Bold Design, vers la 3D à grande échelle
Sous l’appellation Bold Design se cachent deux designers : William Boujon et Julien Benayoun, qui ont fondé en 2008 cette agence de design pluridisciplinaire entre atelier de création et laboratoire d’expérimentation. Ils incarnent une nouvelle génération de designers qui travaillent en 3D et, à coup de fichiers numériques, produisent des « boutures » d’objets.
Ils se sont rencontrés à L’Ecole supérieure d’art et de design de Reims en 2003, sont devenus amis et ont décidé de faire leur Erasmus ensemble aux Pays Bas à l’AKI ArtEZ, Academy of Art and Design en hollandais Academie Beeldende Kunst & Vormgevung d’Enschede, dans la région de Twente, à 80 km au Nord-Est d’Amsterdam, dans la Ligue hanséatique. Acceptés dans une section « architecture » qui allait fermer, malins, ils passent un accord avec leurs professeurs pour travailler et expérimenter pendant six mois seuls, sur l’intégralité de leurs projets qui touchaient toutes les matières : le bois, la céramique, la sérigraphie, la terre, les matières recyclables, les mousses, le liège… Ils en feront un livre, perdu ou égaré, qui retrace tout ce travail d’Erasmus, des projets expérimentaux, réalisés ensemble, à deux, dans un travail de ping-pong.
Digital Object On Demand
Bold Design fête bientôt ses 15 ans, et leur mode de travail a évolué. Pendant 8 ans, ils ont partagé le même bureau à Paris, jusqu’à ce que Julien parte s’installer à Orléans. Ils produisent alors un cahier d’idées et de formes pour utiliser cette technologie du dépôt de fil pour fabriquer des objets à la demande. Dans l’ouvrage de Jean-Louis Fréchin Designer(s) du Design, elle est décrite : « Elle dispose d’un châssis en acier breveté, sa sole chauffante permet d’imprimer tous types de matériaux et décrypte elle-même les fichiers 3D qui lui sont soumis. » Ils offrent ainsi un pouvoir d’action à l’utilisateur et partage le pouvoir des outils numériques. Leurs collections offrent des formes spectaculaires. La collection de vases « Poilu » apporte du chaos à l’organique. C’est une expression mathématique du désordre. La machine interprète un code composé de coordonnées à mi-chemin entre logique informatique et loi naturelle et dont le rendu ne peut s’apprécier qu’une fois l’objet créé. Postée sur Instagram, comme les cheveux dans le vent, décoiffée, elle sera vue par la AYBAR gallery de Miami qui leur commande une collection de trois vases, imprimés à partir d’un matériau chargé en fibres végétales qui leur donne leur couleur brune, rousse ou blonde. Ils exposent au côté de pièces plus fantasmagoriques comme celles de Formafantasma, le tandem Mario Trimarchi et Simone Farresin, à l’écoute des forces écologiques, historiques, politiques et sociales qui façonnent la discipline du design aujourd’hui.
Produire à grande échelle
« Notre souci est avant tout de faire un objet fonctionnel et utilitaire produit par la machine. » Ils se rapprochent alors de Batch.Works, installé à Londres et Amsterdam, studio de conception et de fabrication de l’industrie 4.0 qui construit un réseau d’usines vers des produits concrets comme des petits accessoires de bureaux. Ils expérimentent le filament. Le PLA (Polylactic acid) ou acide polylactique, un polymere biodégradable en compostage industriel (à une température supérieure à 60°) présente un double intérêt en chimie verte. Résultant de la fermentation des sucres ou de l’amidon sous l’effet de bactéries synthétisant l’acide lactique, ce plastique recyclé peut être produit à partir de betteraves à sucre. La Quincaillerie moderne produit un de leur modèle de luminaire, une grosse boule de verre épais sur un pied technique qui permet d’acheminer l’électricité en toute sécurité. Trois motifs, quatre couleurs, cette collection est entièrement réalisée en thermoplastique.
Au 3DPrint Show, en octobre au Palais des Congrès, porte Maillot, ils ont pu exposer des pièces d’exception, comme la start-up bayonnaise Lynxter. Chez Lynxter, ils apportent un regard extérieur sur leurs machines, des machines d’impression 3D de grandes dimensions, dix fois plus lourdes que la petite DOOD, et stockées dans un bâtiment de 3000 m2, toujours en recherche d’extension. Pépite technologique de la technocité de Bayonne, Lynxter produit des imprimantes 3D nouvelle génération et s’est affirmé comme pionner dans le monde sur l’impression de silicone. Des machines S600D sont exportées actuellement en Europe avec un service de conseil à la carte. L’équipe de 25 personnes est ouverte à toutes les propositions.
Fab labs et start ups
Grâce aux speed-datings du VIA/The French Design, ils ont été mis en relation avec la Camif pour qui ils ont imaginé un canapé (en collaboration avec le fabricant Mousse du Nord) qui s’adapte aux différentes morphologies pour un confort plus adapté. De pièces expérimentales en accumulation de prototypes, de recherches avec des artisans locaux, ils sont devenus les experts sur l’outil et l’impression en terre, ce qui leur ouvre des perspectives avec de futurs architectes. La terre n’a pas qu’une qualité décorative mais peut s’utiliser en matériau d’isolation ou de conservation de la chaleur ou de la fraîcheur. Les adeptes en témoigneront. Avec France Relance, ils travaillent à la possibilité et la faisabilité d’imprimer des micro-architectures avec XtreeE, un producteur de Rungis, et hors studio, spécialisé dans la mise au point de matériaux issus de la valorisation de déchets, fondé par Rébecca Fézard et Elodie Michaud. Eté 2021, ils ont été invités par Christopher Dessus, lauréat de la Bourse Agora de la Curation à exposer au Pavillon de l’Arsenal un vase imprimé en grès au sein duquel trônait un bouquet de tulipes.
Ce petit studio (2 personnes) qui rassemble autour de lui et crée des synergies, croule sous les demandes de collaborations avec des start-ups ou des artisans toujours à la recherche de doigts en or pour prendre la relève. Le CNAP, Centre National des Arts Plastiques, a acheté quatre de leurs collections – Poilu, Tuile, la collection de boîtes H, E et I, initiée pour leur collaboration avec Habitat Design Lab et Fabrik, objets imprimés en grès noir et blanc au sein du 8Fablab dans la Drôme.
Actuellement designer dans le monde rural, à Crest à 30 km de Valence, Julien y a rencontré les acteurs de la céramique et travaille avec la designer et céramiste Emmanuelle Roule sur l’usage de l’eau. De projets en projets, ils se sont même rapprochés de l’Université de Paris-Saclay pour accompagner des laboratoires de recherches dans leurs projets innovants et ont dessiné un fauteuil pour permettre aux personnes à mobilité réduite de danser, des outils pour vérifier l’état des ailes des avions et des luminaires à leds Innled produites à Castelnau-le-Lez.
Bold, qui veut dire en anglais « audacieux » n’a rien à craindre si ce n’est de monter trop vite au firmament du design. Une première rétrospective a déjà été organisé fin 2021 à la Chapelle des Calvairiennes à Mayenne à l’invitation de Mathias Courtet et du Centre d’Art Contemporain Le Kiosque, exposition trop courte de seulement un mois. L’exposition collective « Tant qu’il y aura des fleurs… » est en préparation à l’Ecole Supérieure d’Art et de Design d’Orléans. Mais le moyen le plus sûr de tester leurs produits est de s’inviter à boire un café au Mignon Café, dans le 18e arrondissement à Paris ou à Saint-Malo, véritable showroom de la maison d’édition Kataba avec laquelle ils collaborent depuis sa création pour la qualité de sa démarche environnementale et sociale. Loin d’être des Ayatollahs du bilan carbone, de l’écologie et du 100% Bio, ils ont le souci de l’impact moindre, une véritable conscience du design et une ambition : sortir la 3D du gadget.