mise en scène du dispositif et à la fabrication de l’objet fascinait tout autant.

Donatien Aubert, extrait de court-métrage.

Des jardins cybernétiques à Blade Runner

Car quoi de plus normal, quand on s’intéresse comme lui à la fonctionnalisation du monde, que d’être attentif au design de l’objet et du dispositif ? C’est bien entendu encore le cas dans sa nouvelle installation et deuxième volet de sa trilogie, Les jardins cybernétiques, présentée au Centquatre dans le cadre de l’exposition Au-delà du Réel de la Biennale Némo, et qui traduit plutôt bien l’ambivalence toute cybernétique du rapport entre le vivant et la machine. On peut notamment y découvrir Disparues, un bouquet de fleurs réunissant cinq espèces végétales éteintes entre l’avènement de la révolution industrielle et le XXIe siècle, imprimées en 3D par frittage de poudre. Modélisé à partir d’estampes botaniques ou de photographies, ce bouquet donne selon Donatien Aubert, « une forme concrète, un peu morbide, aux phénomènes d’anxiété impliqués par l’érosion de la biodiversité – la solastalgie – par la crainte que l’environnement que nous connaîtrons sera plus dégradé qu’il ne l’est déjà ». Plus impressionnantes encore sont ses Chrysalides, des dispositifs électroniques abritant des végétaux et diffusant des sons de nature (pépiements d’oiseaux, chants d’insecte, bruit de l’eau ou du vent) en l’absence de visiteurs. Lorsque quelqu’un s’approche, ces bruits rassurants sont progressivement grignotés par une trame sonore électronique anxiogène. Mais paradoxalement, cette trame s’interrompt quand le visiteur se rapproche au plus près. Les Chrysalides diffusent alors de la musique. « L’industrie a contribué à détruire les milieux de nombreuses espèces vivantes », explique Donatien Aubert. « Mais, réciproquement des techniques relativement récentes telles que l’hydroponie, l’aéroponie et l’éventail complet des instruments de l’agroécologie nous autorisent aujourd’hui à faire croître des végétaux à des rendements jusqu’ici inégalés et de façon harmonieuse. Les caractéristiques formelles des Chrysalides renvoient à cette ambiguïté essentielle dans notre rapport toujours plus instrumental au monde et à l’environnement. »

Ce rapport ambigu se prolonge évidemment dans le court-métrage éponyme de l’installation, où l’ambivalence des rapports entre cybernétique et écologie transparaît aussi, par exemple lorsqu’on remonte à l’origine des données météorologiques, première source d‘information du changement climatique. « Les premières simulations climatiques ont été réalisées à partir d’un ordinateur de Stanford conçu par John von Neumann, l’une des figures principales de la cybernétique », explique Donatien Aubert. « Or, cet ordinateur n’avait pas été fabriqué au départ à des fins pacifiques, mais pour prévoir la répartition des ondes de chocs produites par l’explosion des premières bombes nucléaires. La connaissance des mécanismes de régulation climatique nous est donc venue primitivement des travaux réalisés sur la maîtrise militaire de l’atome. » Le film d’animation expose également la façon dont les architectes et urbanistes se sont emparés de l’imaginaire cybernéticien pour imaginer des villes en relation osmotique avec le vivant. Dans les années 60/70, dans le sillage des projets de ville-continent de Yona Friedman ou des projets de villes mobiles de Ron Herron (membre du groupe Archigram), les ambitions semblent encore radicales et démesurées. Mais on s’aperçoit aujourd’hui que ces projets un peu fous ont inspiré des démarches contemporaines d’écoconception ou des mouvements architecturaux – comme l’architecture morphogénétique, avec ses bâtiments d’apparence biologique, pensés par des architectes comme Achim Menges – qui se réalisent concrètement.

''Les Jardins cybernétiques'' de Donatien Aubert, à voir dans l'exposition ''Au-delà du réel'' dans le cadre de la Biennale internationale d'arts numériques au CentQuatre. Jusqu'au 2 janvier.

Alors utopie ? Ou dystopie ? Même si Donatien Aubert a beau dire que « le futur des sociétés humaines n’est pas écrit », son regard critique sur les imaginaires d’inspiration science-fictionnelle des figures de la haute technologie actuelle de la Silicon Valley que sont Jeff Bezos, Elon Musk ou Mark Zuckerberg nous appâtent évidemment à l’annonce de sa participation au week-end thématique Blade Runner, les 27 et 28 novembre, toujours au Centquatre. Il y interviendra sur deux tables rondes : « Hybridité : étude des dispositifs narratifs et visuels des films Blade Runner », où il discutera de l’apport esthétique de Douglas Trumbull, le designer des effets spéciaux du film de 1982, et sur comment ses choix ont orienté plus généralement les codes visuels du « tech-noir » ; et « La transformation des corps, des conduites et de l’environnement, au prisme de la cybernétique et de la géoingénierie », où il parlera êtres artificiels, automatisation des conduites et colonisation spatiale. « Notre réalité n’est peut-être pas aussi ductile que celle de l’univers de Philip K. Dick ou du film de Ridley Scott, mais Blade Runner a cependant admirablement anticipé certaines réalités contemporaines », reconnaît Donatien Aubert. « Les vues de Los Angeles dissoutes dans d’épaisses fumerolles ne sont pas sans rappeler l’apparence apocalyptique de certaines mégalopoles aujourd’hui, lors de pics de pollution. Et puis, en mettant en doute la réalité du libre arbitre, en jugeant sa compréhension inutile pour permettre la description de la conscience, le cadre d’interprétation mécaniste fourni par les cybernéticiens ne nous a-t-il déjà pas rendus assimilables à des machines ? Saurons-nous déjouer ces dangereuses simplifications ? »

Dans le cadre de la Biennale internationale des arts numériques Nemo de la région d’Ile-de-France

Week-end « Blade  Runner » les samedi 27 et dimanche 28 novembre au CentQuatre : Conférences et tables rondes, documentaires,  VR et nouveau concert audiovisuel de Franck Vigroux et Antoine Schmitten avant-première. Parmi les sujets abordés : l’esthétique de l’artificiel, les descendants de Blade Runner, son influence sur le théâtre, la bande dessinée, le cyberpunk, le jeu vidéo, la cybernétique, l’urbanisme, le transhumanisme… Et bien sûr, l’empathie, cette émotion invisible de plus en plus difficile à discerner, alors qu’elle est censée différencier l’humain de l’androïde.

Exposition « Au-delà du réel » jusqu’au 2 janvier au CentQuatre ( cf « Vers une perception au-delà du réel? », Intramuros 209)

Rédigé par 
Laurent Catala

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18/7/2025
Concours Technogym x Intramuros : les Candidatures sont ouvertes !

En partenariat avec Intramuros, Technogym lance un concours pour imaginer l’avenir du fitness à domicile. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 29 août.

Sous le titre évocateur « La Home Gym du Futur », Technogym — marque reconnue pour ses équipements de fitness haut de gamme - lance un concours inédit. Cette initiative vise à mettre en valeur les talents émergents tout en encourageant des idées novatrices, durables et inclusives. En s’appuyant sur les besoins actuels en matière de pratique sportive et en anticipant les évolutions à venir, les participants sont invités à imaginer leur vision de l’entraînement à domicile de demain.

Un jury XXL pour cette première édition

Pour juger les différentes propositions des candidats au concours, les équipes d’Intramuros et de Technogym pourront compter sur l’expertise de 4 professionnels du secteur :

  • Le designer Patrick Jouin (studio Patrick Jouin iD)
  • Natacha Froger (agence atome associés)
  • L’architecte d’intérieur Ana Moussinet (Ana Moussinet Interiors)
  • L’architecte et designer Jean-Philippe Nuel (studio Jean-Philippe Nuel)

Après une délibération des membres du jury le 2 septembre prochain pour sélectionner les finalistes, les projets retenus seront mis en avant sur les réseaux sociaux et présentés au sein de la boutique Technogym pendant  Paris Design Week du 4 au 13 septembre.


Ce concours est l’opportunité pour les jeunes créateurs de faire valoir leur créativité et de gagner en visibilité. En effet, en plus de voir leur projet exposer pendant Paris Design Week, les finalistes pourront profiter de la communication via les canaux de Technogym, Intramuros, NDA et BED et pourront enrichir leur réseau lors de la remise des prix qui aura lieu le 17 septembre prochain. Le lauréat remportera 4 500 € de produits Technogym et vivra une expérience exclusive au Technogym Village à Cesena, en Émilie-Romagne (Italie), aux côtés du jury.

Une démarche d’inscription simple

Pour participer, les candidats devront proposer un brief complet avec un concept design, des planches graphiques et une note descriptive détaillée. Les dossiers devront être envoyés par email à l’adresse suivante : concourstechnogym@intramuros.fr

Tous les documents essentiels relatifs au concours sont disponible vie CE LIEN.

En cas de besoin et demandes spécifique, les candidats peuvent contacter le Technogym Interior Design Service, via Daniela D’Errico à l’adresse : dderrico@technogym.com ainsi que Yanis Aimetti, yaimetti@technogym.com pour le Technogym Marketing support & infos produit.

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9/7/2025
Spinning Around, la collection en mouvement de Sophia Taillet

Présentée en exclusivité dans la nouvelle boutique du Grand Palais, la collection Spinning Around de Sophia Taillet allie une approche artistique à un savoir-faire industriel méconnu : la technique du repoussage. Une série colorée et dynamique, à l’image de la designer qui aime mêler les disciplines.

À l’occasion de la réouverture du Grand Palais et de l’inauguration de sa boutique, Sophia Taillet a imaginé une collection exclusive, intitulée Spinning Around. Un projet qui s’inscrit dans la continuité de son travail amorcé avec le Spinning Mirror présenté lors de la Paris Design Week en 2024 et le travail de recherche Time Erosion, mené suite à l’obtention de la bourse « Monde Nouveau » en 2023. Un projet pour lequel elle a exploré duré un an les liens entre design et danse, en collaboration avec des artisans, un danseur et un ingénieur du son. « J’ai voulu interroger le rapport au corps à travers la manipulation d’objets encore en phase de réflexion. Une fois façonnés par l’artisan, ces objets passaient entre les mains du danseur, qui leur donnait une fonction. Je trouvais intéressant d’intégrer d’autres regards que celui du designer dans le processus et de les présenter par le biais d’une performance. » Une représentation s’était tenue à la Fondation Pernod Ricard, où danse et objets cohabitaient en parfaite synergie.

Collection Spinning Around

Associer matière et mouvement dans l’espace

Partie de ce projet symbolique et du Spining Mirror — remarqué lors de la Paris Design Week 2024 et de la Collective Fair de Bruxelles —, cette collection offre différentes déclinaisons qui mêlent à la fois la matière et mouvement. Les pièces sont faites en verre et en métal, les deux matériaux de prédilection de la créatrice, et réalisés à la commande, dans une dizaine de d’exemplaires pour le moment. Entre jeux de matière, de lumière et de formes évolutives en fonction de la disposition et l’espace dans lequel se trouve l’objet, Spinning Around est une collection qui n’est finalement jamais figée. « J’ai voulu créer une sorte de liberté visuelle au sein de laquelle le mouvement donne vie à l’objet. Le fait que les objets bougent permet de créer des effets visuels qu’on n’aurait pas s'ils étaient immobiles » Et pour cette collection, Sophia Taillet a choisit de se pencher sur la technique du repoussage, un savoir faire dont on parle peu mais qui n’en est pas moins intéressante à explorer. « C’est une technique qui n’est pas forcement médiatisée et je trouvais intéressant de la travailler, d’autant qu’avec mon expérience du verre, je ressens un devoir de transmission des savoir et des techniques. »

Collection Spinning Around

Un rendez-vous donné à la rentrée

En septembre, à l’occasion de la Paris Design Week du 4 au 13 septembre et des Journées du Patrimoine les 20 et 21 septembre, Sophia Taillet investira la cour du musée de la Chasse avec une installation cinétique en plein air, pensée comme une « danse silencieuse ». Neuf pièces de Spinning Mirror seront présentées en dialogue avec l’architecture du lieu. Une performance dansée viendra également accompagner l’installation.

Spinning Mirror
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10/7/2025
Drift chair ou la justesse des lignes

Le studio BrichetZiegler et Théorème Éditions se sont associés pour créer la Drift chair. Une chaise très graphique portée par des lignes fines au service de l'équilibre.

Comme pour chacune de leurs collaborations, David et Jérôme, les fondateurs de Théorème Éditions, dont la galerie eponyme est située sous les arcades du Palais Royal, se sont tournés vers un studio avec une demande : créer un objet sculptural, architectural et monolithique. Un triptyque dans l'air du temps que le studio BrichetZiegler, convié pour l'occasion, a naturellement retranscrit sur une chaise. Une pièce que le duo de créateurs affectionne particulièrement en raison de son échelle. « Une chaise est une surface parfaite car sa dimension permet de s’exprimer de façon sculpturale et plastique tout en abordant les aspects techniques d’un objet qui soutient le corps. » Un terrain de jeu idéal donc, autour duquel les designers ont imaginé une pièce « fonctionnelle et confortable pour dîner, portée par un dessin et une présence visuelle forte. »

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud

Un jeu d'équilibre

Développée en à peine un an et demi avec le savoir-faire d'un menuisier installé à Pantin, la Drift chair – que nous pourrions interpréter par « chaise qui plane » - tire son nom de son assise en porte-à-faux. Supportée par deux planches latérales en guise de pieds, l'assise joue sur l'alternance des pleins et des vides pour offrir, de côté, tout le poids visuel de sa structure, et de face une certaine frugalité structurelle. Deux sensations renforcées par l'utilisation de courbes au niveau des zones de contact pour des questions de confort, mais aussi dans les angles. Une manière d'apporter de la fluidité à cet assemblage égayé par une galette aimantée en cuir lisse ou en tissu Kvadrat choisi par la galerie. En dessous, la surface à bois a été ajourée de manière à diminuer le poids de la chaise – déjà de 7,5kg – et solidifier la structure pour éviter qu'elle ne vrille.

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud

Proposée en chêne et en noyer, la Drift chair est disponible dans une version cérusée où le veinage naturel du bois devient porteur d'un monochrome très graphique. Une alternative utilisée par Joseph Hoffmann dès les années 30 et désormais réinterprétée avec goût par le studio BrichetZiegler.

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud
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9/7/2025
À la CFOC, six décennies d'exploration

Créée par François Dautresme en 1965, la Compagnie Française de l'Orient et de la Chine (CFOC) fête ses 60 ans. À cette occasion, Valérie Mayéko Le Héno, architecte DPLG et directrice artistique depuis 2016, évoque les évolutions de cette société indissociable des savoir-faire asiatiques.

Voyageur passionné et aventurier en quête de nouveautés, François Dautresme a fondé la CFOC en 1965. Quelle place occupe aujourd'hui son héritage dans l'identité de la marque ?

En tant que directrice artistique de la marque depuis 2016, je crois pouvoir dire que la manière dont nous travaillons est assez proche du concept de départ puisque nous continuons de voyager beaucoup à travers l'Asie. C'est important de garder un pied dans cette zone, où se trouve une douzaine de pays avec lesquels nous collaborons, mais aussi au-delà – en Italie pour l'édition textile, au Maroc pour les éponges et la broderie, au Portugal pour le travail de l'acier et des couverts, et au Mexique pour la fibre de palme -, car ce que nous cherchons, c'est avant tout un savoir-faire particulier ou de nouvelles techniques. Nous partageons de fait la passion de l'artisanat, mais aussi le plaisir de trouver des ateliers familiaux, des petites structures. Cette notion est très importante pour nous, car depuis 1965, l'idée est de valoriser des produits manufacturés. À travers ça, l'héritage principal est sans doute celui d'être du contact.

Tapis Ombrelle Sépia ©CFOC

La place du geste est donc véritablement importante au sein de la CFOC, mais comment concilier les savoir-faire anciens et asiatiques avec les besoins des consommateurs européens ?

Il y a longtemps eu un gap entre nos deux régions. Il y a encore une quinzaine d'années, les arts de la table en Chine se limitaient majoritairement à des bols et à des baguettes tandis qu'il était coutume de s'asseoir proche du sol en Asie alors nous avions tendance à nous asseoir de plus en plus haut en Europe. Il a donc fallu adapter tout cela à nos usages. Dès les années 90, à l'époque où la CFOC proposait principalement du mobilier chiné, souvent aux Puces de Pékin, François Dautresme a commencé à dessiner des éléments destinés au marché français. Un premier pas que nous avons complètement généralisé en 2011-2012, en insufflant à la compagnie alors en perte de vitesse, une nouvelle vision davantage adaptée à nos modes de vie, aux usages.

Collection Lotus ©CFOC

Et comment cela se traduit-il en termes de création ?

Nous avons voulu faciliter l'échange de regard entre l'Europe et l'Asie. Un bureau de style est ainsi né à Paris. Nous y travaillons à deux pour ce qui est de la conception design, plus une troisième personne chargée de la production. Celle-ci est principalement basée en Asie, car nous n'avons pas d'intermédiaire, et c'est elle qui nous permet de développer des produits sur le long terme – généralement entre 4 et 10 mois – et d'entretenir des relations pérennes avec les ateliers pour ne pas être sur du one-shot. Pour la majorité d'entre eux, notre collaboration oscille entre 8 et 10 ans, et c'est ce qui nous permet de pousser les savoir-faire et développer de nouveaux produits.

Table basse ultra noir en chêne teinté ©CFOC

L'une des richesses de la CFOC, c'est également l'étendue des matériaux travaillés. Comment les réinvente-t-on pour ne pas tourner en rond au bout de 60 ans ?

En fait, la question est surtout technique. Ce sont généralement des déclinaisons. Par exemple pour la laque, dans les années 50 à 70, on ne trouvait que des couleurs naturelles. Progressivement, on a évolué vers des colorants alimentaires pour diversifier les teintes, sans pour autant perdre le savoir-faire ancestral à base de sève de laquier. Cette année, nous proposons par exemple deux nouvelles couleurs, le bleu jun et l'ambre jun que nous avons travaillé avec notre coloriste basé dans un village près de Hanoï, au Vietnam. Pour ce qui est du tissu, la CFOC évolue notamment en passant de fibres naturelles à des fibres textiles pour répondre à des besoins spécifiques. C'est le cas de notre tapis tressé Kilim (une technique indienne) où le jute est remplacé par de la laine.

Lampe de chevet Naméko en porcelaine et laiton et courtepointe Samarcande en velours de soie et lin ©CFOC

De manière plus précise, comment avez-vous pensé la collection anniversaire ?

Elle a été guidée par une démarche en quelque sorte historique. J'ai réuni les origines de la CFOC en me replongeant dans de vieux articles de presse, des archives photographiques des anciennes boutiques et leurs vitrines aux scénographies imaginées par François Dautresme, mais aussi des produits dans les catalogues de vente. Bref, je me suis immergé dans la riche histoire de la société et j'ai confronté le passé et le présent. C'est ça qui m'a amené à développer la forme des ombrelles pour nos tapis, le concept de naturalité, le travail du pojagi – une méthode de couture que l'on peut rapprocher du patchwork -, le velours de soie que l'on retrouve sur les contrepointes Samarcande travaillées avec du lin par des artisanes brodeuses, sans oublier la réédition d'objets dans le rouge CFOC. Tous ces axes nous ont permis de créer des pièces en série limitées ou numérotées.

Tabourets signature en coloris bleu jun, verveine et blanc ©CFOC

Sur le plan commercial, la CFOC s'est progressivement ouverte au B2B. Qu'est-ce que cela a changé dans votre approche et quels sont les prochains défis à venir ?

Effectivement ! Depuis plusieurs années, nous développons le B2B pour proposer nos services des chefs ou des établissements hôteliers. C'est une autre manière de voir les choses. L'un de nos projets significatif est certainement la réalisation de pièces sur mesure pour l'hôtel SO/ Paris réalisé par le cabinet RDAI et livré en 2022. Parallèlement à ces nouveaux marchés, nous souhaitons également développer notre notoriété et étendre notre réseau aujourd’hui composé de trois boutiques sur Paris et de revendeurs en région. Nous réfléchissons donc à ouvrir un nouveau showroom ou des pop-ups store dans des zones balnéaires.

Plateau haut Étamine ©CFOC
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