« Déjà-Vu ! » : quand les objets racontent la société

« Déjà-Vu ! » : quand les objets racontent la société

Au musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne, l’exposition « Déjà-vu ! le design dans notre quotidien » propose une sélection de pièces de mobilier et d’objets des années 50 à nos jours. Le grand public reconnaîtra avec plaisir certaines icônes du design, et retrouvera avec plaisir des objets usuels, qui ont vraiment fait partie du quotidien de plusieurs générations. La commissaire Imke Plinta  propose une scénographie aérée, qui permet de bien tourner autour des pièces , le plus souvent exposées à même le sol.


Comme elle nous l’indique immédiatement lors de la visite, Imke Plinta n’est « ni historienne de l’art, ni designeuse de produits ». Designer graphiste, elle a beaucoup travaillé avec  Ruedi Baur, et explore dans ses travaux l’inscription « du design dans un contexte. »  Cette exposition  » Déjà-vu ! » est née d’une rencontre avec Aurélie Voltz, directrice du musée, qui a à cœur de valoriser l’une des collections design les plus importantes de France.

Au fil de l’exposition, le choix des pièces et de la mise en scène montre combien le design répond à des besoins et traduit les évolutions sociétales. Comme un écho à la période sanitaire actuelle, le parcours démarre sur un ensemble conçu par Jean Prouvé et Jules Leleu pour un sanatorium de Savoie pour des malades atteints de la tuberculose : la commande de l’époque voulait que le mobilier respecte des normes d’hygiène, robustes, et reproductible en série à faible coût. La réponse des concepteurs portera sur un ensemble en bois et métal.

© Aurélien Mole / MAMC+

Jules-Émile Leleu, Mobilier d’une chambre du sanatorium Martel-de-Janville, 1934, tôle pliée, soudée et laquée, bois, textile, éditeur : Ateliers Jean Prouvé, Nancy (France), collection MAMC+
Anonyme, Téléphone C.I.T, vers 1937, résine, collection MAMC+
Aldo Magnelli, Adriano Magnelli, Machine à écrire MP 1, 1932, métal, éditeur et fabricant : Olivetti Spa, Ivrée (Italie), collection MAMC+
Vue de l’exposition Déjà-vu. Le design dans notre quotidien au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, jusqu’au 22 août 2021.

Mobilier conçu par Jean Prouvé et Jules Emile Leleu. © ND

La première salle est dédiée à l’habitat dans son ensemble, notamment documenté par un reportage photo de l’entre-deux-guerres sur une cité ouvrière, qui témoigne des effets d’une poussée démographique et d’une crise du logement,  puis de la construction des grands ensembles qui démarrent dans les années 50. A noter pour le visiteur qui a un peu de temps :  un film revient sur la promesse d’une vie nouvelle,  à travers les logements à venir des villes modernes, conçus dans l’esprit de la Charte d’Athènes sous l’égide de Le Corbusier.

De la politique du logement à l’aménagement d’intérieur

Le parcours se poursuit en abordant dans l’effort de reconstruction la conception du mobilier pour les nouveaux logements. On y retrouve notamment un important focus sur le travail de Michel Mortier, membre dès 1952 de la société des artistes décorateurs.  Au sein de l’agence de Marcel Gascoin, il mène une réflexion autour du précepte « le contenant doit s’adapter au contenu ». Il part ainsi de l’usage : la fréquence d’utilisation des objets pour déterminer leur placement et ainsi dessiner le mobilier d’une façon très rationnelle.  A côté de prototypes sont exposés des dessins avec des collages des gouaches, qui témoignent aussi des procédés de travail de l’époque.

© Aurélien Mole / MAMC+

Michel Mortier, Bahut suspendu, 1958, panneaux de bois plaqués en merisie, éditeur : Dassas (France), collection MAMC+
Michel Mortier, Sans titre, encre sur calque, vers 1958, collection MAMC+
Michel Mortier, Fauteuil, chauffeuse et chaise, série MP 2, hêtre massif, multipli et polyéthylène, éditeur : Maison française, Rennes (France), collection MAMC+
Déjà-vu. Le design dans notre quotidien au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, jusqu’au 22 août 2021.

Des artistes décorateurs aux designers

Du Salon des Arts Ménagers à Prisunic, de l’Union des Artistes Modernes aux designers « pop », en passant par Pierre Paulin, Raymond Loewy ou le groupe Memphis, la troisième salle l’exposition s’intéresse aux bouleversements du quotidien des Français : parallèlement aux évolutions des matériaux, des techniques, et des aspirations de la société, le design pénètre le quotidien avec la proposition d’objets et de mobilier à l’esthétique nouvelle. Comme l’explique Imke Plinta, »  on aborde aussi l’habitat pièce par pièce, et non plus dans un concept global, on devient plus individuel ». Entre design pop et esthétique industrielle, le  visiteur circule autour d’objets iconiques comme le Tam-Tam conçu par Henry Massonnet, et les collections de Prisunic – sous la direction artistique de Jacques Putman –  auxquelles participent de jeunes créateurs de l’époque, à l’image du lit de Marc Held. » Pour le consommateur, se meubler devient aussi banal que s’habiller. »

Déjà-vu. Le design dans notre quotidien au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, jusqu’au 22 août 2021. © Aurélien Mole / MAMC+

Le quotidien est aussi bouleversé dans l’espace professionnel par les évolutions technnologiques et l’arrivée de nouveaux outils. A l’image de la « Programma 101 » d’Olivetti, qui est l’exemple d’un ordinateur pouvant  être posé sur un bureau, et dont le design a été confié à Mario Bellini. Pour l’anecdote, il est aujourd’hui difficile d’imaginer combien cette machine, utilisée dès les années 60 par la NASA, fait partie des « outils » de la conception du programme d’Apollo 11.

''Déjà-Vu'' - Olivetti © ND

Charles & Ray Eames, Chaise La Fonda, 1961, résine polyester insaturée renforcée de fibres de verre (GUP) et revêtement textile, éditeur Herman Miller Inc., Zeeland (Etats-Unis), collection MAMC+
Sur la table :
Mario Bellini, Ordinateur personnel Programma 101, 1969, métal et acrylonitrile butadiène styrène (ABS), éditeur Olivetti Spa, Ivrée (Italie), collection MAMC+
Joe Colombo, Lampe KD29, vers 1967, acrylonitrile butadiène styrène (ABS) et polyméthacrylate de méthyle (PMMA), éditeur Kartell, Noviglio (Italie), collection MAMC+

Dans cette évolution de « l’esthétique industrielle » vers le design, les  années 80  sont marquées par le groupe Memphis, à qui est dédié une section de l’exposition, et qui rapporte ces propos d’Andrea Branzi : « Avec Memphis, nous avons trouvé un mode d’organisation et de production qui nous a permis de brise rle rapport normal entre design et industrie et de mettre l’industrie au service des designers, au lieu d’être nous-mêmes au service de l’industrie. »  Une approche ludique, qui ouvre les champs de la création : comme le dit Imke Plinta » le design est conçu comme une boîte à jeux et à outils ».

Le design et l’art ménager

Le parcours fait aussi la part belle à l’apparition d’objets ménagers. Comme le rappelle Imke Plinta : « La société a connu un véritable changement de mode de vie. De l’immédiat après-guerre aux Trente Glorieuses, c’est une transformation radicale qui s’est opérée dans l’habitat — d’un point de vue architectural —, et dans les intérieurs. Cette période est aussi celle où les femmes ont commencé à travailler en dehors du foyer, d’où l’apparition d’objets ménagers qui avaient pour but de faciliter leur vie. Bien sûr aujourd’hui nous ne l’interprétons pas de la même façon, mais cette “libération féminine” était à l’époque un véritable argument commercial.»  

Le visiteur retrouve ainsi toute une collection d’objets qui lui sont à nouveau familiers, dans cette idée de « déjà-vu ». Une série de fer à repasser démontre des changements des formes, de poids, mais aussi l’ajout de fonctions, avec notamment le premier fer à repasser de voyage, pliable, réalisé par Pierre Paulin. L’évocation de la cuisine de Francfort est aussi l’occasion d’aborder la rationnalisation de cette pièce et son évolution, à travers des espaces de travail toujours plus fonctionnels, le développement d’objets électroménagers, depuis l’évolution des machines à café jusqu’aux robots mixeurs.

Parallèlement l’exposition propose deux clins d’oeil de ces objets si liés à notre quotidien.  D’un côté, une référence à l’évolution technologique présente différents modèles, depuis le Minitel à l’ordinateur portable, dans des mises en scènes qui rappellent les dispositifs du télétravail actuel.  De l’autre,  une exposition de chaises emblématiques rappelle au public combien elles sont familières et représentatives d’époques. On y retrouve la Chaise 14 de Michael Thonet, la Superleggera de Gio Ponti, le fauteuil Plastic DAW des Eames, la Chaise empilable de Jasper Morrison…
La dernière salle porte sur des expérimentations menées avec les étudiants de l’ESADSE et de l’isdaT.

Anonyme, Moulin à légumes Moulinette, 1935, aluminium et bois laqué, éditeur Moulinex, Courbevoie (France), collection MAMC+
Anonyme, Machine à café ATOMIC, 1954, métal, matière plastique, éditeur Novate, Milan (Italie), collection MAMC+
Anonyme, Moulin à café, vers 1950, métal et résine phénol formaldéhyde (PF), éditeur Alexanderwerk, Remscheid (Allemagne), collection MAMC+
Jean Parthenay, Cafetière Moka-SEB, vers 1960, acier inox et matière plastique, éditeur Groupe SEB, Ecully (France), collection MAMC+
Richard Sapper, Cafetière MAGNUM 9090, 1970 – 1979, acier inoxydable, éditeur Alessi, Crusinallo (Italie), collection MAMC+

© Aurélien Mole / MAMC+

Vues de l’exposition Déjà-vu. Le design dans notre quotidien au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, jusqu’au 22 août 2021.

«Déjà-Vu ! le design dans notre quotidien »
jusqu’au 22 août

Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne

Rédigé par 
Nathalie Degardin

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18/7/2025
Concours Technogym x Intramuros : les Candidatures sont ouvertes !

En partenariat avec Intramuros, Technogym lance un concours pour imaginer l’avenir du fitness à domicile. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 29 août.

Sous le titre évocateur « La Home Gym du Futur », Technogym — marque reconnue pour ses équipements de fitness haut de gamme - lance un concours inédit. Cette initiative vise à mettre en valeur les talents émergents tout en encourageant des idées novatrices, durables et inclusives. En s’appuyant sur les besoins actuels en matière de pratique sportive et en anticipant les évolutions à venir, les participants sont invités à imaginer leur vision de l’entraînement à domicile de demain.

Un jury XXL pour cette première édition

Pour juger les différentes propositions des candidats au concours, les équipes d’Intramuros et de Technogym pourront compter sur l’expertise de 4 professionnels du secteur :

  • Le designer Patrick Jouin (studio Patrick Jouin iD)
  • Natacha Froger (agence atome associés)
  • L’architecte d’intérieur Ana Moussinet (Ana Moussinet Interiors)
  • L’architecte et designer Jean-Philippe Nuel (studio Jean-Philippe Nuel)

Après une délibération des membres du jury le 2 septembre prochain pour sélectionner les finalistes, les projets retenus seront mis en avant sur les réseaux sociaux et présentés au sein de la boutique Technogym pendant  Paris Design Week du 4 au 13 septembre.


Ce concours est l’opportunité pour les jeunes créateurs de faire valoir leur créativité et de gagner en visibilité. En effet, en plus de voir leur projet exposer pendant Paris Design Week, les finalistes pourront profiter de la communication via les canaux de Technogym, Intramuros, NDA et BED et pourront enrichir leur réseau lors de la remise des prix qui aura lieu le 17 septembre prochain. Le lauréat remportera 4 500 € de produits Technogym et vivra une expérience exclusive au Technogym Village à Cesena, en Émilie-Romagne (Italie), aux côtés du jury.

Une démarche d’inscription simple

Pour participer, les candidats devront proposer un brief complet avec un concept design, des planches graphiques et une note descriptive détaillée. Les dossiers devront être envoyés par email à l’adresse suivante : concourstechnogym@intramuros.fr

Tous les documents essentiels relatifs au concours sont disponible vie CE LIEN.

En cas de besoin et demandes spécifique, les candidats peuvent contacter le Technogym Interior Design Service, via Daniela D’Errico à l’adresse : dderrico@technogym.com ainsi que Yanis Aimetti, yaimetti@technogym.com pour le Technogym Marketing support & infos produit.

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9/7/2025
Spinning Around, la collection en mouvement de Sophia Taillet

Présentée en exclusivité dans la nouvelle boutique du Grand Palais, la collection Spinning Around de Sophia Taillet allie une approche artistique à un savoir-faire industriel méconnu : la technique du repoussage. Une série colorée et dynamique, à l’image de la designer qui aime mêler les disciplines.

À l’occasion de la réouverture du Grand Palais et de l’inauguration de sa boutique, Sophia Taillet a imaginé une collection exclusive, intitulée Spinning Around. Un projet qui s’inscrit dans la continuité de son travail amorcé avec le Spinning Mirror présenté lors de la Paris Design Week en 2024 et le travail de recherche Time Erosion, mené suite à l’obtention de la bourse « Monde Nouveau » en 2023. Un projet pour lequel elle a exploré duré un an les liens entre design et danse, en collaboration avec des artisans, un danseur et un ingénieur du son. « J’ai voulu interroger le rapport au corps à travers la manipulation d’objets encore en phase de réflexion. Une fois façonnés par l’artisan, ces objets passaient entre les mains du danseur, qui leur donnait une fonction. Je trouvais intéressant d’intégrer d’autres regards que celui du designer dans le processus et de les présenter par le biais d’une performance. » Une représentation s’était tenue à la Fondation Pernod Ricard, où danse et objets cohabitaient en parfaite synergie.

Collection Spinning Around

Associer matière et mouvement dans l’espace

Partie de ce projet symbolique et du Spining Mirror — remarqué lors de la Paris Design Week 2024 et de la Collective Fair de Bruxelles —, cette collection offre différentes déclinaisons qui mêlent à la fois la matière et mouvement. Les pièces sont faites en verre et en métal, les deux matériaux de prédilection de la créatrice, et réalisés à la commande, dans une dizaine de d’exemplaires pour le moment. Entre jeux de matière, de lumière et de formes évolutives en fonction de la disposition et l’espace dans lequel se trouve l’objet, Spinning Around est une collection qui n’est finalement jamais figée. « J’ai voulu créer une sorte de liberté visuelle au sein de laquelle le mouvement donne vie à l’objet. Le fait que les objets bougent permet de créer des effets visuels qu’on n’aurait pas s'ils étaient immobiles » Et pour cette collection, Sophia Taillet a choisit de se pencher sur la technique du repoussage, un savoir faire dont on parle peu mais qui n’en est pas moins intéressante à explorer. « C’est une technique qui n’est pas forcement médiatisée et je trouvais intéressant de la travailler, d’autant qu’avec mon expérience du verre, je ressens un devoir de transmission des savoir et des techniques. »

Collection Spinning Around

Un rendez-vous donné à la rentrée

En septembre, à l’occasion de la Paris Design Week du 4 au 13 septembre et des Journées du Patrimoine les 20 et 21 septembre, Sophia Taillet investira la cour du musée de la Chasse avec une installation cinétique en plein air, pensée comme une « danse silencieuse ». Neuf pièces de Spinning Mirror seront présentées en dialogue avec l’architecture du lieu. Une performance dansée viendra également accompagner l’installation.

Spinning Mirror
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10/7/2025
Drift chair ou la justesse des lignes

Le studio BrichetZiegler et Théorème Éditions se sont associés pour créer la Drift chair. Une chaise très graphique portée par des lignes fines au service de l'équilibre.

Comme pour chacune de leurs collaborations, David et Jérôme, les fondateurs de Théorème Éditions, dont la galerie eponyme est située sous les arcades du Palais Royal, se sont tournés vers un studio avec une demande : créer un objet sculptural, architectural et monolithique. Un triptyque dans l'air du temps que le studio BrichetZiegler, convié pour l'occasion, a naturellement retranscrit sur une chaise. Une pièce que le duo de créateurs affectionne particulièrement en raison de son échelle. « Une chaise est une surface parfaite car sa dimension permet de s’exprimer de façon sculpturale et plastique tout en abordant les aspects techniques d’un objet qui soutient le corps. » Un terrain de jeu idéal donc, autour duquel les designers ont imaginé une pièce « fonctionnelle et confortable pour dîner, portée par un dessin et une présence visuelle forte. »

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud

Un jeu d'équilibre

Développée en à peine un an et demi avec le savoir-faire d'un menuisier installé à Pantin, la Drift chair – que nous pourrions interpréter par « chaise qui plane » - tire son nom de son assise en porte-à-faux. Supportée par deux planches latérales en guise de pieds, l'assise joue sur l'alternance des pleins et des vides pour offrir, de côté, tout le poids visuel de sa structure, et de face une certaine frugalité structurelle. Deux sensations renforcées par l'utilisation de courbes au niveau des zones de contact pour des questions de confort, mais aussi dans les angles. Une manière d'apporter de la fluidité à cet assemblage égayé par une galette aimantée en cuir lisse ou en tissu Kvadrat choisi par la galerie. En dessous, la surface à bois a été ajourée de manière à diminuer le poids de la chaise – déjà de 7,5kg – et solidifier la structure pour éviter qu'elle ne vrille.

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud

Proposée en chêne et en noyer, la Drift chair est disponible dans une version cérusée où le veinage naturel du bois devient porteur d'un monochrome très graphique. Une alternative utilisée par Joseph Hoffmann dès les années 30 et désormais réinterprétée avec goût par le studio BrichetZiegler.

Drift chair by Brichet Ziegler for Theoreme Éditions @Stéphane Ruchaud
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9/7/2025
À la CFOC, six décennies d'exploration

Créée par François Dautresme en 1965, la Compagnie Française de l'Orient et de la Chine (CFOC) fête ses 60 ans. À cette occasion, Valérie Mayéko Le Héno, architecte DPLG et directrice artistique depuis 2016, évoque les évolutions de cette société indissociable des savoir-faire asiatiques.

Voyageur passionné et aventurier en quête de nouveautés, François Dautresme a fondé la CFOC en 1965. Quelle place occupe aujourd'hui son héritage dans l'identité de la marque ?

En tant que directrice artistique de la marque depuis 2016, je crois pouvoir dire que la manière dont nous travaillons est assez proche du concept de départ puisque nous continuons de voyager beaucoup à travers l'Asie. C'est important de garder un pied dans cette zone, où se trouve une douzaine de pays avec lesquels nous collaborons, mais aussi au-delà – en Italie pour l'édition textile, au Maroc pour les éponges et la broderie, au Portugal pour le travail de l'acier et des couverts, et au Mexique pour la fibre de palme -, car ce que nous cherchons, c'est avant tout un savoir-faire particulier ou de nouvelles techniques. Nous partageons de fait la passion de l'artisanat, mais aussi le plaisir de trouver des ateliers familiaux, des petites structures. Cette notion est très importante pour nous, car depuis 1965, l'idée est de valoriser des produits manufacturés. À travers ça, l'héritage principal est sans doute celui d'être du contact.

Tapis Ombrelle Sépia ©CFOC

La place du geste est donc véritablement importante au sein de la CFOC, mais comment concilier les savoir-faire anciens et asiatiques avec les besoins des consommateurs européens ?

Il y a longtemps eu un gap entre nos deux régions. Il y a encore une quinzaine d'années, les arts de la table en Chine se limitaient majoritairement à des bols et à des baguettes tandis qu'il était coutume de s'asseoir proche du sol en Asie alors nous avions tendance à nous asseoir de plus en plus haut en Europe. Il a donc fallu adapter tout cela à nos usages. Dès les années 90, à l'époque où la CFOC proposait principalement du mobilier chiné, souvent aux Puces de Pékin, François Dautresme a commencé à dessiner des éléments destinés au marché français. Un premier pas que nous avons complètement généralisé en 2011-2012, en insufflant à la compagnie alors en perte de vitesse, une nouvelle vision davantage adaptée à nos modes de vie, aux usages.

Collection Lotus ©CFOC

Et comment cela se traduit-il en termes de création ?

Nous avons voulu faciliter l'échange de regard entre l'Europe et l'Asie. Un bureau de style est ainsi né à Paris. Nous y travaillons à deux pour ce qui est de la conception design, plus une troisième personne chargée de la production. Celle-ci est principalement basée en Asie, car nous n'avons pas d'intermédiaire, et c'est elle qui nous permet de développer des produits sur le long terme – généralement entre 4 et 10 mois – et d'entretenir des relations pérennes avec les ateliers pour ne pas être sur du one-shot. Pour la majorité d'entre eux, notre collaboration oscille entre 8 et 10 ans, et c'est ce qui nous permet de pousser les savoir-faire et développer de nouveaux produits.

Table basse ultra noir en chêne teinté ©CFOC

L'une des richesses de la CFOC, c'est également l'étendue des matériaux travaillés. Comment les réinvente-t-on pour ne pas tourner en rond au bout de 60 ans ?

En fait, la question est surtout technique. Ce sont généralement des déclinaisons. Par exemple pour la laque, dans les années 50 à 70, on ne trouvait que des couleurs naturelles. Progressivement, on a évolué vers des colorants alimentaires pour diversifier les teintes, sans pour autant perdre le savoir-faire ancestral à base de sève de laquier. Cette année, nous proposons par exemple deux nouvelles couleurs, le bleu jun et l'ambre jun que nous avons travaillé avec notre coloriste basé dans un village près de Hanoï, au Vietnam. Pour ce qui est du tissu, la CFOC évolue notamment en passant de fibres naturelles à des fibres textiles pour répondre à des besoins spécifiques. C'est le cas de notre tapis tressé Kilim (une technique indienne) où le jute est remplacé par de la laine.

Lampe de chevet Naméko en porcelaine et laiton et courtepointe Samarcande en velours de soie et lin ©CFOC

De manière plus précise, comment avez-vous pensé la collection anniversaire ?

Elle a été guidée par une démarche en quelque sorte historique. J'ai réuni les origines de la CFOC en me replongeant dans de vieux articles de presse, des archives photographiques des anciennes boutiques et leurs vitrines aux scénographies imaginées par François Dautresme, mais aussi des produits dans les catalogues de vente. Bref, je me suis immergé dans la riche histoire de la société et j'ai confronté le passé et le présent. C'est ça qui m'a amené à développer la forme des ombrelles pour nos tapis, le concept de naturalité, le travail du pojagi – une méthode de couture que l'on peut rapprocher du patchwork -, le velours de soie que l'on retrouve sur les contrepointes Samarcande travaillées avec du lin par des artisanes brodeuses, sans oublier la réédition d'objets dans le rouge CFOC. Tous ces axes nous ont permis de créer des pièces en série limitées ou numérotées.

Tabourets signature en coloris bleu jun, verveine et blanc ©CFOC

Sur le plan commercial, la CFOC s'est progressivement ouverte au B2B. Qu'est-ce que cela a changé dans votre approche et quels sont les prochains défis à venir ?

Effectivement ! Depuis plusieurs années, nous développons le B2B pour proposer nos services des chefs ou des établissements hôteliers. C'est une autre manière de voir les choses. L'un de nos projets significatif est certainement la réalisation de pièces sur mesure pour l'hôtel SO/ Paris réalisé par le cabinet RDAI et livré en 2022. Parallèlement à ces nouveaux marchés, nous souhaitons également développer notre notoriété et étendre notre réseau aujourd’hui composé de trois boutiques sur Paris et de revendeurs en région. Nous réfléchissons donc à ouvrir un nouveau showroom ou des pop-ups store dans des zones balnéaires.

Plateau haut Étamine ©CFOC
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