Jean-Baptiste Fastrez, la fonction narrative du design
© Jean Picon

Jean-Baptiste Fastrez, la fonction narrative du design

Rencontrer Jean-Baptiste Fastrez, c’est plonger dans un univers polysémique, riche en faux-semblant et en détournement des codes. De ses associations impensées naissent des objets qui nous sont pour autant familiers. Dans cette époque « disruptive », c’est la subtilité géniale de l’écriture de ce designer : à l’inverse d’un Magritte qui voudrait nous rappeler ce qu’est ou n’est pas la réalité, il nous propose des objets conteurs d’histoires, qui convoquent des images sans trahir leur usage.

Jean-Baptiste Fastrez fait partie du club prisé des « Ensciens » : en 2010, il sort de l’école de création industrielle en décrochant les félicitations du jury… après s’être accordé un an de césure de stage à l’agence de Ronan et Erwan Bouroullec. Comme il l’indique volontiers, autant dire qu’il a été formé dans la rigueur, l’exigence de la forme adéquate et de la qualité, qui ont marqué sa façon de travailler. Il a rejoint ensuite leur agence quelques années, avant de voler de ses propres ailes en ouvrant son studio en 2012. Il collabore depuis régulièrement avec différents éditeurs, institutions et galeries comme Moustache, Kreo, la Manufacture de Sèvres, Kvadrat, le CIRVA ou Tai Ping… À l’image du hamac Quetzalcoatl, certaines de ses créations ont intégré les collections permanente du CNAP, du Centre Pompidou et du musée des Arts Décoratifs de Paris.

Miroirs Nil pour Galerie Kreo © Jean-Baptiste Fastrez

Son envol ? Il le situe précisément au Grand Prix de la Design Parade de 2011 : « Mon parcours aujourd’hui ne serait pas ce qu’il est sans la Design Parade. Enfin l’accompagnement de la Villa Noailles dans son ensemble. Ça m’a tout apporté. »  En effet, durant le festival, il rencontre Stephane Arriubergé, fondateur de Moustache, avec qui il démarre rapidement une collaboration toujours prolixe. Il y reçoit aussi une dotation de la galerie Kreo, qui édite son projet. Il y noue des contacts avec Tai Ping, le Centre George Pompidou…: « c’est un endroit pivot, notamment pour des rencontres informelles. C’est aussi un lieu qui m’a soutenu dans les premières années, avec des missions qui étaient des apports financiers non négligeables à l’époque. Quand on rentre dans le système, il y a un côté très famille, on est accompagné. Ce réseau vous suit et vous donne de la visibilité. » La fidélité va dans les deux sens : dans le cadre cette année du centenaire de la Villa Noailles, il fait partie des trois finalistes retenus pour la réalisation d’une installation pérenne dans les jardins, le lauréat sera designé fin juillet.


Une histoire de chaînon manquant

Que Jean-Baptiste Fastrez réponde à cette commande artistique n’étonne pas : son travail est marqué par une certaine approche sculpturale de l’objet, proche dans d’une démarche d’art contemporain, mais avec retenue : « Il y a toujours ce risque de sortir du champ du design et d’être juste un mauvais artiste. Certains ont un côté disruptif, mais dans une foire d’art contemporain, quand on les replace dans les champs de l’histoire de l’art, c’est souvent une redite de ce qui a pu être fait dans les années soixante. » Mais il ne renie pas le caractère conceptuel qui nourrit son travail : « J’ai beaucoup créé de faux ready made, comme l’applique moto pour Moustache. On ne sait pas si c’est une visière de moto qui a été mise au mur ou un objet qui a été dessiné pour être en forme de visière de moto. »

Lampe Olo pour Moustache © Jean-Baptiste Fastrez

C’est ce twist de la rencontre improbable qui donne une énergie particulière à ses conceptions : « J’aime bien diffracter les codes, fragmenter l’ADN d’un objet, pour le reconstruire dans une autre sens. » Le vase Scarabée est ainsi troublant : la section qui relie les parties en céramique reprend l’ élastique en  « gros grain » propre aux masques de ski. Recherche-t-il le point médian ? Il nous répond plutôt chercher « le chaînon manquant entre deux éléments aussi éloignés que possible », et reprend l’exemple de la collection Vivarium éditée par la galerie Kreo et développée pour une exposition à Londres en 2019 : « être toujours au bord de la figuration m’intéresse. Je cherche à convoquer l’imaginaire en asséchant au maximum l’objet. J’aime cette frontière entre l’abstraction et la figuration. » Empruntée au vocabulaire stylistique de Charlotte Perriand, la table Crocodile de ce Vivarium reste dans la suggestion : avec ses bords en ogive, sa forme de calisson et la pierre verte, le crocodile émerge, ce qui ne serait pas le cas avec du marbre noir. De la même manière le miroir-serpent a les attributs du reptile, avec subtilité : « Il faut rester le plus simple possible pour garder un pouvoir d’ évocation. »

Table crocodile pour galerie Kreo © Jean-Baptiste Fastrez

Narration et fonction

Étudiant, déjà, il n’aimait pas expliquer ses projets : « Je considérais que si l’objet n’était pas capable de parler lui-même, c’est qu’il n’était pas suffisamment abouti. » Car Jean-Baptiste Fastrez aime jouer avec les matériaux, les formes, les narrations, pour former jeux de mots avec les objets. C’est ce qui traverse l’ensemble de son projet : « J’aime bien que les objets parlent d’eux-mêmes. Pour ça j’aime convoquer les images que l’on a dans notre inconscient collectif et les manipuler. » La question de la narration traverse d’ailleurs toute sa production : « Je ne mélange pas deux choses abstraites, mais des idées qui parlent à tout le monde, qui ne sont simplement pas habituellement associées. J’aime bien emprunter des codes pour raconter une histoire, comprise par des gens qui ne vont pas forcément intellectualiser le design.  J’aime mettre les objets dans un univers, comme au cinéma. »

Vase Scarabée pour Moustache © Jean-Baptiste Fastrez
Miroir Sphera pour Moustache © Jean-Baptiste Fastrez

Jean-Baptiste Fastrez, ses objets sont des formes de médias, en racontant une histoire, ils participent à la création d’une atmosphère dans un lieu. Ils assument une certaine présence. « Le précepte moderniste de la forme qui suit la fonction se traduit souvent par cette simplification d’aller vers le minimal, de réduire l’objet à leur fonction.  Mon postulat c’est que la fonction des objets dépasse leur fonction première la plupart du temps : par exemple un miroir va servir plus à décorer un intérieur qu’à se regarder dedans, compléter une atmosphère, un décor, que simplement vérifier son reflet. » Dans cette perspective, la fonction décorative du miroir prévaut sur sa fonction de réflexion, mais attention, ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas être intransigeant sur la qualité du reflet. Il précise en souriant : « On est forcément construit par les partenariats dans notre carrière. Kreo a une rigueur implacable sur l’usage. On ne fait pas de tables dont le dessus va se rayer, les lampes doivent éclairer, les meubles doivent être solides… Je me reconnais dans cette conception d’objets en série limitée qui ne perdent pas de vue l’usage. »


Vase Allpa pour Moustache © Jean-Baptiste Fastrez
Lampe Jelly Fish pour Galerie Kreo © Alexandra de Cossette

Il aime faire des objets ludiques, mais n’essaie pas de faire des objets drôles : dans le jeu de références dans lesquelles il inscrit le produit, il se crée un dialogue, empreint de tendresse comme d’espièglerie, nourri d’un partage des codes de l’enfance, très libre, et détourné : le projet de la lampe Olo chez Moustache donne ainsi à voir sans imposer : « La forme a été imaginée  pour recevoir des références :  des détails vintage, futuristes, voire des codes de Disney. La force de l’objet est d’exprimer un twist sur sa typologie d’origine. » Pour Olo, la forme en double optique rappelle un regard : la lampe en devient un personnage, et convoque des codes aussi bien de pop culture que de culture classique. Le tapis Neon édité par Tai Ping fonctionne de la même façon : le trait géométrique s’inscrit dans l’exploration de références urbaines, mais évoque pareillement Star Wars et Dan Flavin.

Matière première


La question du matériau est centrale dans ses projets : une grande partie tourne autour du fait d’associer une forme avec un matériau qui n’est pas habituel. Ce peut être un levier très puissant pour générer quelque chose de surprenant « La matière est un élément de narration, elle parle de l’origine. Elle nous rappelle des environnements, des usages. » Ce sera particulièrement percutant dans l’exposition qu’il prépare avec Kreo pour le début 2024 , avec des nouvelles pièces faites artisanalement mais qui auront l’air d’être issues d’une industrie futuriste : « Cette exposition questionnera les modes de production, la réalité de ce qui est artisanal et de ce qui ne l’est pas : on pense souvent que les éléments artisanaux sont en terre cuite et en verre soufflé et les pièces industrielles en aluminium alors que ce peut être l’inverse. Par exemple, des pièces fraisées en alu peuvent facilement exprimer l’idée d’une production industrielle mais sont en fait souvent des pièces réalisées à l’unité dans des ateliers de toute petite échelle. »

Banc Leopard pour Galerie Kreo © Jean-Baptiste Fastrez

Parallèlement à cette approche, l’exposition proposera une réflexion sur la croissance et la décroissance : « C’est très intéressant structurellement de mélanger cette esthétique de l’accélération vers le monde de demain, avec une autre esthétique, dominante dans notre société, qui est sur le ralentissement ; le retour à l’artisanat, aux savoir-faire. » Un programme pro-metteur. À la même période il proposera pour Concrete LCDA une collection et une scénographie valorisant une nouvelle formulation de panneaux en béton à partir de paille.

Mises en espace

Car la scénographie est aussi un terrain d’expression de Jean-Baptiste Fastrez : « C’est l’occasion de travailler en grands formats une narration. » À l’hôtel des Arts de Toulon, en 2021, il avait ainsi mis en espace des pièces de la collection de design italien du Centre Pompidou, avec à nouveau un jeu de sens : « Je suis parti en quelque sorte à la recherche du point médian entre de la muséographie dans un musée d’art contemporain et de l’architecture d’intérieur dans un hôtel particulier. J’avais un espace structuré, avec des pièces identifiées : bureau, salle de bains, chambre à coucher, etc. J’ai créé un principe de cimaises monochromes pour mettre en valeur cette évocation de fonctions traduites par les objets. » Pour les céramiques Ravel, en 2014, il investit une église désacralisée : « J’ai rempli l’église de pots autour du principe narratif du carroyage des fouilles sous-marines, soit la division en carrés d’une zone, ici matérialisée par des filets blancs. » Sachant qu’un balcon de l’église permettait une vue en surplomb, la présentation plaçait le spectateur dans la position d’un plongeur sous-marin et un fascicule nommait les pièces sous les codes d’une cartographie archéologique.

Tabouret FZ1 pour EO © Jean-Baptiste Fastrez

Dans un autre secteur, à Bordeaux, pour l’exposition « Paysans designers », il travaille des blocs végétalisés, tel un paysage morcelé, pour apporter le vivant dans le musée. Comme un rendez-vous régulier, en septembre, lors de la Paris Design Week, il présentera sa première chaise éditée avec Moustache ainsi qu’une collection de miroirs : « Avec Stéphane Arriubergé, on se retrouve toujours sur une envie de faire des choses différentes : Il est toujours là pour faire l’inverse de ce que l’on attend de lui ! » Et à l’automne, le Silmo dévoilera une nouvelle collection de lunettes qu’il a dessinées. Le designer se réjouit avec simplicité de cette actualité à venir : « Les gens consomment beaucoup les objets en images. Comme une chanson, une peinture: on regarde sans posséder. Avec les médias, les réseaux sociaux, mes objets vont être vus 99 % du temps en images plutôt que dans la réalité. C’est peut-être pour cela que j’aime qu’on les voie comme des objets extraits d’une narration.»

Rédigé par 
Nathalie Degardin

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24/10/2025
Scarabei, la nouvelle composition de Giopato & Coombes

La marque italienne Giopato & Coombes dévoile Scarabei, un luminaire en aluminium inspirée de la nature.

C’est une collection à regarder à la lumière de ces inspirations. Imaginée par Cristiana Giopato et Christopher Coombes, fondateurs du studio éponyme, Scarabei pourrait être désignée comme une collection biomimétique. Inspirés « par les processus de propagation visibles dans la nature », les designers ont cherché à traduire les notions « de rythme, de répétition et de variation ». C’est donc en considérant la lumière comme un organisme à part entière qu’ils se sont penchés sur la faune, et plus précisément sur le scarabée, un animal symbolisant souvent la métamorphose et la renaissance. Une inspiration à l’origine des petites cavités rappelant, à certains égards, des chrysalides d’où émergent ces insectes. En résulte une série de luminaires née « d'une étude de la modularité expansive » offrant des compositions en équilibre « entre géométrie et variation structurelle ».

Scarabei ©Giopato & Coombes

Les aspérités d’une technique artisanale

D’abord intéressés par l’idée de propagation, les designers ont commencé « par travailler en deux dimensions, sur papier, et par l'intermédiaire de matériaux physiques tels que les croquis au crayon et à l'encre ». Une phase qui a permis aux premières ébauches d’émerger. Ce n’est que dans un second temps que l’étude des formes a débuté, et ce, de manière empirique. « Nous avons d’abord créé des masses à l’aide de papier aluminium puis d’argile. Nous préférions travailler le matériau physiquement et ensuite passer à sa transformation numérique en le scannant en trois dimensions. » Une méthode de travail qui a poussé les deux designers vers le moulage au sable. Une technique artisanale, réalisée dans une fonderie italienne, permettant de combiner les détails des moules en terre réalisés à la main, et la matérialité brute et authentique de la fonte. Réalisé en aluminium, chaque module est ensuite retravaillé à la main et patiné dans l’un des cinq coloris disponibles (aluminium brut, aluminium poli, noirci, bronzé, blanc minéral). Dotés d’une source lumineuse, les dômes concaves sont ensuite refermés avec une lamelle de verre opalin, laissant passer une lumière homogène et permettant à chacun de révéler les aspérités de son voisin. Une cohabitation rappelant, à la lumière de Scarabei, la force de la composition.

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22/10/2025
EspritContract : au sein du groupe Mobliberica, on mise sur la diversité

Les marques Musola, Mobliberica et Dressy, spécialisées dans le mobilier outdoor pour la première et l’indoor pour les deux autres, comptent une expérience de plus de 45 ans. Trois marques réunies au sein d’un même groupe qui permet ainsi d’avoir une offre riche et diversifiée, pour s’adapter au mieux à tous les projets. Analyse auprès de José Martinez, export manager chez Mobliberica.

Pour sa troisième édition, EspritContract se tiendra du 15 au 18 novembre au Parc des Expositions de la Porte de Versailles. Plus d’informations sur : https://www.espritmeuble.com/le-salon/secteurs/secteur-contract.htm

Que représente le secteur contract au sein de votre groupe (produits/projets, ventes...) ?


Mobliberica, la première marque du groupe est née en 1979 et dès ses débuts, la qualité était partie prenante de notre ADN. Cela nous a permis, au cours de ces 46 dernières années, de développer des produits avec des caractéristiques techniques qui les rendent idéal aussi bien pour le canal résidentiel que pour le canal contract, et de nous étendre ensuite à nos autres marques qui sont Musola et Dressy. Le secteur contract a toujours été un domaine d'une grande importance dans l’histoire du groupe, et nous le développons tout particulièrement en ce moment. Cela passe par des collaborations avec designers ainsi qu'avec une équipe interne expérimentée. En résultent ainsi des produits avec un très haut niveau de qualité et de design, développés et fabriqués entièrement au sein de nos usines.

Vous avez également les marques Mobliberica et Dressy dans le groupe. Les projets contract sont-ils connectés entre elles ?


Mobliberica, Musola et Dressy sont trois marques appartenant à la même entreprise, ce qui permet à nos partenaires de mieux comprendre notre offre en différenciant clairement les pièces de mobilier indoor proposées par Mobliberica et Dressy avec l’outdoor à travers Musola. Le fait de proposer des produits pour les différentes zones d’un projet facilite considérablement le travail de nos clients en réduisant le nombre de fournisseurs nécessaires.

Quels changements/évolutions avez-vous observés ces dernières années ?


Les produits contract ne se distinguent plus de ceux produit destinés au résidentiel. C’est donc à nous d’harmoniser et humaniser au maximum les espaces, en les rendant plus confortables et accueillants pour que les produits s’adaptent au mieux aux usages.

Y a-t-il un projet important dont vous aimeriez parler ?


La diversité de notre offre nous permet de participer à des projets très variés, comme le rooftop d’un hôtel sur la Côte d’Azur, un restaurant dans une station de ski dans les Alpes, une bibliothèque à Berlin ou encore des chambres d’un coliving à Paris. Des projets très attractifs au sein desquels la priorité est donnée à la qualité et au design.

Des nouveautés à venir ?


Nous avons un puissant département de développement produit qui nous permet de lancer en permanence des nouveautés intéressantes, en offrant des solutions techniques, des matériaux et des designs pour proposer des solutions innovantes.

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24/10/2025
Jean-Philippe Nuel : de l’architecture au mobilier

L’architecte et designer Jean-Philippe Nuel a livré trois projets architecturaux au cours de l’été. L’occasion pour lui de développer deux nouvelles assises en collaboration avec Talenti et Duvivier Canapés.

Architecte multi-facettes, Jean-Philippe Nuel s’est une nouvelle fois illustré cet été avec la livraison de trois projets hôteliers. Témoignant de son attachement à une « approche contextuelle, fondée sur le sens, l’histoire et la captation d’éléments didactiques », l’architecte décorateur a signé trois cadres de vie aux identités radicalement différentes, mais unis par une même volonté : concevoir des espaces enracinés dans leur territoire et ouverts sur le monde. De la métamorphose du dernier étage du Negresco à Nice, hommage élégant et contemporain à Jeanne Augier, à la création de L’Isle de Leos Hotel & Spa en Provence, imaginé comme une maison d’hôtes intime et chaleureuse, en passant par le Talaia Hotel & Spa à Biarritz, écrin minéral et marin suspendu au-dessus de l’océan, Jean-Philippe Nuel conserve l’idée d’un dialogue entre le lieu, l’architecture et le mobilier. Une approche qui l’a conduit à collaborer avec Talenti et Duvivier Canapés pour développer deux nouvelles gammes, désormais pérennisées par les marques.

Le Talaia Hotel & Spa de Biarritz ©FrancisAmiand

L’espace à l’origine de l’objet

Chez Jean-Philippe Nuel, le mobilier naît rarement d’une idée abstraite, mais plutôt d’un « besoin généré par l’architecture », explique-t-il. « Quand on conçoit une chambre d’hôtel, on a souvent besoin d’un bridge. On ne veut pas d’une simple chaise, mais il faut que l’assise reste manœuvrable pour s’adapter à différents usages. En 2021-2022, j’ai donc dessiné cette pièce, car il en existait en réalité assez peu sur le marché. » Destinée à l’origine à un projet hôtelier avorté à New York, la pièce au design sobre et classique a malgré tout été réalisée par Duvivier Canapés sous le nom de colection Barbara. D’abord implantée dans un hôtel à Reims, elle a fini par trouver sa place au Negresco, dans le cadre de la rénovation estivale. « À l’image de cette pièce, mes objets naissent souvent d’un lieu, d’un besoin précis. Ce n’est que dans un second temps que se pose la question de leur adoption par une marque et de leur intégration dans une collection », précise le designer. C’est notamment le cas d’une autre collaboration, cette fois avec Talenti, imaginée dans le cadre du projet de L’Isle-sur-la-Sorgue. Nommée Riva, la collection s’inspire du nautisme et du quiet luxury. D’abord pensée pour le monde de l’hôtellerie, puis intégrée à des projets de yachting, l’assise, reconnaissable à son large piètement en bois sur l’avant, a été ajoutée au catalogue de la marque italienne. « Nous avons néanmoins dû redimensionner certaines pièces. Le piètement initial, assez épais, a été redessiné pour plus de légèreté et de durabilité. Mais la générosité de la chaise, son aspect presque surdimensionné, demeure. » Ce processus d’ajustement accompagne souvent la transition d’une pièce sur mesure vers l’édition. « C’est par exemple ce qui s’est produit au Negresco, pour un canapé en forme de banane de quatre mètres de long. On nous a dit qu’il était trop grand : il a fallu le repenser pour un cadre plus classique. »

La Suite Jeanne&Paul et les assises de la collection Barbara imaginées par Jean-Philippe Nuel ©Grégoire_Gardette

Une approche transversale et lisible

Architecte de formation, mais aujourd’hui davantage tournée vers l’aménagement intérieur, Jean-Philippe Nuel revendique une posture transversale. « Même si ma notion de création s’est un peu déplacée, j’aime garder un œil sur toutes les étapes d’un projet. C’est peut-être lié au marché anglo-saxon, où les architectes ne s’occupent pas des intérieurs ni de la décoration. En Europe, c’est différent, mais comme je travaille beaucoup à l’étranger, le curseur s’est un peu déplacé. » Connu pour la diversité de ses réalisations, le créateur défend avant tout une cohérence du lieu. « Je garde un style que je ne renie pas, sans fioritures, avec une lisibilité dans la mise en place des éléments. » De L’Isle-sur-la-Sorgue, où la présence d’antiquaires a inspiré un dialogue entre objets anciens et mobilier contemporain, à Biarritz, où les couleurs du Pays basque infusent le projet, son seul fil rouge reste l’identité du lieu. « Pour le mobilier, comme pour l’architecture, c’est toujours dans le cadre de ce que j’ai vu, ressenti ou analysé que la création s’inscrit », conclut-il.

Le hall de l'hôtel Isle de Leos et les assises de la collection Riva éditées par Talenti ©Francis Amiand
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24/10/2025
Icônes en résonance : Charlotte Perriand rééditée par Saint Laurent

À la Galerie Patrick Seguin et sous la curration d’Anthony Vaccarello, la maison Saint Laurent fait dialoguer l’héritage du design avec celui de la mode en présentant quatre pièces rares de mobilier de Charlotte Perriand.

Jusqu’au 22 novembre, la Galerie Patrick Seguin met en scène une exposition qui réunit deux icônes du XXᵉ siècle que sont Charlotte Perriand et Yves Saint Laurent. Sous la direction artistique d’Anthony Vaccarello, ce sont quatre pièces de la créatrice - dont certaines étaient jusqu'ici restées à l’état de prototypes - qui ont été rééditées en série limitée. Présentées de façon presque muséale, chaque meuble témoigne d’un dialogue subtil entre rigueur moderniste et sensualité des matériaux, qu’il s’agisse de la banquette de la résidence de l’ambassadeur du Japon à Paris, du fauteuil Visiteur Indochine ou bien de la bibliothèque Rio de Janeiro ou encore de la table Mille-Feuilles.

Bibliothèque Rio de Janeiro © Saint Laurent

Un dialogue entre héritages et regards contemporains

Plus qu’une simple exposition, cette collaboration rend hommage à la fascination réciproque entre la mode et le design. En effet, alors qu'Yves Saint Laurent  collectionnait les créations de Perriand, Anthony Vaccarello lui, les faire revivre avec modernité à travers un regard épuré, fidèle et respectueux du travail de la designeuse. En s’associant à la Galerie Patrick Seguin, Saint Laurent affirme son engagement pour le patrimoine créatif et la transmission des savoir-faire. Un exercice d’équilibre où l’héritage se transforme en manifeste contemporain, à découvrir sans attendre.

A gauche : Fauteuil visiteur Indochine / A droite : Table Mille-Feuilles © Saint Laurent

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