Jean-Baptiste Fastrez, la fonction narrative du design
© Jean Picon

Jean-Baptiste Fastrez, la fonction narrative du design

Rencontrer Jean-Baptiste Fastrez, c’est plonger dans un univers polysémique, riche en faux-semblant et en détournement des codes. De ses associations impensées naissent des objets qui nous sont pour autant familiers. Dans cette époque « disruptive », c’est la subtilité géniale de l’écriture de ce designer : à l’inverse d’un Magritte qui voudrait nous rappeler ce qu’est ou n’est pas la réalité, il nous propose des objets conteurs d’histoires, qui convoquent des images sans trahir leur usage.

Jean-Baptiste Fastrez fait partie du club prisé des « Ensciens » : en 2010, il sort de l’école de création industrielle en décrochant les félicitations du jury… après s’être accordé un an de césure de stage à l’agence de Ronan et Erwan Bouroullec. Comme il l’indique volontiers, autant dire qu’il a été formé dans la rigueur, l’exigence de la forme adéquate et de la qualité, qui ont marqué sa façon de travailler. Il a rejoint ensuite leur agence quelques années, avant de voler de ses propres ailes en ouvrant son studio en 2012. Il collabore depuis régulièrement avec différents éditeurs, institutions et galeries comme Moustache, Kreo, la Manufacture de Sèvres, Kvadrat, le CIRVA ou Tai Ping… À l’image du hamac Quetzalcoatl, certaines de ses créations ont intégré les collections permanente du CNAP, du Centre Pompidou et du musée des Arts Décoratifs de Paris.

Miroirs Nil pour Galerie Kreo © Jean-Baptiste Fastrez

Son envol ? Il le situe précisément au Grand Prix de la Design Parade de 2011 : « Mon parcours aujourd’hui ne serait pas ce qu’il est sans la Design Parade. Enfin l’accompagnement de la Villa Noailles dans son ensemble. Ça m’a tout apporté. »  En effet, durant le festival, il rencontre Stephane Arriubergé, fondateur de Moustache, avec qui il démarre rapidement une collaboration toujours prolixe. Il y reçoit aussi une dotation de la galerie Kreo, qui édite son projet. Il y noue des contacts avec Tai Ping, le Centre George Pompidou…: « c’est un endroit pivot, notamment pour des rencontres informelles. C’est aussi un lieu qui m’a soutenu dans les premières années, avec des missions qui étaient des apports financiers non négligeables à l’époque. Quand on rentre dans le système, il y a un côté très famille, on est accompagné. Ce réseau vous suit et vous donne de la visibilité. » La fidélité va dans les deux sens : dans le cadre cette année du centenaire de la Villa Noailles, il fait partie des trois finalistes retenus pour la réalisation d’une installation pérenne dans les jardins, le lauréat sera designé fin juillet.


Une histoire de chaînon manquant

Que Jean-Baptiste Fastrez réponde à cette commande artistique n’étonne pas : son travail est marqué par une certaine approche sculpturale de l’objet, proche dans d’une démarche d’art contemporain, mais avec retenue : « Il y a toujours ce risque de sortir du champ du design et d’être juste un mauvais artiste. Certains ont un côté disruptif, mais dans une foire d’art contemporain, quand on les replace dans les champs de l’histoire de l’art, c’est souvent une redite de ce qui a pu être fait dans les années soixante. » Mais il ne renie pas le caractère conceptuel qui nourrit son travail : « J’ai beaucoup créé de faux ready made, comme l’applique moto pour Moustache. On ne sait pas si c’est une visière de moto qui a été mise au mur ou un objet qui a été dessiné pour être en forme de visière de moto. »

Lampe Olo pour Moustache © Jean-Baptiste Fastrez

C’est ce twist de la rencontre improbable qui donne une énergie particulière à ses conceptions : « J’aime bien diffracter les codes, fragmenter l’ADN d’un objet, pour le reconstruire dans une autre sens. » Le vase Scarabée est ainsi troublant : la section qui relie les parties en céramique reprend l’ élastique en  « gros grain » propre aux masques de ski. Recherche-t-il le point médian ? Il nous répond plutôt chercher « le chaînon manquant entre deux éléments aussi éloignés que possible », et reprend l’exemple de la collection Vivarium éditée par la galerie Kreo et développée pour une exposition à Londres en 2019 : « être toujours au bord de la figuration m’intéresse. Je cherche à convoquer l’imaginaire en asséchant au maximum l’objet. J’aime cette frontière entre l’abstraction et la figuration. » Empruntée au vocabulaire stylistique de Charlotte Perriand, la table Crocodile de ce Vivarium reste dans la suggestion : avec ses bords en ogive, sa forme de calisson et la pierre verte, le crocodile émerge, ce qui ne serait pas le cas avec du marbre noir. De la même manière le miroir-serpent a les attributs du reptile, avec subtilité : « Il faut rester le plus simple possible pour garder un pouvoir d’ évocation. »

Table crocodile pour galerie Kreo © Jean-Baptiste Fastrez

Narration et fonction

Étudiant, déjà, il n’aimait pas expliquer ses projets : « Je considérais que si l’objet n’était pas capable de parler lui-même, c’est qu’il n’était pas suffisamment abouti. » Car Jean-Baptiste Fastrez aime jouer avec les matériaux, les formes, les narrations, pour former jeux de mots avec les objets. C’est ce qui traverse l’ensemble de son projet : « J’aime bien que les objets parlent d’eux-mêmes. Pour ça j’aime convoquer les images que l’on a dans notre inconscient collectif et les manipuler. » La question de la narration traverse d’ailleurs toute sa production : « Je ne mélange pas deux choses abstraites, mais des idées qui parlent à tout le monde, qui ne sont simplement pas habituellement associées. J’aime bien emprunter des codes pour raconter une histoire, comprise par des gens qui ne vont pas forcément intellectualiser le design.  J’aime mettre les objets dans un univers, comme au cinéma. »

Vase Scarabée pour Moustache © Jean-Baptiste Fastrez
Miroir Sphera pour Moustache © Jean-Baptiste Fastrez

Jean-Baptiste Fastrez, ses objets sont des formes de médias, en racontant une histoire, ils participent à la création d’une atmosphère dans un lieu. Ils assument une certaine présence. « Le précepte moderniste de la forme qui suit la fonction se traduit souvent par cette simplification d’aller vers le minimal, de réduire l’objet à leur fonction.  Mon postulat c’est que la fonction des objets dépasse leur fonction première la plupart du temps : par exemple un miroir va servir plus à décorer un intérieur qu’à se regarder dedans, compléter une atmosphère, un décor, que simplement vérifier son reflet. » Dans cette perspective, la fonction décorative du miroir prévaut sur sa fonction de réflexion, mais attention, ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas être intransigeant sur la qualité du reflet. Il précise en souriant : « On est forcément construit par les partenariats dans notre carrière. Kreo a une rigueur implacable sur l’usage. On ne fait pas de tables dont le dessus va se rayer, les lampes doivent éclairer, les meubles doivent être solides… Je me reconnais dans cette conception d’objets en série limitée qui ne perdent pas de vue l’usage. »


Vase Allpa pour Moustache © Jean-Baptiste Fastrez
Lampe Jelly Fish pour Galerie Kreo © Alexandra de Cossette

Il aime faire des objets ludiques, mais n’essaie pas de faire des objets drôles : dans le jeu de références dans lesquelles il inscrit le produit, il se crée un dialogue, empreint de tendresse comme d’espièglerie, nourri d’un partage des codes de l’enfance, très libre, et détourné : le projet de la lampe Olo chez Moustache donne ainsi à voir sans imposer : « La forme a été imaginée  pour recevoir des références :  des détails vintage, futuristes, voire des codes de Disney. La force de l’objet est d’exprimer un twist sur sa typologie d’origine. » Pour Olo, la forme en double optique rappelle un regard : la lampe en devient un personnage, et convoque des codes aussi bien de pop culture que de culture classique. Le tapis Neon édité par Tai Ping fonctionne de la même façon : le trait géométrique s’inscrit dans l’exploration de références urbaines, mais évoque pareillement Star Wars et Dan Flavin.

Matière première


La question du matériau est centrale dans ses projets : une grande partie tourne autour du fait d’associer une forme avec un matériau qui n’est pas habituel. Ce peut être un levier très puissant pour générer quelque chose de surprenant « La matière est un élément de narration, elle parle de l’origine. Elle nous rappelle des environnements, des usages. » Ce sera particulièrement percutant dans l’exposition qu’il prépare avec Kreo pour le début 2024 , avec des nouvelles pièces faites artisanalement mais qui auront l’air d’être issues d’une industrie futuriste : « Cette exposition questionnera les modes de production, la réalité de ce qui est artisanal et de ce qui ne l’est pas : on pense souvent que les éléments artisanaux sont en terre cuite et en verre soufflé et les pièces industrielles en aluminium alors que ce peut être l’inverse. Par exemple, des pièces fraisées en alu peuvent facilement exprimer l’idée d’une production industrielle mais sont en fait souvent des pièces réalisées à l’unité dans des ateliers de toute petite échelle. »

Banc Leopard pour Galerie Kreo © Jean-Baptiste Fastrez

Parallèlement à cette approche, l’exposition proposera une réflexion sur la croissance et la décroissance : « C’est très intéressant structurellement de mélanger cette esthétique de l’accélération vers le monde de demain, avec une autre esthétique, dominante dans notre société, qui est sur le ralentissement ; le retour à l’artisanat, aux savoir-faire. » Un programme pro-metteur. À la même période il proposera pour Concrete LCDA une collection et une scénographie valorisant une nouvelle formulation de panneaux en béton à partir de paille.

Mises en espace

Car la scénographie est aussi un terrain d’expression de Jean-Baptiste Fastrez : « C’est l’occasion de travailler en grands formats une narration. » À l’hôtel des Arts de Toulon, en 2021, il avait ainsi mis en espace des pièces de la collection de design italien du Centre Pompidou, avec à nouveau un jeu de sens : « Je suis parti en quelque sorte à la recherche du point médian entre de la muséographie dans un musée d’art contemporain et de l’architecture d’intérieur dans un hôtel particulier. J’avais un espace structuré, avec des pièces identifiées : bureau, salle de bains, chambre à coucher, etc. J’ai créé un principe de cimaises monochromes pour mettre en valeur cette évocation de fonctions traduites par les objets. » Pour les céramiques Ravel, en 2014, il investit une église désacralisée : « J’ai rempli l’église de pots autour du principe narratif du carroyage des fouilles sous-marines, soit la division en carrés d’une zone, ici matérialisée par des filets blancs. » Sachant qu’un balcon de l’église permettait une vue en surplomb, la présentation plaçait le spectateur dans la position d’un plongeur sous-marin et un fascicule nommait les pièces sous les codes d’une cartographie archéologique.

Tabouret FZ1 pour EO © Jean-Baptiste Fastrez

Dans un autre secteur, à Bordeaux, pour l’exposition « Paysans designers », il travaille des blocs végétalisés, tel un paysage morcelé, pour apporter le vivant dans le musée. Comme un rendez-vous régulier, en septembre, lors de la Paris Design Week, il présentera sa première chaise éditée avec Moustache ainsi qu’une collection de miroirs : « Avec Stéphane Arriubergé, on se retrouve toujours sur une envie de faire des choses différentes : Il est toujours là pour faire l’inverse de ce que l’on attend de lui ! » Et à l’automne, le Silmo dévoilera une nouvelle collection de lunettes qu’il a dessinées. Le designer se réjouit avec simplicité de cette actualité à venir : « Les gens consomment beaucoup les objets en images. Comme une chanson, une peinture: on regarde sans posséder. Avec les médias, les réseaux sociaux, mes objets vont être vus 99 % du temps en images plutôt que dans la réalité. C’est peut-être pour cela que j’aime qu’on les voie comme des objets extraits d’une narration.»

Rédigé par 
Nathalie Degardin

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3/11/2025
En Allemagne, une exposition inédite dédiée à Charlotte Perriand

À Krefeld, en Allemagne, l’exposition « Charlotte Perriand, l’art d’habiter », présentée jusqu’au 15 mars 2026 au Kaiser Wilhelm Museum, propose une rétrospective de l’œuvre de la designeuse à travers les différents concepts et structures de pensée sur les espaces domestiques, fruits de 70 ans de création.

« Le meilleur moyen de rendre hommage au travail de Charlotte, c'est de parler d’elle. » Voici les mots prononcés par Pernette Perriand-Barsac lors de l’inauguration de cette exposition inédite. En effet, pour ce qui s’avère être la plus grande rétrospective consacrée à Charlotte Perriand en Allemagne, la fille de la créatrice et son mari Jacques Barsac, tous deux en charge des archives Charlotte Perriand depuis sa disparition en 1999, ont choisi Krefeld comme premier point d’ancrage. « Ce qui est le plus difficile dans une exposition de Charlotte, c’est qu’on se base sur 70 ans de créations, mais que cela concerne aussi bien des projets d’architecture, de design ou de photographie. Les possibilités sont immenses », confiait Jacques Barsac.

Exposition "Charlotte Perriand. L’Art d’habiter", installation  in-situ au Kaiser Wilhelm Museum à Krefeld en Allemagne. Table en Forme libre, 1938 © FLC, VG Bild-Kunst, Bonn, 2025 © VG Bild Kunst, Bonn, 2025 Photo : Dirk Rose

Sous le commissariat de Katia Baudin, directrice du musée, et Waleria Dorogova et avec le soutien de Pernette Perriand-Barsac, Jacques Barsac ainsi que Cassina, cette exposition offre une nouvelle lecture du travail de la designeuse — d’abord connue pour sa collaboration avec Le Corbusier entre 1927 et la fin des années 1930, mais également pour avoir développé, tout au long de sa carrière, de nombreux projets et concepts répondant à des problématiques sociétales et environnementales, dont le parallèle avec celles que nous rencontrons encore aujourd’hui est presque troublant.

Une relecture à travers le prisme de l’aménagement domestique

Répartie sur 1 200 m², la partie principale de l’exposition présente plusieurs projets marquants : du célèbre Salon d’Automne de 1929 - spécialement reconstitué pour l’occasion -, à ses nombreuses expositions et collaborations au Japon - notamment le projet initié pour le ministère de l’Industrie entre 1940 et 1943 -, en passant par l’aménagement de la station des Arcs entre 1967 et 1988. Des projets qui nous font tous voyager dans le temps avec une certaine nostalgie, au cœur de son univers. « Il était important pour nous de reconstituer ces espaces en faisant vivre les pièces dans différents contextes, pour tenter de comprendre au mieux sa pensée », explique Katia Baudin.

Exposition "Charlotte Perriand. L’Art d’habiter", installation in-situ au Kaiser Wilhelm Museum à Krefeld en Allemagne. Reconstitution du salon d’Automne de 1929 par par Cassina © FLC, VG Bild-Kunst, Bonn, 2025 © VG Bild Kunst, Bonn, 2025 Photo : Dirk Rose

Fascinée par les matériaux et l’industrie, notamment le tube et l’acier, Charlotte Perriand a conçu de nombreuses pièces de mobilier devenues iconiques, à l’image de la chaise longue LC4 créée en 1928, avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret, le fauteuil Grand Confort ou encore sa célèbre table en forme libre de 1938, imaginée pour son appartement de Montparnasse à Paris, dont l’originale a été exceptionnellement prêtée par le Centre Pompidou pour l’exposition. Au total, ce sont près de 500 pièces de mobilier, croquis et photographies qui ponctuent les espaces et permettant de mieux saisir sa vision engagée et profondément réfléchie de l’aménagement domestique. « Charlotte Perriand n’était pas seulement designer, elle était aussi une instigatrice d’idées qu’elle publiait régulièrement. Elle ne se limitait pas au mobilier : elle s’intéressait aux humains et à leur manière de vivre, de façon globale », ajoute Katia Baudin.

Exposition "Charlotte Perriand, L’Art d’habiter", installation in-situ au Kaiser Wilhelm Museum à Krefeld en Allemagne. Banquette Méandre et Table basse Sicard, reconstruites par Cassina et la chaise-longue Tokyo prototype par Cassina © FLC, VG Bild-Kunst, Bonn, 2025 © VG Bild Kunst, Bonn, 2025 Photo : Dirk Rose


Aux Villas Haus Esters et Haus Lange, un focus sur son travail au Japon et ailleurs

Et qui dit rétrospective exceptionnelle, dit déploiement exceptionnel. En plus de la présentation au musée, l’exposition s’étend à un second espace, non loin de là, au sein des Villas Haus Esters et Haus Lange, toutes deux imaginées par Ludwig Mies van der Rohe en 1927. À la Haus Lange, la thématique centrale est « La Synthèse des Arts » et met en lumière le travail de Charlotte Perriand lors de ses séjours au Japon, en Indochine et au Brésil. Quant à la Haus Esters, elle accueille une exposition complémentaire, contextualisant la rétrospective du musée et proposant d’autres pièces issues de la collection d’art du Musée de Krefeld, articulées avec l’œuvre de Perriand.

Exposition « Charlotte Perriand, L’Art d’habiter », installation  in-situ à la villa Haus Lange. Bibliothèque Nuage, reconsitution par Cassina et Tabouret Berger, issues de la collection iMaestri de Cassina © VG Bild Kunst, Bonn, 2025 Photo : Dirk Rose

Une exposition itinérante à l’échelle européenne

Présentée pendant quatre mois et demi, jusqu’au 15 mars 2026 à Krefeld, l’exposition voyagera ensuite vers deux autres institutions européennes, avec l’objectif d’élargir encore la portée internationale du travail de la designeuse. Ainsi, du 1er mai au 13 septembre 2026, elle sera présentée au Musée d’Art Moderne de Salzbourg, en Autriche, avant de s’installer à la Fondation Joan Miró, à Barcelone, du 22 octobre 2026 au 27 février 2027. Une même exposition installée au sein de différents espaces, offrant à chaque fois une nouvelle interprétation et une scénographie repensée, de quoi continuer à faire vivre l’œuvre de Charlotte Perriand encore longtemps.

Exposition « Charlotte Perriand, L’Art d’habiter », installation  in-situ à la villa Haus Lange. Chaises Ombra Tokyo, issues de la collection iMaestri de Cassina © FLC, VG Bild-Kunst, Bonn, 2025 © VG Bild Kunst, Bonn, 2025 Photo : Dirk Rose
Exposition « Charlotte Perriand, L’Art d’habiter », installation in-situ à la villa Haus Lange. Tabourets Berger, issus de la collection iMaestri de Cassina et Table basse Rio, prototypée par Cassina © VG Bild Kunst, Bonn, 2025 Photo : Dirk Rose
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6/11/2025
Les faits et gestes d’Hugo Besnier exposés le long de la Seine

Fondateur d’Hartis, le designer Hugo Besnier investit jusqu’au 30 novembre un appartement parisien, quai Anatole-France, pour y présenter sa nouvelle collection : Tour de Mains.

« C’est un appartement qui m’a toujours fait rêver. Pouvoir y exposer aujourd’hui est une chance », annonce Hugo Besnier depuis la vaste véranda de cet appartement ouvert sur la Seine. C’est dans cette ancienne propriété du couturier Pierre Cardin, prêtée par l’agence Barnes jusqu’au 30 novembre, que le fondateur d’Hartis présente Tour de Mains, sa nouvelle collection. Composée d’une trentaine de pièces, pour la majorité nouvelles à l’exception de quelques éléments imaginés pour des projets précédents mais redessinées, la collection se découvre de salle en salle. Transcription de l’univers d’Hugo Besnier, celle-ci a été imaginée pour fonctionner comme un tout. « Mon but était de créer un ensemble harmonieux, mais en évitant à tout prix l’effet catalogue, avec le même détail et la même finition partout. C’est quelque chose à la mode, mais je voulais absolument éviter cette facilité », revendique le designer, qui est à l’origine d’un ensemble avant tout usuel, dans lequel « on n’a pas peur de poser un verre ou de s’asseoir ».

©Matthieu Salvaing

Le geste créateur

La chaise Biseau, la table d’appoint Cintrage ou encore la suspension Ciselure. En lisant le catalogue de l’exposition, la philosophie d’Hugo Besnier s’impose rapidement. « Chaque pièce porte le nom d’une technique artisanale ou d’un outil, car Tour de Mains est un hommage à l’écosystème de l’artisanat. » Conçue avec l’appui des Meilleurs Ouvriers de France et des Compagnons, la collection a été imaginée comme un vecteur de mise en valeur du geste : de celui du dessinateur, auquel le designer se prêtait déjà enfant lorsqu’il s’ennuyait à l’école, jusqu’à celui du fabricant. Un principe guidé par la rencontre de deux mondes : celui d’une construction rationnelle, fruit de l’intelligence humaine d’une part, et la notion d’évolution plus aléatoire et organique de la nature d’autre part. Une dualité héritée de son enfance passée entre Fontainebleau et Paris ; « les arbres et les immeubles haussmanniens » mais aussi caractéristique de ses inspirations. « Le mobilier Louis XIV et le repoussement des limites artisanales dans une sorte de perfection, parfois au détriment du fonctionnalisme, me parlent tout autant que son opposé, le style scandinave. Quant au Wabi-Sabi et à l’idée de beauté dans l’imperfection, j’y vois une certaine résonance avec mon approche », assure le designer, dont la collection a été l’occasion de développer de nouvelles techniques, parmi lesquelles le ponçage et le polissage de la croûte de cuir.

©Matthieu Salvaing

Un parcours façonné par la création

Inspiré par les dessins de sa mère et la délicatesse de sa grand-mère, « qui dissimulait les portes et recherchait l’harmonie en accommodant les meubles avec des fleurs de saison », le designer se souvient avoir « toujours voulu être architecte d’intérieur ». Mais c’est lors de ses études en école de commerce que l’idée se concrétise, avec son premier appartement étudiant « entièrement dessiné pour qu’il ne ressemble à aucun autre ». Un projet personnel qui l’amène rapidement à repenser l’intérieur de l’hôtel particulier de son parrain de promotion. Dès lors, la machine est lancée et Hartis naît en 2020. Puis les choses s’enchaînent : d’abord sur le continent américain, avec un premier article dans le AD américain, puis une place dans la Objective Gallery de Soho, d’où naîtront plusieurs projets. Ce n’est qu’avec Tour de Mains que le designer revient sur la scène française. Un projet mené dans la continuité de son parcours, dans lequel la qualité du geste est aujourd’hui le qualificatif premier de son approche.

©Matthieu Salvaing
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4/11/2025
Fumi, pour un hiver scandinave

Le designer Guillaume Delvigne et la marque Eldvarm se sont associés pour créer Fumi. Une collection hivernale chaleureuse où les esprits scandinaves et japonais se rencontrent.

L’hiver approche et, avec lui, tout son lot d’objets réconfortants et utiles. Principalement connu pour ses pièces de mobilier, le designer Guillaume Delvigne a collaboré avec Louise Varre, fondatrice de la marque Eldvarm. Créée en 2015 à Stockholm et spécialisée dans les accessoires de cheminée, cette dernière marie design scandinave et savoir-faire français. Un mélange porteur de sens pour le créateur formé à l’École de design de Nantes Atlantique puis au Politecnico di Milano, et ancien collaborateur de Marc Newson. Frugale dans sa composition, avec pour seules pièces essentielles un serviteur et un range-bûches, la collection Fumi l’est aussi dans son esthétique. Un parti pris imaginé pour coller aux intérieurs épurés et contemporains dans lesquels les poêles à bois remplacent progressivement les cheminées volumineuses. Un point de départ contextuel qui a poussé le designer à chercher l’inspiration bien au-delà de la Scandinavie.

Faire feu de tout bois pour la sobriété

« Je voulais créer quelque chose que l’on est heureux d’utiliser, mais aussi de montrer », explique Guillaume Delvigne, dont le projet s’inscrit dans l’esthétique sobre caractéristique d’Eldvarm. Et pour cela, quelle meilleure inspiration que le pays du Soleil-Levant ? Inspiré par les balais japonais dont le manche se termine par une forme d’éventail, le designer a fait de la géométrie son axe de recherche principal. « Ce que Louise appréciait dans mes objets, c’était l’aspect sculptural de mon travail », relève le designer. Un constat qui l’amène à penser des objets qui puissent être « scénographiés comme des œuvres d’art » et à travailler l’acier thermolaqué et des essences naturelles comme le bois et le frêne. Une matière inerte et une autre noble, assemblées par des vis volontairement laissées visibles. Une manière pour le créateur de souligner les connexions culturelles et techniques, mais également d’assurer un design « minimal sans être simpliste », conclut Louise Varre.

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31/10/2025
Le Collectionneur, une plongée Art déco dans l'univers d'Edgar Jayet

Présenté dans l'Hôtel de Maisons à l'occasion de Design Miami Paris, Le Collectionneur est un ensemble dessiné par le designer Edgar Jayet. Fruit d'une collaboration avec la Maison Lelièvre, la composition s'affirme comme un hommage à l'Art déco.

Des œuvres de Jacques Maillol, deux vases romains du IIe siècle après J.-C., des luminaires de la Maison Delisle ou encore des objets signés Puiforcat et Saint-Louis. C'est au milieu de ce qui pourrait ressembler à une reconstitution historique de l’entre-deux-guerres qu'Edgar Jayet a présenté Le Collectionneur. Portée par Paragone à l’occasion de Design Miami Paris, la collection prend place dans un décor imaginé comme un hommage libre au pavillon conçu par le décorateur Jacques-Émile Ruhlmann en 1925. Largement inspirée du mouvement Art déco, qui célèbre cette année ses cent ans et auquel la scénographie fait écho, la collection a été imaginée en collaboration avec la Maison Lelièvre. Une association née d'une rencontre début 2024 entre le designer et Emmanuel Lelièvre, directeur de la marque, mais aussi « de l'idée de tisser un lien avec une manufacture comme le faisaient les ensembliers il y a un siècle ». L'occasion de co-construire ce projet dont les textiles ont façonné les contours.

©Oskar Proctor

Un centenaire inspirant

Connu pour son approche « dix-neuviémiste » liée à la compréhension des systèmes constructifs (comme en témoigne la collection Unheimlichkeit présentée fin 2024), Edgar Jayet s'est cette fois-ci attaqué, plus qu’à une technique, à un style. « Je ne crois pas à la création ex nihilo et je ne pense pas que l'on réinvente les choses. Le Collectionneur est davantage un regard de notre époque porté sur un mouvement. Les assemblages ont été réalisés à la main comme en 1925, mais c'est surtout le choix des matérialités, comme le sycomore ou le nickel argenté, et des codes esthétiques propres à l'Art déco, qui connectent mes objets à ce style. » Pour cette nouvelle collection, le designer a imaginé trois typologies d'objets inspirés de l'univers du voyage : une armoire, une méridienne de 1925 millimètres et des malles auxquelles vient s’ajouter un tapis. « L'Art déco s'est exporté dans le monde entier. C'est d'ailleurs ce que l'on a appelé le style paquebot, puisqu'il était associé aux grands transatlantiques pour lesquels Ruhlmann a beaucoup travaillé. C'est d’ailleurs lui qui a créé en 1925 l'Hôtel du Collectionneur. C’était un véritable lieu manifeste de l’Art déco dans lequel tout était sur mesure et très personnalisé. On voulait retrouver ça, mais avec une typologie plus inhabituelle. » Un cheminement qui amène le designer vers « le salon de bain », un espace plus intimiste à la croisée « du boudoir et de la dressing-room », qui donnera son nom à la scénographie de l’exposition : Le Bain du Collectionneur.

©Oskar Proctor

Au bout du fil, le savoir-faire Lelièvre

« Le modus operandi de cette collection ? Le même que Jacques-Émile Ruhlmann à l'époque. Travailler ensemble, avec les meilleurs artisans, pour créer un ensemble qui ait du sens », résume Edgar Jayet. Si la collection a vu le jour en une quinzaine de mois grâce à l’investissement de six partenaires (Les Ateliers de la Chapelle, Jouffre, les Ateliers Fey, Maison Fontaine, Atelier Yszé), spécialisés dans la serrurerie d'art, la gainerie ou encore le travail du laiton, c'est avec la Maison Lelièvre que les contours de la collection ont été tissés. « Tout s'est fait lors d'une rencontre dans le showroom, explique Emmanuel Lelièvre. Je lui ai montré un certain nombre de créations récentes, mais également d'archives Art déco que nous présentions dans le cadre d’une rétrospective en janvier. » Une immersion à l’origine d’un corpus d’étoffes très différentes choisi par Edgar Jayet. Parmi elles, une moire noire synthétique à l'aspect ancien. « C'est un tissu très technique adapté au yachting ou à la restauration, mais qui rappelle très bien les textiles Art déco et c’est ce qui m’a plu », explique le créateur. Un choix sobre, combiné à Rêverie, une réédition ornementale d'une des archives de la marque, et réinterprétée par le designer sur le dos de la malle. « Comme nous n'avions pas le temps de modifier les tissus existants, le petit twist a été d'utiliser Rêverie à l'envers. » Une manière pour le créateur de flouter légèrement le visuel en lui apportant une touche plus contemporaine. Un petit pas de côté dans l'utilisation classique des textiles d'ameublement, dont une gamme en fibres naturelles a également été utilisée. Trois sortes très différentes sur le plan stylistique, mais également technique, « venues conforter l'idée d'un mobilier de voyage ». Le Collectionneur, « ce n'était pas simplement l'idée de faire des pièces historiques visibles dans une galerie, mais de repenser certains codes pour faire de l'usuel », résume Emmanuel Lelièvre. Plus qu'un hommage aux ensembliers de l'Art déco, c'est donc surtout un hommage à l'union des savoir-faire que Le Bain du Collectionneur semble abreuver.

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