La ville du quart d'heure selon Carlos Moreno

La ville du quart d'heure selon Carlos Moreno

Cofondateur et directeur scientifique de la chaire Entrepreneuriat, Territoire, Innovation (ETI) et conseiller scientifique de la ville de Paris, Carlos Moreno défend un concept de la ville du quart d’heure, un concept de quartiers complets repris par le réseau mondial des grandes villes et mégalopoles engagées pour le climat. Une réflexion qui s’inscrit dans la nouvelle mission prospective du  FRENCH DESIGN 2059  (le FRENCH DESIGN by VIA), à retrouver dans le nouveau numéro d’Intramuros.


« La forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le coeur d’un mortel, cite Carlos Moreno en reprenant Baudelaire. Mais moi, j’enlève le “ hélas !”. La ville peut se transformer rapidement pour devenir plus habitable et moins polluante. » Le poète se plaignait des bouleversements alors réalisés par Haussmann dans la capitale. Le cofondateur et directeur scientifique de la chaire Entrepreneuriat, Territoire, Innovation (ETI) appelle de ses voeux une métamorphose rapide, aidé maintenant par le choeur de tous ceux qui se sont rendu compte qu’ils étaient mortels avec la pandémie de Covid-19. Le 15 juillet 2020, son concept de ville du quart d’heure a été adopté, par le C40 Cities Climate Leadership Group – le réseau mondial des grandes villes et mégalopoles engagées pour le climat qu’Anne Hidalgo a présidé de 2016 à 2019 – comme « clé de  voûte pour la relance postpandémie », explique le chercheur en visio derrière son écran. Au programme, chrono-urbanisme, chronotopie et topophilie… pour une ville polycentrique et moins gouvernée par la voiture.

Dans son livre blanc, le C40 définit ainsi son nouvel agenda pour « Une relance verte et juste » : « Nous mettons en œuvre des politiques d’urbanisme visant à promouvoir la “ville du quart d’heure” (ou “quartiers complets”) en tant que cadre pour la relance, dans lequel tous les habitants de la ville sont en mesure de satisfaire la plupart de leurs besoins à une courte distance à pied ou à vélo de leur domicile. La présence d’équipements de proximité, tels que de centres de soin, des écoles, des parcs, des points de restauration, des commerces de première nécessité et des bureaux, ainsi que la numérisation de certains services, permettront cette transition. Pour y parvenir dans nos villes, nous devons créer un environnement réglementaire qui encourage un zonage inclusif, un développement à usage mixte et des bâtiments et des espaces flexibles ». Cette profession de foi, l’entrée en matière du chapitre « Santé et bien-être », était improbable il y a peu.

© Mathieu Delmestre

La crise sanitaire, accélérateur du changement

Quand, en 2016, Carlos Moreno spécialiste des villes numériques durable et professeur associé à l’Institut d’administration des entreprises de Paris (Sorbonne business school) publie un article dans La Tribune intitulé « La ville du quart d’heure : pour un nouveau chrono-urbanisme », peu de lecteurs croient à ses propositions, où pire. « À cette époque, tout le monde m’est tombé dessus », se souvient le chercheur. Mais l’idée finit par séduire d’autant que la crise sanitaire a donné à ce concept d’hyper-proximité une réalité inattendue.

Alors qu’avec la crise sanitaire la plupart des activités se sont recentrées autour du logement, l’organisation d’une ville du quart d’heure est devenue immédiatement perceptible. Le télétravail, qui paraissait une utopie – pour le pire ou le meilleur – ou une hérésie est devenue une norme. En moins d’un an et partout dans le monde, les pistes cyclables se sont multipliées, nombres de places de parking se sont transformées en terrasse de café et de restaurant. Si ces transformations urbaines ne sont pas encore pérennisées, les voix qui réclament un retour à la situation précédente restent minoritaires. Les tensions provoquées par les nuisances sonores ou visuelles dues à la multiplication des terrasses peuvent, par exemple, nécessiter la mise en place de nouvelles règles et l’apprentissage d’un autre usage de la rue en commun.

Elles peuvent aussi inviter à l’innovation de la part des fabricants de mobilier urbain : à quand des auvents mobiles acoustiques qui assourdiraient les bruits des conversations tout en protégeant de la pluie et du soleil ? Des questions se posent toujours : comment limiter les transits sans créer des zones d’entre-soi ? Comment accueillir les non-résidents ? Tous ces Franciliens, concernant Paris, qui viennent travailler pour la journée ? La multiplication des contraintes ne suffira pas à produire des changements acceptés par tous, il faut aussi produire des solutions à la fois politiques et ergonomiques pour faciliter l’acceptation des transformations.

Changer les modes de vie plutôt que la ville : le chrono-urbanisme

Reste que la conscience du bouleversement climatique et, surtout, la nécessité de faire évoluer nos modes de vie paraît acquise. Spécialiste de l’étude des systèmes complexes et dans le développement des processus d’innovation, Carlos Moreno a commencé à travailler sur la ville numérique durable (les prémices de la smart-city), avant de délaisser les expérimentations qui n’étaient jamais déployées à l’échelle pour proposer un cadre à la fois synthétique et ouvert aux édiles des villes pour mener une nouvelle politique urbaine. L’idée principale ? « Non pas changer la ville, mais changer nos modes de vies dans la ville », explique-t-il. Comment ?

En s’interrogeant d’abord « sur ce que la ville propose aux habitants pour l’usage de leurs temps de vie, en faisant son ontologie ». À la question qu’est-ce qu’une ville ? Le chercheur répond par six fonctions sociales urbaines indispensables : pouvoir se loger, produire, se soigner, s’approvisionner, apprendre et s’épanouir. Et propose, pour les réunir, d’arrêter de fragmenter les espaces par fonction pour développer une ville polycentrique, rhizomique grâce au chrono-urbanisme. Soit promouvoir une nouvelle temporalité urbaine, mise en place en fonction des besoins des habitants.

The 15 minute Paris © Micael

Réduire les déplacements contraints, donner du temps

À rebours d’un Le Corbusier qui écrivait, en 1924, dans Urbanisme que « la ville qui dispose de la vitesse dispose du succès », Carlos Moreno s’emploie à la fois à réduire la vitesse et les distances. « Avant, les activités essentielles étaient éloignées des habitants car on avait les voitures, les transports. La formules au coeur de nos vies était : aller plus vite, aller plus loin, » détaille le chercheur. Le tout conduisant à une organisation urbaine selon les préceptes de la Charte d’Athènes, écrite quelques années après en 1931, qui découpe l’espace en zones de travail, d’administration, de commerce, de logement… puisque les transports, toujours plus efficaces et rapides, devaient permettre de relier l’ensemble avec fluidité et efficacité. Un modèle qui a fait son temps.

Après le secteur résidentiel et tertiaire (du fait du chauffage et maintenant de la clim et de la mauvaise isolation), c’est le transport qui est le principal contributeur au réchauffement climatique. Le limiter apparaît comme une évidence à Carlos Moreno lors de la COP21 et sa participation en marge du sommet des États, à la réunion de 700 maires des grandes villes du monde le 4 décembre 2015. Leur objectif est en effet ambitieux : réduire de 80 % les émissions de carbone d’ici 2050. Il faut agir vite. Pour lui, la réduction du trafic, déjà en cours dans nombre de grande ville malgré les résistances doit s’accélérer. Mais au-delà des contraintes, il faut aussi proposer un objectif enviable. « Beaucoup de ces déplacements ne sont pas utiles, la plupart sont contraints. Mon idée de départ était donc celle d’une mobilité choisie : la démobilité », raconte le chercheur qui fait alors le pari de la proximité et du temps choisi et déploie l’idée de la ville du quart d’heure et ses services d’hyper-proximité.

Depuis 2020, à Milan le conseil municipal s’engage ainsi à garantir la proximité de tous les services essentiels, encourager le télétravail et ouvrir 35 kilomètres supplémentaires de pistes cyclables quant Portland, qui poursuit son plan de 2012 à horizon 2030 pour garantir à 90 % de sa population l’accès à tous ses besoins – hors travail –, a déjà transformé 150 kilomètres de ses rues en « rues vertes » avec des nouveaux logements accueillant des commerces et services au rez-de-chaussée et apportant calme et ombre aux citoyens.

À Paris, la mairie veut « ajouter des bureaux et des centres de coworking et encourage le travail à distance, afin que les gens puissent travailler en toute sécurité plus près de chez eux ou chez eux. Il est également essentiel d’étendre l’utilisation des équipements existants : utiliser les bibliothèques et les stades en dehors des heures normales, utiliser les boîtes de nuit comme salles de sport pendant la journée ou faire des écoles des parcs et des espaces de jeu pendant le week-end. L’écologisation fait partie de l’initiative : ajouter des espaces verts aux espaces publics existants, créer de nouveaux parcs et forêts urbaines et établir de nouveaux jardins pour l’agriculture urbaine. La limitation des voitures, par exemple, à proximité des écoles au moment de leur ouverture et de leur fermeture, rendra les déplacements à pied et à vélo plus sûrs. La ville encouragera également les entreprises locales, les espaces et les lieux de partage et d’échange afin de favoriser l’essor des entreprises locales existantes. »

Grand Paris vert © Micael

Mobiliser l’existant 24h/24 : la chronotopie

Dans la capitale française, l’ouverture le week-end d’une dizaine de cours d’écoles et de collège à la population locale, mise en place en janvier 2021 a déjà été élargie à 36 établissements supplémentaires en mai. Une illustration du concept de chronotopie qui doit désormais lier chaque lieu (topos) public à un temps (chronos) d’usage et non plus à une unique fonction. Selon les jours et les heures, ou même les saisons, sa destination évolue : d’établissement d’enseignement le jour et la semaine, il devient espace commun le week-end et pendant les vacances, pour accueillir diverses activités. Dans une ville toujours plus dense, « il faut concentrer les activités. En utilisant l’existant, en le mobilisant suivant le temps », répète Carlos Moreno qui explique avoir délaissé « la mise en place de petits tests avec des démonstrateurs pour la smart-city qui ne passaient jamais à l’échelle pour une approche paradigmatique qui réclame de comprendre les ressorts des changements indispensables à mettre en oeuvre. À ce titre, la réforme territoriale qui octroie plus de pouvoir aux maires des quartiers permet de mieux répondre aux besoins des citoyens et d’engager la concertation. » Le professeur prône une révision des Plan local d’urbanisme (PLU) de la ville, en fonction de cette thématique, et d’une flexibilité plus grande de la ville à considérer comme un organisme vivant. L’urbanisme transitoire permet ainsi d’occuper un lieu de friche le temps d’expérimenter ou de lui trouver une nouvelle destination.

Topophilie et verdure

« Nous avons besoin de villes apaisées et non de tourbillons, soutient Carlos Moreno. Les villes sont en première ligne pour accroitre ou non notre capacité de survivre au réchauffement climatique. » Pour cela, augmenter l’utilisation des bâtiments ne suffit pas. Encore faut-il que les habitants se sentent bien dans une ville plus compacte, toujours plus dense. C’est ici qu’entre en jeu la topophilie, ou l’attachement au lieu. L’exode, pendant les confinements, des populations les mieux loties vers les campagnes ou les villes moyennes a révélé – s’il en était besoin – l’importance d’un accès aux espaces verts et à des lieux plus réconfortants. « Les études montre qu’une ville dense qui a su intégrer le végétal dans son aménagement limite les “déplacements échappatoires”, souligne le scientifique. La nature, l’eau, la biodiversité doivent être mieux pris en compte. » De plus, l’appropriation des lieux, l’implication des usagers dans la fabrication et la vie de leur environnement permet une durabilité plus grande de ceux-ci. On fait plus attention à ce qu’on aime. La ville du quart d’heure est aussi une ville qui soigne les relations.

Rédigé par 
Soizic Briand

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18/7/2025
Concours Technogym x Intramuros : les Candidatures sont ouvertes !

En partenariat avec Intramuros, Technogym lance un concours pour imaginer l’avenir du fitness à domicile. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 29 août.

Sous le titre évocateur « La Home Gym du Futur », Technogym — marque reconnue pour ses équipements de fitness haut de gamme - lance un concours inédit. Cette initiative vise à mettre en valeur les talents émergents tout en encourageant des idées novatrices, durables et inclusives. En s’appuyant sur les besoins actuels en matière de pratique sportive et en anticipant les évolutions à venir, les participants sont invités à imaginer leur vision de l’entraînement à domicile de demain.

Un jury XXL pour cette première édition

Pour juger les différentes propositions des candidats au concours, les équipes d’Intramuros et de Technogym pourront compter sur l’expertise de 4 professionnels du secteur :

  • Le designer Patrick Jouin (studio Patrick Jouin iD)
  • Natacha Froger (agence atome associés)
  • L’architecte d’intérieur Ana Moussinet (Ana Moussinet Interiors)
  • L’architecte et designer Jean-Philippe Nuel (studio Jean-Philippe Nuel)

Après une délibération des membres du jury le 2 septembre prochain pour sélectionner les finalistes, les projets retenus seront mis en avant sur les réseaux sociaux et présentés au sein de la boutique Technogym pendant  Paris Design Week du 4 au 13 septembre.


Ce concours est l’opportunité pour les jeunes créateurs de faire valoir leur créativité et de gagner en visibilité. En effet, en plus de voir leur projet exposer pendant Paris Design Week, les finalistes pourront profiter de la communication via les canaux de Technogym, Intramuros, NDA et BED et pourront enrichir leur réseau lors de la remise des prix qui aura lieu le 17 septembre prochain. Le lauréat remportera 4 500 € de produits Technogym et vivra une expérience exclusive au Technogym Village à Cesena, en Émilie-Romagne (Italie), aux côtés du jury.

Une démarche d’inscription simple

Pour participer, les candidats devront proposer un brief complet avec un concept design, des planches graphiques et une note descriptive détaillée. Les dossiers devront être envoyés par email à l’adresse suivante : concourstechnogym@intramuros.fr

Tous les documents essentiels relatifs au concours sont disponible vie CE LIEN.

En cas de besoin et demandes spécifique, les candidats peuvent contacter le Technogym Interior Design Service, via Daniela D’Errico à l’adresse : dderrico@technogym.com ainsi que Yanis Aimetti, yaimetti@technogym.com pour le Technogym Marketing support & infos produit.

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9/7/2025
Spinning Around, la collection en mouvement de Sophia Taillet

Présentée en exclusivité dans la nouvelle boutique du Grand Palais, la collection Spinning Around de Sophia Taillet allie une approche artistique à un savoir-faire industriel méconnu : la technique du repoussage. Une série colorée et dynamique, à l’image de la designer qui aime mêler les disciplines.

À l’occasion de la réouverture du Grand Palais et de l’inauguration de sa boutique, Sophia Taillet a imaginé une collection exclusive, intitulée Spinning Around. Un projet qui s’inscrit dans la continuité de son travail amorcé avec le Spinning Mirror présenté lors de la Paris Design Week en 2024 et le travail de recherche Time Erosion, mené suite à l’obtention de la bourse « Monde Nouveau » en 2023. Un projet pour lequel elle a exploré duré un an les liens entre design et danse, en collaboration avec des artisans, un danseur et un ingénieur du son. « J’ai voulu interroger le rapport au corps à travers la manipulation d’objets encore en phase de réflexion. Une fois façonnés par l’artisan, ces objets passaient entre les mains du danseur, qui leur donnait une fonction. Je trouvais intéressant d’intégrer d’autres regards que celui du designer dans le processus et de les présenter par le biais d’une performance. » Une représentation s’était tenue à la Fondation Pernod Ricard, où danse et objets cohabitaient en parfaite synergie.

Collection Spinning Around

Associer matière et mouvement dans l’espace

Partie de ce projet symbolique et du Spining Mirror — remarqué lors de la Paris Design Week 2024 et de la Collective Fair de Bruxelles —, cette collection offre différentes déclinaisons qui mêlent à la fois la matière et mouvement. Les pièces sont faites en verre et en métal, les deux matériaux de prédilection de la créatrice, et réalisés à la commande, dans une dizaine de d’exemplaires pour le moment. Entre jeux de matière, de lumière et de formes évolutives en fonction de la disposition et l’espace dans lequel se trouve l’objet, Spinning Around est une collection qui n’est finalement jamais figée. « J’ai voulu créer une sorte de liberté visuelle au sein de laquelle le mouvement donne vie à l’objet. Le fait que les objets bougent permet de créer des effets visuels qu’on n’aurait pas s'ils étaient immobiles » Et pour cette collection, Sophia Taillet a choisit de se pencher sur la technique du repoussage, un savoir faire dont on parle peu mais qui n’en est pas moins intéressante à explorer. « C’est une technique qui n’est pas forcement médiatisée et je trouvais intéressant de la travailler, d’autant qu’avec mon expérience du verre, je ressens un devoir de transmission des savoir et des techniques. »

Collection Spinning Around

Un rendez-vous donné à la rentrée

En septembre, à l’occasion de la Paris Design Week du 4 au 13 septembre et des Journées du Patrimoine les 20 et 21 septembre, Sophia Taillet investira la cour du musée de la Chasse avec une installation cinétique en plein air, pensée comme une « danse silencieuse ». Neuf pièces de Spinning Mirror seront présentées en dialogue avec l’architecture du lieu. Une performance dansée viendra également accompagner l’installation.

Spinning Mirror
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10/7/2025
Drift chair ou la justesse des lignes

Le studio BrichetZiegler et Théorème Éditions se sont associés pour créer la Drift chair. Une chaise très graphique portée par des lignes fines au service de l'équilibre.

Comme pour chacune de leurs collaborations, David et Jérôme, les fondateurs de Théorème Éditions, dont la galerie eponyme est située sous les arcades du Palais Royal, se sont tournés vers un studio avec une demande : créer un objet sculptural, architectural et monolithique. Un triptyque dans l'air du temps que le studio BrichetZiegler, convié pour l'occasion, a naturellement retranscrit sur une chaise. Une pièce que le duo de créateurs affectionne particulièrement en raison de son échelle. « Une chaise est une surface parfaite car sa dimension permet de s’exprimer de façon sculpturale et plastique tout en abordant les aspects techniques d’un objet qui soutient le corps. » Un terrain de jeu idéal donc, autour duquel les designers ont imaginé une pièce « fonctionnelle et confortable pour dîner, portée par un dessin et une présence visuelle forte. »

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud

Un jeu d'équilibre

Développée en à peine un an et demi avec le savoir-faire d'un menuisier installé à Pantin, la Drift chair – que nous pourrions interpréter par « chaise qui plane » - tire son nom de son assise en porte-à-faux. Supportée par deux planches latérales en guise de pieds, l'assise joue sur l'alternance des pleins et des vides pour offrir, de côté, tout le poids visuel de sa structure, et de face une certaine frugalité structurelle. Deux sensations renforcées par l'utilisation de courbes au niveau des zones de contact pour des questions de confort, mais aussi dans les angles. Une manière d'apporter de la fluidité à cet assemblage égayé par une galette aimantée en cuir lisse ou en tissu Kvadrat choisi par la galerie. En dessous, la surface à bois a été ajourée de manière à diminuer le poids de la chaise – déjà de 7,5kg – et solidifier la structure pour éviter qu'elle ne vrille.

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud

Proposée en chêne et en noyer, la Drift chair est disponible dans une version cérusée où le veinage naturel du bois devient porteur d'un monochrome très graphique. Une alternative utilisée par Joseph Hoffmann dès les années 30 et désormais réinterprétée avec goût par le studio BrichetZiegler.

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud
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9/7/2025
À la CFOC, six décennies d'exploration

Créée par François Dautresme en 1965, la Compagnie Française de l'Orient et de la Chine (CFOC) fête ses 60 ans. À cette occasion, Valérie Mayéko Le Héno, architecte DPLG et directrice artistique depuis 2016, évoque les évolutions de cette société indissociable des savoir-faire asiatiques.

Voyageur passionné et aventurier en quête de nouveautés, François Dautresme a fondé la CFOC en 1965. Quelle place occupe aujourd'hui son héritage dans l'identité de la marque ?

En tant que directrice artistique de la marque depuis 2016, je crois pouvoir dire que la manière dont nous travaillons est assez proche du concept de départ puisque nous continuons de voyager beaucoup à travers l'Asie. C'est important de garder un pied dans cette zone, où se trouve une douzaine de pays avec lesquels nous collaborons, mais aussi au-delà – en Italie pour l'édition textile, au Maroc pour les éponges et la broderie, au Portugal pour le travail de l'acier et des couverts, et au Mexique pour la fibre de palme -, car ce que nous cherchons, c'est avant tout un savoir-faire particulier ou de nouvelles techniques. Nous partageons de fait la passion de l'artisanat, mais aussi le plaisir de trouver des ateliers familiaux, des petites structures. Cette notion est très importante pour nous, car depuis 1965, l'idée est de valoriser des produits manufacturés. À travers ça, l'héritage principal est sans doute celui d'être du contact.

Tapis Ombrelle Sépia ©CFOC

La place du geste est donc véritablement importante au sein de la CFOC, mais comment concilier les savoir-faire anciens et asiatiques avec les besoins des consommateurs européens ?

Il y a longtemps eu un gap entre nos deux régions. Il y a encore une quinzaine d'années, les arts de la table en Chine se limitaient majoritairement à des bols et à des baguettes tandis qu'il était coutume de s'asseoir proche du sol en Asie alors nous avions tendance à nous asseoir de plus en plus haut en Europe. Il a donc fallu adapter tout cela à nos usages. Dès les années 90, à l'époque où la CFOC proposait principalement du mobilier chiné, souvent aux Puces de Pékin, François Dautresme a commencé à dessiner des éléments destinés au marché français. Un premier pas que nous avons complètement généralisé en 2011-2012, en insufflant à la compagnie alors en perte de vitesse, une nouvelle vision davantage adaptée à nos modes de vie, aux usages.

Collection Lotus ©CFOC

Et comment cela se traduit-il en termes de création ?

Nous avons voulu faciliter l'échange de regard entre l'Europe et l'Asie. Un bureau de style est ainsi né à Paris. Nous y travaillons à deux pour ce qui est de la conception design, plus une troisième personne chargée de la production. Celle-ci est principalement basée en Asie, car nous n'avons pas d'intermédiaire, et c'est elle qui nous permet de développer des produits sur le long terme – généralement entre 4 et 10 mois – et d'entretenir des relations pérennes avec les ateliers pour ne pas être sur du one-shot. Pour la majorité d'entre eux, notre collaboration oscille entre 8 et 10 ans, et c'est ce qui nous permet de pousser les savoir-faire et développer de nouveaux produits.

Table basse ultra noir en chêne teinté ©CFOC

L'une des richesses de la CFOC, c'est également l'étendue des matériaux travaillés. Comment les réinvente-t-on pour ne pas tourner en rond au bout de 60 ans ?

En fait, la question est surtout technique. Ce sont généralement des déclinaisons. Par exemple pour la laque, dans les années 50 à 70, on ne trouvait que des couleurs naturelles. Progressivement, on a évolué vers des colorants alimentaires pour diversifier les teintes, sans pour autant perdre le savoir-faire ancestral à base de sève de laquier. Cette année, nous proposons par exemple deux nouvelles couleurs, le bleu jun et l'ambre jun que nous avons travaillé avec notre coloriste basé dans un village près de Hanoï, au Vietnam. Pour ce qui est du tissu, la CFOC évolue notamment en passant de fibres naturelles à des fibres textiles pour répondre à des besoins spécifiques. C'est le cas de notre tapis tressé Kilim (une technique indienne) où le jute est remplacé par de la laine.

Lampe de chevet Naméko en porcelaine et laiton et courtepointe Samarcande en velours de soie et lin ©CFOC

De manière plus précise, comment avez-vous pensé la collection anniversaire ?

Elle a été guidée par une démarche en quelque sorte historique. J'ai réuni les origines de la CFOC en me replongeant dans de vieux articles de presse, des archives photographiques des anciennes boutiques et leurs vitrines aux scénographies imaginées par François Dautresme, mais aussi des produits dans les catalogues de vente. Bref, je me suis immergé dans la riche histoire de la société et j'ai confronté le passé et le présent. C'est ça qui m'a amené à développer la forme des ombrelles pour nos tapis, le concept de naturalité, le travail du pojagi – une méthode de couture que l'on peut rapprocher du patchwork -, le velours de soie que l'on retrouve sur les contrepointes Samarcande travaillées avec du lin par des artisanes brodeuses, sans oublier la réédition d'objets dans le rouge CFOC. Tous ces axes nous ont permis de créer des pièces en série limitées ou numérotées.

Tabourets signature en coloris bleu jun, verveine et blanc ©CFOC

Sur le plan commercial, la CFOC s'est progressivement ouverte au B2B. Qu'est-ce que cela a changé dans votre approche et quels sont les prochains défis à venir ?

Effectivement ! Depuis plusieurs années, nous développons le B2B pour proposer nos services des chefs ou des établissements hôteliers. C'est une autre manière de voir les choses. L'un de nos projets significatif est certainement la réalisation de pièces sur mesure pour l'hôtel SO/ Paris réalisé par le cabinet RDAI et livré en 2022. Parallèlement à ces nouveaux marchés, nous souhaitons également développer notre notoriété et étendre notre réseau aujourd’hui composé de trois boutiques sur Paris et de revendeurs en région. Nous réfléchissons donc à ouvrir un nouveau showroom ou des pop-ups store dans des zones balnéaires.

Plateau haut Étamine ©CFOC
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