Enzo Mari, disparition d’un précurseur de génie

Enzo Mari, disparition d’un précurseur de génie

À 88 ans, Enzo Mari est décédé le 19 octobre. En 1997,  il déclarait à Intramuros « ]’essaie, d’être à la hauteur d’un travail intellectuel et je lutte contre les projets médiocres ». Le design perd un de ses activistes du design, intransigeant et ingénieux, qui aura travaillé aussi bien pour Artemide, Danese, Daum, Driade… pour des pièces de nombreuses fois rééditées. Retrouvez son ton incisif dans le portrait écrit en 1997 par  Cristina Morozzi dans le numéro 73 d’Intramuros.

Piémontais de naissance, Enzo Mari, s’est formé à l’Accademia di Brera de Milan. Dès les années 1960, il collabore avec les plus grands éditeurs italiens et étrangers. En 1974, il s’affiche comme un ardent défenseur du do it yourself avec le projet “Autoprogettazione” qui rend accessible à tous la réalisation de mobilier, et où, contre une enveloppe timbrée, il offrait le splans de des ses dessins de cette collection à réaliser soi-même. Entre utopie et militantisme, Enzo Mari est précurseur d’une pratique de Fablab et d’ateliers de co-working. Dans les années 1980, sa collaboration avec la marque Driade développe des collections exemplaires et durables.

INTRAMUROS 73 PORTRAIT ENZO MARI

« “Quoi qu’on dise, je ne suis pas calviniste.“ C’est par ces mots qu’Enzo Mari conclut l’entretien dans son agence de Milan où les principales références de son parcours professionnel sont présentes. La bibliothèque en modulable ABS, dessinée en 1966 pour Gavina, remplie de revues d’architecture et de design ; les lithographies avec la faucille et le marteau de 1973 ; les couverts Piuma, produits par Zani & Zani en 1992 ; la chaise Box conçue en 1971 pour Castelli et éditée en 1995 par Aleph/Driade, et quelques pièces historiques nées de sa relation complice avec Jacqueline Vodoz et Brunon Danese dès 1958.

C’est la vérité, Mari n’est pas cal­viniste, même si au premier abord il paraît un peu « ours » et qu’il agresse d’un ton polémique, prêchant la bonne parole avec énergie. En s’approchant de plus près, on découvre un autre person­nage. Une gentillesse perce timide­ment sous le regard sévère et révèle une disposition à s’émouvoir de la beauté des choses et de leur message intime.
Si le ton est souvent agressif, les œuvres de Mari montrent tou­jours une grande délicatesse, comme cette nappe brodée de fleurs créée pour Zani & Zani (Macef, septembre 97). Il dit l’avoir dessinée pour céder aux instances de son éditeur, mais je le soup­çonne de prendre un certain plaisir à créer des pièces où les qualités féminines dominent.  PAs d’austérité radicale en lui c’est un homme passionné, tant sur le plan humain que politique, convaincu avant tout de pouvoir changer le monde, même s’il n’a guère d’illusions sur la réussite d’un tel dessein.
« Dans le processus du design, dit-il, il y a des positions contradic­toires : la position humaine et la position post-moderne, qui ne s’as­socient que pour mieux vous berner.  Il manque une posi­tion lucide intermé­diaire. C’est celle que j’aimerais occuper ».

Non, Enzo Mari n’est pas calviniste parce qu’il ne se lasse pas de répéter : « dans mon travail, je cherche à donner des réponses à des pulsions primaires comme le sexe et la faim, pour moi les hommes sont des animaux qui ont évolué en construisant des pro­thèses ».
Il est sévère envers les autres, envers les concepteurs « zombis » qui n’ont jamais lu un livre de poé­sie, envers les personnes qui croient être à l’avant-garde parce qu’elles font quelque chose de dif­férent. Il est surtout sévère envers lui-même et se remet continuelle­ment en question, même si « aujourd’hui on ne conteste plus rien ».
« ]’essaie, affirme-t-il d’être à la hauteur d’un travail intellectuel et je lutte contre les projets médiocres ». Enzo Mari recherche la cohérence, s’engage dans des batailles épuisantes, « avec les pro­ducteurs qui ne se remettent pas en question, ne s’intéressent qu’au superficiel, à la différence pour la différence, à la redondance ». « Concevoir, répète-t-il inlassable­ment, suppose une négation ». Cela signifie élaguer, enlever pour trou­ver l’essence même du projet et la justesse des objets archétypes, comme le peigne et la faucille par exemple, que personne d’identifié n’a conçus. « La décoration n’est que répétition. C ‘est comme le rosaire, dit-il, une litanie que l’on répète machinalement ».

Artiste, dessinateur, auteur de quelques pièces emblématiques du design des 30 dernières années, Enzo Mari n’est jamais satisfait et tou­jours mécontent. Quasi monoma­niaque dans la poursuite d’une  idée, il est « viscérale­ment attaché à l’utopie » affirme-t-il, « même si à la fin, on ne peut en lire qu’une toute petite partie », et il s’investit entière­ment comme un jeune débutant. Il reste artiste même quand il n’est pas designer, parce qu’il est sûr que « tout ce que l’on fait est poli­tique », il est convaincu « qu’un bon projet implique toujours du gas-pillage, de la folie et du courage », parce qu’il veut travailler pour la société et non pour lui, parce qu’il est constamment impliqué dans les batailles qu’il livre.

Comme tous ceux qui s’affrontent aux utopies, il a été un précurseur génial : avec Metamobile, par exemple, une collection de meubles pauvres et basiques en kit, conçue pour Gavina en 1974; ou avec Ecolo, un manuel d’instructions pour fabriquer des vases de fleurs en découpant des bouteilles d’eau minérale en plastique, réalisé pour Alessi en 1995. Ecolo peut être considéré comme un manifeste de la principale prérogative d’un bon projet pousser l’utilisateur à concevoir lui-même. « Tout le monde doit concevoir des projets, prétend Mari, au fond, c’est le meilleur moyen d’en garder le contrôle ».

En 1999 il recevra le prix du de­sign à Barce- 1 one, après Ettore Sott­sass et Achille Castiglioni. Au même moment « Le Printemps du design » accueillera une rétrospective au Centre Cultu­rel Santa Monica. Une récompense qu’il annonce avec un certain orgueil, comme si le « système » qui l’a toujours mis en marge à cause de son attitude polé­mique envers les méthodes de production se rendait enfin compte que sa bataille était une bataille pour la qualité. Une qua­lité accessible à tous, claire et intelligible, une qualité intrinsèque et durable, qui incite au respect de l’objet.

« Mes plus beaux objets sont ceux qui ont été réalisés par des producteurs avec lesquels j’ai bien travaillé, car la forme finale d’un ouvrage dépend toujours de la qualité des rapports de production qui l’ont généré ».

Comme pour lui un projet consiste à épurer, il est souvent considéré comme un « minimaliste », pourtant, si l’on regarde son oeuvre de près, on s’aperçoit qu’elle est très différente de l’approche minimaliste du moment, celle de Jasper Morrison, ou celle de Paolo Rizzatto pour Luce Plan. Dans chacun de ses objets, on peut lire cette passion primaire qui donne l’impulsion au projet et cette utopie qu’il ne cesse de poursuivre. Ce sont ces tensions qui rendent les prpduits intéressants.

Aujourd’hui, on parle beaucoup des objets relationnels capables d’établir avec l’utilisateur des rapports de complicité. On arrondit les lignes, dans l’illusion que la sinuosité communiquera le caractère amical. Depuis ses débuts, Mari a toujours cherché à établir des rapports avec l’utilisateur de son projet, non par des artifices formels, mais en essayant d’offrir vraiment une idée, quelque chose qui vaille la peine d’être dessiné; on pense à la carafe en verre soufflé pour Danese, réédité aujourd’hui par Alessi, où chaque pli du goulot fait alternativement fonction d’anse et de bec verseur. Et cette idée, même si elle est filtrée par les fondements logiques de l’action artistique (sur­tout dans le courant de l’art pro­grammé) – qui est un état de recherche permanent – cette idée est toujours clairement perçue. Les produits d’Enzo Mari sont permanents, non parce qu’ils refor­mulent les archétypes, mais parce qu’ils sont l’aboutissement difficile de cette recherche, de cette néces­sité de toujours trouver un sens.

« Je m’ennuie, dit Mari, si je fais, un projet qui n’est qu’une simple répé­tition ou un truc de mar­keting. Je veux que mon travail soit un jeu, le travail comme jeu c’est une déclaration de liberté ». Pour les enfants, le jeu est en effet une recherche d’identité et d’expressi­vité, qui leur permet de se démarquer du monde des adultes. Par son travail de concepteur, Mari prouve son autonomie vis-à-vis des lois absurdes du marketing, des systèmes de production de masse, des besoins artificiels qui condui­sent à la multiplication des objets inutiles. Son travail est un jeu dans la mesure où il se veut libre. De cette liberté, aujourd’hui de plus en plus rare, naissent des produits qui tra­versent le temps, comme la coupe à fruits Adal en PVC moulé sous vide en 1968 pour Danese, rééditée par Alessi en 1997. Ou encore la chaise Box en polypropylène injecté édité en 1971 par Castelli, rééditée par Aleph (Driade) en 1995 sa pre­mière chaise, propo­sée à l’époque comme une négation des « formes plastiques », faite de courbes et de raccords organiques et témoignant de l’enthousiasme frénétique pour le « tout en plas­tique ». Il s’agit d’une chaise solide, avec quatre pieds bien placés, qui correspond parfaitement à l’idée originelle de chaise. Aujourd’hui, alors que les matières plastiques trouvent une expressivité nouvelle, la chaise « Box » semble plus contemporaine que beaucoup d’autres qui essaient désespérément d’être nouvelles. Cette chais en kit, est une invitation explicite à construire, cette invitation que Mari lance depuis toujours à l’utilisa­teur, et qu’il considère comme une partie active du projet.
Non, Mari n’est pas cal­viniste, c’est un rêveur. Et c’est sans doute cette atti­tude si rare, assez décon­certante, qui lui donne l’apparence d’un ours. C’est un rêveur qui aimerait vivre « dans un pays où il y aurait trois designers, où je me contenterais d’être le troi­sième ». Des designers qui seraient en quelque sorte les dépositaires d’une cul­ture. »

Rédigé par 
Nathalie Degardin

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31/10/2025
Le Collectionneur, une plongée Art déco dans l'univers d'Edgar Jayet

Présenté dans l'Hôtel de Maisons à l'occasion de Design Miami Paris, Le Collectionneur est un ensemble dessiné par le designer Edgar Jayet. Fruit d'une collaboration avec la Maison Lelièvre, la composition s'affirme comme un hommage à l'Art déco.

Des œuvres de Jacques Maillol, deux vases romains du IIe siècle après J.-C., des luminaires de la Maison Delisle ou encore des objets signés Puiforcat et Saint-Louis. C'est au milieu de ce qui pourrait ressembler à une reconstitution historique de l’entre-deux-guerres qu'Edgar Jayet a présenté Le Collectionneur. Portée par Paragone à l’occasion de Design Miami Paris, la collection prend place dans un décor imaginé comme un hommage libre au pavillon conçu par le décorateur Jacques-Émile Ruhlmann en 1925. Largement inspirée du mouvement Art déco, qui célèbre cette année ses cent ans et auquel la scénographie fait écho, la collection a été imaginée en collaboration avec la Maison Lelièvre. Une association née d'une rencontre début 2024 entre le designer et Emmanuel Lelièvre, directeur de la marque, mais aussi « de l'idée de tisser un lien avec une manufacture comme le faisaient les ensembliers il y a un siècle ». L'occasion de co-construire ce projet dont les textiles ont façonné les contours.

©Oskar Proctor

Un centenaire inspirant

Connu pour son approche « dix-neuviémiste » liée à la compréhension des systèmes constructifs (comme en témoigne la collection Unheimlichkeit présentée fin 2024), Edgar Jayet s'est cette fois-ci attaqué, plus qu’à une technique, à un style. « Je ne crois pas à la création ex nihilo et je ne pense pas que l'on réinvente les choses. Le Collectionneur est davantage un regard de notre époque porté sur un mouvement. Les assemblages ont été réalisés à la main comme en 1925, mais c'est surtout le choix des matérialités, comme le sycomore ou le nickel argenté, et des codes esthétiques propres à l'Art déco, qui connectent mes objets à ce style. » Pour cette nouvelle collection, le designer a imaginé trois typologies d'objets inspirés de l'univers du voyage : une armoire, une méridienne de 1925 millimètres et des malles auxquelles vient s’ajouter un tapis. « L'Art déco s'est exporté dans le monde entier. C'est d'ailleurs ce que l'on a appelé le style paquebot, puisqu'il était associé aux grands transatlantiques pour lesquels Ruhlmann a beaucoup travaillé. C'est d’ailleurs lui qui a créé en 1925 l'Hôtel du Collectionneur. C’était un véritable lieu manifeste de l’Art déco dans lequel tout était sur mesure et très personnalisé. On voulait retrouver ça, mais avec une typologie plus inhabituelle. » Un cheminement qui amène le designer vers « le salon de bain », un espace plus intimiste à la croisée « du boudoir et de la dressing-room », qui donnera son nom à la scénographie de l’exposition : Le Bain du Collectionneur.

©Oskar Proctor

Au bout du fil, le savoir-faire Lelièvre

« Le modus operandi de cette collection ? Le même que Jacques-Émile Ruhlmann à l'époque. Travailler ensemble, avec les meilleurs artisans, pour créer un ensemble qui ait du sens », résume Edgar Jayet. Si la collection a vu le jour en une quinzaine de mois grâce à l’investissement de six partenaires (Les Ateliers de la Chapelle, Jouffre, les Ateliers Fey, Maison Fontaine, Atelier Yszé), spécialisés dans la serrurerie d'art, la gainerie ou encore le travail du laiton, c'est avec la Maison Lelièvre que les contours de la collection ont été tissés. « Tout s'est fait lors d'une rencontre dans le showroom, explique Emmanuel Lelièvre. Je lui ai montré un certain nombre de créations récentes, mais également d'archives Art déco que nous présentions dans le cadre d’une rétrospective en janvier. » Une immersion à l’origine d’un corpus d’étoffes très différentes choisi par Edgar Jayet. Parmi elles, une moire noire synthétique à l'aspect ancien. « C'est un tissu très technique adapté au yachting ou à la restauration, mais qui rappelle très bien les textiles Art déco et c’est ce qui m’a plu », explique le créateur. Un choix sobre, combiné à Rêverie, une réédition ornementale d'une des archives de la marque, et réinterprétée par le designer sur le dos de la malle. « Comme nous n'avions pas le temps de modifier les tissus existants, le petit twist a été d'utiliser Rêverie à l'envers. » Une manière pour le créateur de flouter légèrement le visuel en lui apportant une touche plus contemporaine. Un petit pas de côté dans l'utilisation classique des textiles d'ameublement, dont une gamme en fibres naturelles a également été utilisée. Trois sortes très différentes sur le plan stylistique, mais également technique, « venues conforter l'idée d'un mobilier de voyage ». Le Collectionneur, « ce n'était pas simplement l'idée de faire des pièces historiques visibles dans une galerie, mais de repenser certains codes pour faire de l'usuel », résume Emmanuel Lelièvre. Plus qu'un hommage aux ensembliers de l'Art déco, c'est donc surtout un hommage à l'union des savoir-faire que Le Bain du Collectionneur semble abreuver.

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24/10/2025
Scarabei, la nouvelle composition de Giopato & Coombes

La marque italienne Giopato & Coombes dévoile Scarabei, un luminaire en aluminium inspirée de la nature.

C’est une collection à regarder à la lumière de ces inspirations. Imaginée par Cristiana Giopato et Christopher Coombes, fondateurs du studio éponyme, Scarabei pourrait être désignée comme une collection biomimétique. Inspirés « par les processus de propagation visibles dans la nature », les designers ont cherché à traduire les notions « de rythme, de répétition et de variation ». C’est donc en considérant la lumière comme un organisme à part entière qu’ils se sont penchés sur la faune, et plus précisément sur le scarabée, un animal symbolisant souvent la métamorphose et la renaissance. Une inspiration à l’origine des petites cavités rappelant, à certains égards, des chrysalides d’où émergent ces insectes. En résulte une série de luminaires née « d'une étude de la modularité expansive » offrant des compositions en équilibre « entre géométrie et variation structurelle ».

Scarabei ©Giopato & Coombes

Les aspérités d’une technique artisanale

D’abord intéressés par l’idée de propagation, les designers ont commencé « par travailler en deux dimensions, sur papier, et par l'intermédiaire de matériaux physiques tels que les croquis au crayon et à l'encre ». Une phase qui a permis aux premières ébauches d’émerger. Ce n’est que dans un second temps que l’étude des formes a débuté, et ce, de manière empirique. « Nous avons d’abord créé des masses à l’aide de papier aluminium puis d’argile. Nous préférions travailler le matériau physiquement et ensuite passer à sa transformation numérique en le scannant en trois dimensions. » Une méthode de travail qui a poussé les deux designers vers le moulage au sable. Une technique artisanale, réalisée dans une fonderie italienne, permettant de combiner les détails des moules en terre réalisés à la main, et la matérialité brute et authentique de la fonte. Réalisé en aluminium, chaque module est ensuite retravaillé à la main et patiné dans l’un des cinq coloris disponibles (aluminium brut, aluminium poli, noirci, bronzé, blanc minéral). Dotés d’une source lumineuse, les dômes concaves sont ensuite refermés avec une lamelle de verre opalin, laissant passer une lumière homogène et permettant à chacun de révéler les aspérités de son voisin. Une cohabitation rappelant, à la lumière de Scarabei, la force de la composition.

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24/10/2025
Jean-Philippe Nuel : de l’architecture au mobilier

L’architecte et designer Jean-Philippe Nuel a livré trois projets architecturaux au cours de l’été. L’occasion pour lui de développer deux nouvelles assises en collaboration avec Talenti et Duvivier Canapés.

Architecte multi-facettes, Jean-Philippe Nuel s’est une nouvelle fois illustré cet été avec la livraison de trois projets hôteliers. Témoignant de son attachement à une « approche contextuelle, fondée sur le sens, l’histoire et la captation d’éléments didactiques », l’architecte décorateur a signé trois cadres de vie aux identités radicalement différentes, mais unis par une même volonté : concevoir des espaces enracinés dans leur territoire et ouverts sur le monde. De la métamorphose du dernier étage du Negresco à Nice, hommage élégant et contemporain à Jeanne Augier, à la création de L’Isle de Leos Hotel & Spa en Provence, imaginé comme une maison d’hôtes intime et chaleureuse, en passant par le Talaia Hotel & Spa à Biarritz, écrin minéral et marin suspendu au-dessus de l’océan, Jean-Philippe Nuel conserve l’idée d’un dialogue entre le lieu, l’architecture et le mobilier. Une approche qui l’a conduit à collaborer avec Talenti et Duvivier Canapés pour développer deux nouvelles gammes, désormais pérennisées par les marques.

Le Talaia Hotel & Spa de Biarritz ©FrancisAmiand

L’espace à l’origine de l’objet

Chez Jean-Philippe Nuel, le mobilier naît rarement d’une idée abstraite, mais plutôt d’un « besoin généré par l’architecture », explique-t-il. « Quand on conçoit une chambre d’hôtel, on a souvent besoin d’un bridge. On ne veut pas d’une simple chaise, mais il faut que l’assise reste manœuvrable pour s’adapter à différents usages. En 2021-2022, j’ai donc dessiné cette pièce, car il en existait en réalité assez peu sur le marché. » Destinée à l’origine à un projet hôtelier avorté à New York, la pièce au design sobre et classique a malgré tout été réalisée par Duvivier Canapés sous le nom de colection Barbara. D’abord implantée dans un hôtel à Reims, elle a fini par trouver sa place au Negresco, dans le cadre de la rénovation estivale. « À l’image de cette pièce, mes objets naissent souvent d’un lieu, d’un besoin précis. Ce n’est que dans un second temps que se pose la question de leur adoption par une marque et de leur intégration dans une collection », précise le designer. C’est notamment le cas d’une autre collaboration, cette fois avec Talenti, imaginée dans le cadre du projet de L’Isle-sur-la-Sorgue. Nommée Riva, la collection s’inspire du nautisme et du quiet luxury. D’abord pensée pour le monde de l’hôtellerie, puis intégrée à des projets de yachting, l’assise, reconnaissable à son large piètement en bois sur l’avant, a été ajoutée au catalogue de la marque italienne. « Nous avons néanmoins dû redimensionner certaines pièces. Le piètement initial, assez épais, a été redessiné pour plus de légèreté et de durabilité. Mais la générosité de la chaise, son aspect presque surdimensionné, demeure. » Ce processus d’ajustement accompagne souvent la transition d’une pièce sur mesure vers l’édition. « C’est par exemple ce qui s’est produit au Negresco, pour un canapé en forme de banane de quatre mètres de long. On nous a dit qu’il était trop grand : il a fallu le repenser pour un cadre plus classique. »

La Suite Jeanne&Paul et les assises de la collection Barbara imaginées par Jean-Philippe Nuel ©Grégoire_Gardette

Une approche transversale et lisible

Architecte de formation, mais aujourd’hui davantage tournée vers l’aménagement intérieur, Jean-Philippe Nuel revendique une posture transversale. « Même si ma notion de création s’est un peu déplacée, j’aime garder un œil sur toutes les étapes d’un projet. C’est peut-être lié au marché anglo-saxon, où les architectes ne s’occupent pas des intérieurs ni de la décoration. En Europe, c’est différent, mais comme je travaille beaucoup à l’étranger, le curseur s’est un peu déplacé. » Connu pour la diversité de ses réalisations, le créateur défend avant tout une cohérence du lieu. « Je garde un style que je ne renie pas, sans fioritures, avec une lisibilité dans la mise en place des éléments. » De L’Isle-sur-la-Sorgue, où la présence d’antiquaires a inspiré un dialogue entre objets anciens et mobilier contemporain, à Biarritz, où les couleurs du Pays basque infusent le projet, son seul fil rouge reste l’identité du lieu. « Pour le mobilier, comme pour l’architecture, c’est toujours dans le cadre de ce que j’ai vu, ressenti ou analysé que la création s’inscrit », conclut-il.

Le hall de l'hôtel Isle de Leos et les assises de la collection Riva éditées par Talenti ©Francis Amiand
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22/10/2025
Pour Miami Paris, Range Rover ouvre sa galerie de design

A l'occasion de Design Miami, Range Rover ouvre les portes de la Range Rover Gallery dans la cour de l'Hôtel de Maisons jusqu'au dimanche 26 octobre.

Connu pour le luxe de ses véhicules les plus prestigieux, Range Rover place depuis 55 ans le design à la hauteur de l’innovation technique. À l’occasion de Design Miami, la marque britannique dévoile dans la cour de l’Hôtel de Maisons, en plein cœur de Paris, un petit espace d’exposition éphémère : la Range Rover Gallery. Quelques mètres carrés dans lesquels la marque souhaite valoriser la création contemporaine en accueillant six créations. Pensé comme une extension physique de sa philosophie “Modern luxury”, la galerie valorise en son sein les travaux des lauréates Sophie Dries et Fleur Delesalle récompensées en 2022 et 2023 lors des AD Range Rover Design Awards, et Dan Yeffet, précédemment membre du jury.

Trois noms pour incarner le luxe de demain

Parmi les pièces exposées, Sophie Dries présente Croissant, un fauteuil dont la silhouette faussement légère dissimule une conception sophistiquée faite de velours dense et de placage en loupe de bois. Une assise réalisée dans un atelier français en hommage au savoir-faire traditionnel. Une approche que l’on retrouve également dans la lampe E.T. de Fleur Delesalle. Cette création sculpturale réalisée en plâtre suggère une présence quasi animale chargée de mystère. Enfin, on trouvera les créations de Dan Yeffet explorant, par le biais du verre, du métal et de la pierre, une esthétique portée par la tension des courbes. Trois styles différents et une même recherche de radicalité au service de l’esthétique. Une vision d’autant plus importante pour Range Rover que la marque a réaffirmé son soutien à la jeune création l’an dernier en lançant le Student Prize. Un concours par lequel les étudiants sont invités à imaginer un objet nomade, à la fois sophistiqué et épuré, inspiré par la sphère automobile. Un prix pensé comme une passerelle entre générations, disciplines et visions du luxe.

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